De 1988 à 2015, les ménages abonnés de la société de distribution d’eau potable en Côte d’Ivoire (SODECI) dans la ville de Gagnoa sont passés de 2 200 à 8 120. Malgré cette croissance, certains ménages abonnés et la majorité des ménages non abonnés au réseau d’adduction d’eau potable ont recours aux formes informelles d’approvisionnement en eau. L'objectif assigné à cette étude est d’étudier les déterminants de cette situation d’accès à l’eau de cette cité forestière. Pour comprendre les raisons d’un tel paradoxe, 369 ménages ont été enquêtés en 2016 par un sondage stratifié à l’échelle de la ville. Les résultats de l’étude ont révélé que seulement 36,50 % des ménages sont réellement raccordés au réseau d’adduction d’eau potable de la ville. En outre, la proportion des chefs de ménages abonnés au réseau d’adduction qui déclarent s’approvisionner à des sources informelles d’eau s’établit à 54,9% des 169 ménages abonnés de l’échantillon. Le poids des variables socio-économiques statistiquement significatives sur ces options d’approvisionnement indique que : le niveau d’instruction, le type d’habitat, le statut socioprofessionnel et le revenu mensuel du chef de ménage se sont révélés significatifs au seuil de 5% à l’issue des tests d’indépendance des variables du Khi 2 de Karl Pearson précisé par la P-Value du test exact de Khi 2 de Fisher.
Mots-clés
From 1988 to 2015, households subscribing to the Côte d'Ivoire Drinking Water Distribution Company (SODECI) in the city of Gagnoa increased from 2,200 to 8,120. Despite this growth, some subscribing households and the majority of households not subscribing to the drinking water supply network use informal forms of water supply. The objective of this study is to study the determinants of this situation of access to water of this forest city. To understand the reasons for such a paradox, 369 households were surveyed in 2016 by a stratified survey at the city level. The results of the study showed that only 36.50% of households are actually connected to the city’s drinking water supply system. In addition, the proportion of heads of households subscribing to the water supply network who reported sourcing from informal sources was 54.9% of the 169 subscribing households in the sample. The weight of statistically significant socio-economic variables on these procurement options indicates that: Housing type, socio-professional status and monthly income of the head of household were found to be significant at the 5% threshold based on the Karl Pearson Khi 2 independence tests specified in the Fisher Khi 2 exact test P-Value.
Keywords
Introduction
Avant et après la décennie internationale de l’eau et de l’assainissement (DIEPA), plusieurs pays du tiers-monde ont initié des programmes d’adduction d’eau potable en milieu urbain. Pourtant, après les années 90, les demandes de raccordement des ménages urbains au réseau d’eau potable n’ont pas été entièrement satisfaites (LAVIGNE, 1995, p. 2). C’est encore le cas dans les villes du Sud. Ainsi, la crise mondiale de l’eau trouve une dimension particulière dans les villes africaines, surtout en Afrique au sud du Sahara (ROCHE, 2003, p.39). Si par le passé, l’absence de raccordement du ménage au réseau d’adduction publique d’eau potable, conduisait inévitablement à des formes parallèles d’approvisionnement en eau (BAH et al., 2007, p. 244), aujourd’hui, force est de constater que la diversité des recours aux modes informels d’approvisionnement en eau chez des revendeurs motorisés ou les puisatiers est l’un des caractères spécifiques de l’urbanisation dans les pays du tiers-monde selon SAINT-VIL (1987, p.150). Car, la généralisation de l’utilisation conjointe de l’eau de robinet chez les revendeurs et de l’eau de puits à domicile par les ménages urbains constitue une solution dite alternative au branchement privé (VERDEUIL, 2004, p.58).
Parmi les pays africains au sud du Sahara, la Côte d’Ivoire reste l’un des rares à avoir atteint un objectif de branchement domiciliaire par des subventions qui prennent en compte plus de 90% des frais de raccordement. De ce fait, on est passé de 39 000 abonnés à 550 000 abonnés de 1973 à 2006 (DHH, 2007, p. 5). Par conséquent, de 1988 à 1999, le taux de desserte de la population par un branchement privé était parmi les plus importants de la sous-région Ouest-africaine (COLLIGNON et al., 2000, p.1). Néanmoins, malgré cette croissance du nombre de ménages abonnés au réseau d’adduction d’eau potable, certains ménages abonnés et la majorité des ménages non abonnés ont recours à des ressources informelles chez les revendeurs d’eau au détail dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire, COLLIGNON et al. (2000, p. 1) et SAINT-VIL (1983, p. 481). Cette activité illégale est l’une des plus anciennes du secteur informel des pays africains (SAINT-VIL, 1987, p.153-154).
D’ordinaire, le recours à la revente de l’eau concernait uniquement les quartiers irréguliers et la majorité des ménages non raccordés au réseau. Aujourd’hui, cette tendance concerne de plus en plus les ménages raccordés au réseau de distribution d’eau potable de la SODECI ou plus exactement, les ménages qui ne peuvent bénéficier de la pression de service ou des faveurs de leur contrat d’abonnement pour cause d’irrégularité dans l’offre de service (TIA et SEKA, 2015, p. 26). À l’image de plusieurs villes ivoiriennes victimes de stress hydrique sévère en eau potable (MONDESIR et al., 2018, p. 75), les ménages abonnés au réseau d’adduction d’eau potable de la ville de Gagnoa au centre-ouest du pays connaissent également une généralisation des pratiques informelles d’approvisionnement en eau, malgré la présence d’un branchement privé actif dans leur concession. Un paradoxe qui nous interpelle.
Face à ce problème, une question se pose. Pourquoi, malgré la présence d’un branchement privé actif au réseau d’adduction d’eau potable dans leur concession, les chefs de ménages optent encore pour des sources informelles d’approvisionnement en eau dans la ville de Gagnoa ? Comment se présente la desserte des populations et leurs choix d’approvisionnement en eau dans la ville de Gagnoa ? Quels sont les déterminants socio-économiques qui influencent ces choix d’approvisionnement informel en eau des ménages abonnés au réseau d’adduction d’eau potable de la ville de Gagnoa ? Pour répondre à ces interrogations, il s’agira de montrer d’abord les inégalités de desserte en eau de la ville et les modes d’approvisionnement en eau des ménages, ensuite les déterminants socio-économiques qui discriminent les choix d’approvisionnement en eau des ménages dans la ville de Gagnoa.
L’étude pose comme postulat qu’en dehors des variables de l’environnement de service comme l’absence de réseau de distribution d’eau potable dans les nouveaux quartiers (KOUKOUGNON, 2012, p. 51), les motivations économiques sont des facteurs discriminants de l’accès à l’eau (KOUKOUGNON, 2015, p.60). Elles déterminent la diversité des choix d’approvisionnement en eau des ménages raccordés au réseau. Pour ce faire, une enquête ménage par questionnaire sur un échantillon représentatif a été menée pour vérifier cette hypothèse.