La pratique de la transhumance a constitué pendant longtemps pour la majorité des éleveurs du sud du Sahara, une stratégie efficace d’adaptation aux aléas climatiques et un système d´exploitation opportuniste des ressources pastorales. Cette stratégie est de plus en plus citée comme un moyen efficace d´adaptation aux changements climatiques en cours et de gestion durable des ressources naturelles. La quête des ressources pastorales ne se fait pas toutefois sans conflits surtout dans les pays à tradition non éleveur comme la Côte d’Ivoire. En effet, la pression croissante sur la disponibilité des ressources pastorales est source de conflits entre d’un côté les éleveurs et de l’autre les agriculteurs. Ainsi, la persistance des conflits entre agriculteurs et éleveurs demeure dans la localité de notre étude malgré la loi sur la transhumance et le déplacement de bétail. C’est dans ce contexte conflictuel que s’inscrit cet article dont l’objectif est d’apporter un regard géographique sur la périlleuse cohabitation entre éleveurs-agriculteurs dans le département d’Attiegouakro. La démarche méthodologique a combiné approche quantitative et qualitative par un questionnaire adressé aux agriculteurs et éleveurs et des guides d’entretiens auprès des pouvoirs publics et traditionnels. Les résultats révèlent que pour les raisons liées à la quête des ressources pastorales, les éleveurs nomades et les agriculteurs entrent en perpétuels conflits aux formes multiples.
The practice of transhumance has long been an effective strategy for the majority of pastoralists in the southern Sahara to adapt to climatic hazards and an opportunistic exploitation system of pastoral resources. This strategy is increasingly cited as an effective means of adaptation to ongoing climate change and sustainable management of natural resources. However, the quest for pastoral resources is not without conflict, especially in countries with a non-pastoralist tradition such as Côte d'Ivoire. Indeed, the increasing pressure on the availability of pastoral resources is a source of conflict between herders and farmers. Thus, the persistence of conflicts between farmers and herders remains in the locality of our study despite the law on transhumance and the movement of livestock. It is in this conflictual context that this article is written, the objective of which is to provide a geographical perspective on the perilous cohabitation between herders and farmers in the department of Attiegouakro. The methodological approach combined a quantitative and qualitative approach through a questionnaire sent to farmers and herders and interview guides with public and traditional authorities. The results reveal that for reasons related to the quest for pastoral resources, nomadic herders and farmers enter into perpetual conflicts of multiple forms.
Introduction
La gestion des ressources naturelles constitue un des défis les plus importants auxquels sont confrontés les pays en voie de développement (J. J.Y. KOFFI, 2013, p.101 et B.K. KOUASSI, 2019, p. 297). Cette gestion est encore plus problématique quand il s’agit de la cohabitation entre éleveurs et agriculteurs. De 1969 à 1974, les pays sahéliens ont connu une grande sécheresse qui a provoqué un afflux massif d’éleveurs peulhs vers la Côte d’Ivoire à la recherche d’eau et de pâturage MINARA (1999, p. 21) et (M. N. K. YOMAN, 2016, p. 209). Cette transhumance n’est pas sans conséquence sur les régions d’accueils surtout à tradition non éleveur. La Côte d’Ivoire n’échappe pas à cette réalité régionale. En effet, elle a connu au cours de ces dernières décennies une forte variabilité annuelle et spatiale de la pluviosité. Cette variabilité climatique s’inscrit dans le phénomène général de la sécheresse observée depuis 1970 en Afrique de l’Ouest (M. OUEDRAOGO, 2001, p. 111). C’est le cas du département d’Attiegouakro où l’avènement des éleveurs va faire naitre une pluralité d’utilisateurs des ressources pastorales.
Au fait, la rareté de ces ressources naturelles a entrainé une modification des pratiques culturales des agriculteurs qui vont opter pour une extension et une multiplication des surfaces culturales. Quant aux éleveurs, leur transhumance sera accentuée par le manque de verts pâturages et de points d’eau (M. SOUMAHORO, 2003, p. 207 et Le GEUN, 2004, p. 4). Ces pratiques des deux groupes d’acteurs répondent à un besoin d’adaptation et de survie face à la rareté des ressources (KAM, 2016). C’est cette dynamique qui va poser des problèmes sociaux. Les relations entre les usagers des ressources précédemment marquées par une certaine quiétude sont devenues désormais conflictuelles et concurrentielles dans la gestion des ressources naturelles et de l’espace.
Dans le département d’Attiegouakro, l’exode inattendu des peulhs provoque des confrontations entre éleveurs peuls et autochtones Baoulés. Espace habité par un peuple à tradition non éleveur, Attiegouakro dispose d’une savane herbeuse ponctuée de point d’eau (lacs, basfond, rivière, marigot). De ce fait, il est le lieu de convergence idéal pour les transhumants rendant ainsi la cohabitation difficile. Pour faire face à cette problématique, les autorités ivoiriennes ont pris des mesures de prévention et de gestion de ces conflits à travers la mise en place de comités de gestion. Ces comités existent au niveau villageois, au niveau sous préfectoral et au niveau préfectoral. Toutefois, malgré ces dispositions administratives, depuis plus d’une décennie, les conflits entre ces deux groupes ethniques se multiplient. Dès lors, il convient de s’interroger sur la persistance de ces conflits : quelle est la matérialité de ce rapport conflictuel ? Quels sont les déterminants des conflits entre éleveurs et cultivateurs ? Quels en sont les modes de règlements ?