La croissance de la ville de Bouaké, conjuguée à la crise militaro-politique de 2002, a favorisé l’émergence du moto-taxi dans le transport. Ce mode occupe une place de choix dans les offres de mobilité urbaine. Mais au fil du temps, les conducteurs s’illustrent par divers comportements déviants en dépit du rétablissement de l’administration dans la zone depuis 2012. L’objectif de ce travail est d’analyser la persistance des comportements déviants de ces acteurs en lien avec les conditions d’accès au secteur. Ainsi, une recherche bibliographique et une enquête qualitative menée auprès des propriétaires-conducteurs, des autorités municipales, des syndicats et des usagers ont permis de comprendre que les opérateurs de moto-taxi contournent les conditions d’accès à l’activité à travers l’évitement des acteurs de régulation du secteur. Ces stratégies contribuent à les maintenir dans la déviance car elles sont des obstacles à l’accompagnement vers leur régulation. De plus, cette situation revêt un enjeu sécuritaire dans la mesure où elle freine l’identification de ces conducteurs de moto-taxi.
The growth of the city of Bouaké, combined with the military-political crisis of 2002, favored the emergence of motorcycle taxis in transport. This mode occupies a special place in urban mobility offers. But over time, drivers demonstrate various deviant behaviors despite the reestablishment of administration in the area since 2012. The objective of this work is to analyze the persistence of deviant behaviors of these actors in connection with the conditions of access to the sector. Thus, a bibliographic research and a qualitative survey carried out among owner-drivers, municipal authorities, unions and users made it possible to understand that motorcycle taxi operators circumvent the conditions of access to the activity through avoidance of sector regulators. These strategies contribute to maintaining them in deviance because they are obstacles to support towards their regulation. In addition, this situation poses a security issue insofar as it slows down the identification of these motorcycle taxi drivers.
Introduction
L’avènement des motos-taxis dans le transport urbain à Bouaké est consécutif au contexte socioéconomique, marqué par une croissance urbaine accélérée et une crise militaro-politique que connait la ville. En effet, la localité passe de cinq quartiers notamment Koko, Kamounoukro, Liberté, Dougouba et Sokoura, couvrant 1 400 hectares de la période coloniale, à plus de 19.000 hectares, dont une quarantaine de quartiers incluant les villages périphériques et les quartiers spontanés (Groupe huit, cité par A. KOUAKOU et J-M. KONAN, 2017, p. 5). Cette croissance urbaine est facilitée par la position de ville-carrefour née d’une intersection de deux axes essentiellement bitumés dont l’un relie le Nord au Sud à savoir l’axe Abidjan- Burkina Faso et Mali, et l’autre l’Est à l’Ouest soit Ghana, Guinée et Libéria. De plus, la présence de l’axe ferroviaire Abidjan-Burkina Faso rend plus accessible la ville qui devient une destination privilégiée pour de nombreux migrants venus des pays limitrophes (B.T.A. DOHO et al 2022, p. 51).
Dans cette dynamique, la population passe de 85 000 habitants en 1965 à 4 .300.000 habitants en 1998 (E. BADOU, 1998). Cette situation entraine des difficultés de mobilité accentuées par l’isolement de certains quartiers dortoirs. En effet, rares sont les véhicules à pénétrer dans les sous-quartiers alors que la ville ne dispose pas d’un service de transports collectifs réguliers à cette époque (P. JANIN, 2001, p. 182). La situation de l’emploi y est également peu reluisante puisque près de la moitié de la population active est sans activité formelle (N’GUESSAN cité par A. KOUAKOU ET J-M. KONAN, op.cit., p. 5). Ces conditions socioéconomiques de la ville sont aggravées par la crise militaro-politique que connait la zone nord occupée par les forces nouvelles. Cette crise participe à la dégradation des routes, faute d’entretien, tandis que le coût du carburant demeure en augmentation (F. DAGNOGO et D. KONATE, 2022, p. 159).
Tous ces facteurs socioéconomiques favorisent l’émergence des motos-taxis dont l’effectif s’élève à environ 7000 motos (A. KOUAKOU et J-M. KONAN, idem p. 5). Ces moyens de mobilité occupent progressivement une place de choix dans le transport urbain. Mais les comportements déviants dont ils sont auteurs, sont récurrents en dépit du rétablissement de l’administration dans la ville depuis 2012 (F. DAGNOGO et D. KONATE, 2022, p. 159). L’excès de vitesse, le non port de casque, le surnombre de passagers, les agressions sont monnaies-courantes et témoignent du faible respect des normes du secteur du transport urbain. Selon M-N. TENAERST (2008, p. 4), la déviance est définie comme un comportement qui échappe aux règles admises par la société, qui s’écarte des normes sociales.
Les normes étant un ensemble d’incitations, d’obligations, d’interdictions basée sur un socle de valeurs visant à orienter le comportement des individus en société. Cette définition de l’auteur est renchérie par X. LARMINAT (2017, p. 2), qui affirme que la déviance est la transgression d’une norme. Dans cette logique, il remarque une diversité de normes lorsqu’il distingue les normes formelles et les normes informelles. En ce qui concerne les normes formelles, l’auteur affirme qu’elles sont constituées entre autres, de l’ensemble des lois, des règlements intérieurs, du code de la route, des dogmes religieux. Quant aux normes informelles, elles sont perceptibles à travers les usages, les coutumes, la morale. L’auteur poursuit pour affirmer que la transgression des normes formelles aboutit à des sanctions codifiées à l’avance telles que la peine, l’amende, l’exclusion. Aussi, le non-respect des normes informelles a-t-il pour conséquences des réactions communautaires telles que le mépris, l’isolement.
Par ailleurs, G.R.N. DJIEPMO (2008, p. 17) constate qu’au Cameroun, il existe des textes, des lois régissant le secteur des motos-taxis à Yaoundé. Ces textes fixent des conditions d’accès à l’activité. Néanmoins, regrette-il, ce cadre institutionnel n’a pas d’impact remarquable sur l’activité car l’auteur observe que les transporteurs par moto se comportent comme si l’achat de la moto constituait la condition suffisante pour y accéder. Il souligne que les opérateurs économiques font fi de la formation préalable, de la maitrise du code de la route, des équipements nécessaires, et s’adonnent à l’activité. De plus, poursuit l’auteur, 80,4% des motos-taximen exercent leur activité sans permis de conduire.
G.R.N. DJIEPMO (2008, p. 23) est soutenu par D. KOUASSI et al (2014, p. 7). Ces derniers font l’état des lieux des pratiques déviantes à l’œuvre dans le secteur à Bouaké. A partir d’un échantillon de 370 enquêtés, ces auteurs remarquent que seulement 9,5% possèdent un permis et 34,9% détiennent une assurance de leur engin. De même, parmi cette population à l’étude, ajoutent-ils, seulement 13% portent systématiquement leur casque et la quasi-totalité, soit, 97, 6% de ces conducteurs prennent les passagers en surnombre. N. A. DOSSO (2021, p. 60) abonde dans le même sens quand il constate que le nombre pléthorique de conducteurs de motos en circulation méconnaissent le code de la route, le téléphone au volant, les stupéfiants et l’alcool au volant. D’ailleurs, N.A. DOSSO et al, cité par N.A. DOSSO (2021, p.58), affirment que ces conducteurs prennent une part active dans la criminalité routière à travers les vols, les agressions, ainsi que les accidents. L’objectif de cet article est d’analyser la persistance des comportements déviants des conducteurs de moto-taxi en lien avec les conditions d’accès au secteur à Bouaké. Il est structuré autour de deux points à savoir : i) les conditions d’accès au transport urbain ; ii) impact des modes d’accès sur le comportement des conducteurs de moto-taxi.