Les modifications environnementales induites par l’Homme ont des répercussions sur la biodiversité et le risque d’émergence de pathologies. En Côte d’Ivoire, les fronts pionniers de café et de cacao ont favorisé le développement des foyers de trypanosomiase humaine africaine, maladie due à un trypanosome, transmis à l’Homme lors de la piqûre d’une glossine infectée. Dans la région de Méagui, qui est l’un des derniers grands fronts pionniers en Côte d’Ivoire, les investigations sanitaires menées n’ont pas pu mettre en évidence le développement d’un foyer de trypanosomiase humaine africaine. L’objectif de ce travail est de vérifier si les modalités d’occupation du sol ont pu influencer la distribution des glossines. Pour se faire, une étude géographique, puis une enquête entomologique ont été menées d’Est (ville de Méagui) en Ouest (parc national de Taï) sur une superficie de 268 km². Elles visaient, respectivement à caractériser l’occupation du sol et la distribution des glossines. Dans la région de Méagui, l’emprise rurale est dominée par les cultures de cacaoyers qui occupent 87% de la zone située en dehors du parc national de Taï. Les reliques forestières en dehors du parc national de Taï représentent 4% de la superficie forestière de la zone d’étude. L’enquête entomologique a mis en évidence une densité apparente de 0,32 glossine/piège/jour, ainsi que la présence de quatre espèces de glossines, essentiellement capturées à l’intérieur du parc national de Taï et à sa périphérie directe. Parmi ces 4 espèces, Glossina palpalis palpalis, vecteur majeur du trypanosome à l’Homme, est présente dans tous les faciès écologiques. Sous l’effet de la pression anthropique, les aires protégées et leurs périphéries constituent des territoires favorables au contact Homme/glossine, et représentent ainsi des lieux à risque d’émergence de la trypanosomiase humaine africaine.
Human-induced environmental changes have repercussions on biodiversity and the risk of disease emergence. In Côte d'Ivoire, the coffee and cocoa pioneer fronts have favoured the development of outbreaks of human African trypanosomiasis, a disease caused by a trypanosome transmitted to humans through the bite of an infected tsetse fly. In the region of Méagui, which is one of the last large pioneer fronts in Côte d'Ivoire, the sanitary investigations carried out have not been able to reveal the development of an outbreak of human African trypanosomiasis. The objective of this study is to verify whether land use patterns have influenced the distribution of tsetse flies. To this end, a geographical study and an entomological survey were conducted from the east (town of Méagui) to the west (Taï National Park) over an area of 268 km². The aim was to characterise the land use and the distribution of tsetse flies. In the Méagui region, rural land use is dominated by cocoa cultivation, which occupies 87% of the area outside the Taï National Park. The forest relics outside the Taï National Park represent 4% of the forest area in the study area. The entomological survey revealed an apparent density of 0.32 tsetse/trap/day, as well as the presence of four species of tsetse, mainly captured within the Taï National Park and its direct periphery. Of these four species, Glossina palpalis palpalis, the major vector of the trypanosome to humans, is present in all ecological facies. Under the effect of anthropic pressure, protected areas and their peripheries constitute territories favourable to human/glossina contact, and thus represent places at risk of the emergence of human African trypanosomiasis.
Introduction
En Côte d’Ivoire, la superficie occupée par la forêt a diminué sous l’effet des activités humaines. « De 16 millions d’hectares en 1900, la forêt est passée e 7,85 millions d’hectares en 1986 à 5,09 millions d’hectares en 2000, puis à 3,6 millions d’hectares en 2015 » (REDD+, 2017, p.1). La principale cause de cette rétraction forestière est l’agriculture, pilier de l’économie ivoirienne. C’est ainsi que « le café et le cacao contribuent depuis 2012 à plus de 14% du PIB et à 38% des produits d’exportation » (K.M. KONAN et al., 2017, p.14). L’économie ivoirienne doit cette performance en grande partie au développement des fronts pionniers de café et de cacao. « Débuté en 1930 dans le Sud-Est du pays, le front pionnier de café et de cacao s’est progressivement étendu dans le Centre-Est, puis a gagné le Centre-Ouest autour des années 1955 et le Sud-Ouest en 1970 » (G.J. IBO, 2007, p.8). Cet itinéraire géographique des fronts pionniers a parfois eu comme conséquence le développement des foyers de Trypanosomiase Humaine Africaine (THA ou maladie du sommeil). En effet, depuis la période coloniale, « les foyers de la THA, sont apparus à l’intérieur des fronts pionniers, en particulier ceux générés par les plantations de café et de cacao » (J-P. HERVOUËT et al., 2000, p.212). Si la THA est une parasitose négligée qui touche les Hommes, les animaux sont également concernés, puisque « les glossines et les autres insectes hématophages (stomoxes, tabanides…) transmettent également des trypanosomes aux animaux qui contractent ainsi la Trypanosomose Animale Africaine (TAA ou Nagana) » (P. SOLANO et al., 2013, p.375).
Selon l’OMS, la Côte d’Ivoire est le deuxième pays le plus touché en Afrique de l’Ouest par la THA avec 673 cas dépistés entre 2000 et 2018 (OMS, 2019). Contrairement aux autres espèces de forêt, « Glossina palpalis palpalis qui est le vecteur majeur de la THA en zone de forêt ivoirienne, s’adapte et se développe dans les territoires modelés par la main de l’Homme » (C. LAVEISSIERE et J-P. KIENOU, 1979, p.11). « C’est ainsi qu’elle a pu adapter son régime alimentaire, malgré les modifications environnementales suscitées par la déforestation au profit des plantations de café et de cacao » (P. FAURET et al., 2018, p.17). La situation de la THA et de la distribution des glossines sont mal connues dans la région de Méagui, qui a pourtant été l’un des derniers grands fronts pionniers de café et de cacao en Côte d’Ivoire autour des années 1980. L’objectif de ce travail est d’apprécier la corrélation entre le niveau d’occupation du sol et la distribution des glossines dans la zone de Méagui. L’étude consiste tout d’abord à faire un état des lieux de l’occupation du sol en 2016. Ensuite, il est question de caractériser la distribution des glossines la même année et enfin d’analyser les rapports entre les types d’occupation du sol et les espèces de glossines dans la zone de Méagui.