En mettant en réseau les acteurs d’un territoire à travers la mutualisation, le partage et l’édition de l’information, l’Intelligence Territoriale (I.T.) améliore, dans un processus interactif les liens sociaux et par ricochet les systèmes territoriaux. Ainsi, le territoire qui peut être perçu comme un système organisé d’échange d’information se doit d’avoir comme appui les outils TIC dans un monde dominé par la société de l’information. Ce faisant, l’implication des outils TIC dans ce système devra faciliter la communication entre les acteurs et leur permettre de mieux comprendre le territoire dans le but d’agir plus efficacement. Cela sous-entend qu’il faut un bon déploiement des ressources numériques. Or, visiblement avec la persistance des zones grises de communication électronique, cela n’est pas le cas dans le département de Madinani (Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire). La démarche de l’I.T. qui s’appuie sur l’émergence de nouveaux modes d’échanges au sein des territoires avec pour outil les TIC est mise à mal. Dans un tel contexte, il est nécessaire que le géographe des TIC soit le plus interpelé pour mener une réflexion sur les manifestations des zones grises de communication électronique dans la mise en œuvre de l’I.T. dans le département de Madinani. Après des enquêtes de terrain, des observations participatives et une recherche documentaire, les résultats révèlent que la fréquence des zones grises accentue la fracture sociale existante et crée de nouvelles formes de discrimination sociospatiale. Ces fractures entrainent une défaillance dans le système de l’Intelligence Territoriale.
Territorial Intelligence improves social links and, by extension, territorial systems in an interactive process. Thus, the territory which can be perceived as an organized system of information exchange must be supported by ICT tools in a world dominated by the information society. In doing so, the involvement of ICT tools in this system should facilitate communication between actors and allow them to better understand the territory in order to act more effectively. This implies that there has to be a good deployment of digital resources. However, obviously with the persistence of gray areas of electronic communication, this is not the case in the department of Madinani (north-west of Côte d’Ivoire). The approach of the I.T. which is based on the emergence of new modes of exchange within territories with ICT as a tool is handicapped. In such a context, the ICT geographer is called upon to reflect on the manifestations of gray areas of electronic communication in the implementation of IT. in the department of Madinani. After field surveys, participatory observations and documentary research, the results reveal that the frequency of gray areas accentuates the existing social divide and creates new forms of socio-spatial discrimination. These fractures lead to a failure in the Territorial Intelligence system.
Introduction
Les rapports entre les territoires et les sociétés connaissent de plus en plus la naissance de nouveaux systèmes organisés d’échange d’informations. Cela donne lieu à l’apparition de nouveaux concepts dans le monde scientifique tel que l’Intelligence Territoriale (I.T).
L’I.T. vise principalement la mise en réseau des acteurs territoriaux avec une implication majeure des ressources du numérique. Elle est considérée comme un outil d’aide à la décision. Elle met l’accent sur la participation de tous à la gouvernance territoriale à travers l’accès à l’information (J.J. GIRARDOT ; 2004, p.2). À travers ce concept, c’est tout un dispositif du Système d’Information Territoriale (SIT) qui se décline. Si les manifestations d’un tel SIT sont méconnues ou minimisées par les autorités et acteurs territoriaux dans l’espace ivoirien, elles sont tout de même présentes et visibles. Fortement liées à l’implication des ressources numériques notamment l’Internet et le réseau de la téléphonie mobile, les initiatives qui donnent forme à l’I.T. sont de plus en plus remarquables dans la société ivoirienne. Ce sont le renforcement des liens entre les acteurs d’un territoire à travers de nouveaux systèmes tels que les systèmes de transfert de fonds électroniques, les systèmes des inscriptions en lignes des élèves et pour les concours de la fonction publique, des ventes et achats en ligne, etc. Des faits qui justifient le devoir de déploiement satisfaisant des ressources numériques sur l’ensemble du territoire ivoirien. Comme l’affirment N. CURIEN et P.A. MUET (2003, p. 9), « l’Internet et la révolution numérique déterminent peu à peu la base organisationnelle d’une nouvelle économie fondée sur le réseau». De ce point de vue, il ressort que cette nouvelle forme de gouvernance territoriale (qu’est Intelligence Territoriale) se construit autour des TIC. Ainsi, l’accès à une quelconque ressource du numérique par les populations ivoiriennes s’impose-t-il et semble-t-il légitime pour répondre aux attentes des populations. Si les discours politiques font croire à une couverture relativement satisfaisante du territoire ivoirien en ressources TIC avec 91% pour la 2G; 60% de la 3G et 25% pour la 4G (ARTCI, 2019), la réalité montre des limites non négligeables. En effet, une hétérogénéité spatiale se dégage en matière de diffusion des ressources numériques à l’échelle du territoire. C’est le cas du département de Madinani où l’aspiration des populations à un accès aisé au réseau téléphonique et de l’Internet est problématique. En effet, dans ce département, les signaux GSM (Global System for Mobile Communication) et Internet demeurent instables et relativement faibles d’une sous-préfecture à une autre ou d’une localité à une autre (T. INZA, 2017, p. 66). De ce fait, la fonction fondamentale de l’I.T qui est de mettre en réseau les systèmes territoriaux et dynamiser les liens sociaux est difficile à développer.
Nonobstant l’existence des écrits sur la diffusion du numérique d’une façon générale en Côte d’Ivoire, la problématique singulière des « zones grises» en rapport avec la mise en œuvre de l’I.T. reste insuffisamment traitée ou pas du tout dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire précisément dans le département de Madinani (la région du Kabadougou). Ayant pour objet d’étude scientifique l’analyse de la dimension spatiale du numérique, il parait fondamental pour le géographe des TIC de traiter la problématique des zones grises en lien avec tout autre concept pour vu que les injustices spatiales qui en découlent soient analysées. Dans ce travail, il convient d’abord de théoriser la recherche, ensuite, de mettre en évidence le matériel et la méthode utilisés et, enfin, d’exposer les résultats et la discussion. Ces résultats seront axés sur la géographie des zones grises, les facteurs explicatifs desdites zones, les répercussions de ces zones grises sur la mise en œuvre de l’Intelligence Territoriale dans le département de Madinani.
1 - Cadre spatial de l’étude
Le département de Madinani, avec une population estimée à 39 704 habitants (INS, 2014), est situé dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire à la latitude 9°43’0’’ N et à la longitude 7°3’0’’O. Ce département fait partie de la région du Kabadougou (avec Odienné comme Chef-lieu de Région). Il est situé à environ 80 km d’Odienné, à environ 57 km de Boundiali et à 850 km d’Abidjan. Il se limite au nord par le département de Kaniasso, au sud par le département de Séguélon, à l’est par le département de Boundiali et à l’ouest par le département d’Odienné. Il est composé de trois sous-préfectures que sont : Fengolo, N’goloblasso et Madinani qui est aussi le chef-lieu de département. On y dénombre vingt-huit (28) villages. Il s’étend sur une superficie de 3140 km². Le premier support utilisé dans le cadre de cette étude est la carte du département de Madinani. Les échelles géographiques d’observation sont le département, la sous-préfecture, le village ainsi que des unités d’observation que sont les ménages et les individus. La présentation de la zone d’étude est matérialisée par la figure 1.
2 –Méthodologie et matériels de recherche
Dans l’élaboration de ce travail, l’appui théorique a porté sur le modèle de L. PRESS (1998) et la première loi de la géographie de W. TOBLER (1970). En effet, le modèle de Larry PRESS explique la diffusion de l’Internet dans un pays. Appliqué à ce travail, ce modèle facilite la compréhension de la diffusion du réseau Internet et téléphonique à l’échelle des localités, des sous-préfectures et du département de Madinani. Six dimensions du modèle permettent cette compréhension. Ce sont : le Déploiement (D), la Distribution Géographique (DG), l’Adoption Sectorielle (AS), l’Infrastructure de Connectivité (IC), l’Infrastructure Organisationnelle (IO) et le Degré d’Appropriation (DA). Cela a permis de faire ressortir une couverture géographique et les conditions d’accès au réseau Internet et téléphonique à différentes échelles.
Quant à la première loi de la géographie, elle stipule que tous les éléments de la nature interagissent entre eux. Mais, deux objets proches ont plus de chance d’entrer en interaction que deux objets lointains. Dans un contexte de société de l’information et d’Intelligence Territoriale, le potentiel de la proximité continue à structurer les réseaux d’échanges dans les territoires avec leurs inégalités et leurs asymétries. D’où l’application d’une telle loi pour mieux comprendre des liens socio-spatiaux.
Par ailleurs, l’usage de divers matériels a servi à la collecte d’informations. Pour ce faire, cette collecte s’est faite à partir d’observations directes et participatives, des enquêtes par questionnaire, des entretiens, des focus groupes et des expérimentations. Avec le soutien des présidents de la jeunesse communale et départementale, en appliquant la méthode de quotas, trois cent six (306) personnes ont été consultées dont trois entretiens avec les autorités administratives (les trois sous-préfets ou les chefs de cabinets desdits sous-préfets) des trois sous-préfectures, trois entretiens avec les techniciens d’opérateurs de téléphonie mobile en Côte d’Ivoire (Orange, MTN et Moov) et trois cent (300) individus à qui des questionnaires ont été administrés. Le principal critère qui a prévalu au choix des 300 individus est la possession d’au moins un outil numérique notamment un téléphone mobile ou un ordinateur. Cet échantillon est réparti de façon proportionnelle par sous-préfecture. En plus, six focus groupes ont été constitués à raison de deux focus groupes par sous- préfecture. En fonction de la taille de la sous-préfecture (nombre de localité) la population enquêtée est répartie de façon raisonnée.
L’enquête exhaustive au niveau des sous-préfectures vise une meilleure application du modèle et la loi choisis dans le cadre de ce travail. Plusieurs variables dont les principales sont: les variables géographiques, socio-spatiales, techniques et d’accessibilité ont été associées. Au-delà, des tests expérimentaux ont été réalisés à travers trois types de téléphones Androïdes. Ils sont de marques et séries différentes telles que Itel Duel SIM (Itel A31, 3G (GSM) et Itel S32, 3G (GSM)), Tecno Duel SIM (Tecno K8, 4G (GSM) et Tecno W4 (GSM)) et Infinix Duel SIM (Infinix Hot6pro 4G, 13MP et Infinix 3G (GSM), 8MP). Ces tests ont servi de moyens pratiques pour vérifier l’état des signaux (réseau d’appel téléphonique ou d’Internet) matérialisé par l’affichage des barres à l’angle droit des appareils utilisés.
Pour traiter les différentes données recueillies, l’usage de plusieurs outils ou matériels s’est avéré nécessaire. L’usage des logiciels ARCGIS 10.2 et Adobe illustrator 8.0 a permis de générer les cartes. Quant aux logiciels Microsoft Word et Excel, ils ont servi respectivement à la saisie du texte et à l’élaboration de figures.
3– L’approche théorique de l’étude : intelligence territoriale à l’ère de la société de l’information
Qu’est-ce qu’un territoire ? Pour répondre le plus simplement possible, G. DI MÉO (2000, p. 40) soutient qu’un territoire en géographie est perçu comme un système ouvert et agissant. Mieux, c’est un construit social basé sur les rapports territoriaux des acteurs. Ce construit met en avant l’appropriation à la fois économique, idéologique et politique de l’espace. Fort de ce fait, G. DUPUY (2002, p. 9) estime que l’émergence des territoires repose avant tout sur les interactions entre les acteurs, en particulier à travers la mise en œuvre du processus d’apprentissage collectif, l’économie de la proximité et les formes prises par la gouvernance territoriale. Au-delà de ces avis, il est à inscrire aujourd’hui au cœur de ces construits sociaux, des systèmes d’informations adaptées au contexte de la société de l’information.
C’est pourquoi, dans le cadre de cette étude, il semble particulièrement opportun d’établir un lien entre les Systèmes d’Information (S.I.) et la notion de « territoire » dans le département de Madinani. Ce lien rend compte du concept baptisé « Intelligence Territoriale ». Dans ce lien, le volet des technologies de l’information est favorisé dans cette perspective territoriale. En effet, les TIC introduisent dans les territoires de nouvelles logiques et opportunités en matière d’appropriation des ressources locales. Si habituellement la notion de SIG est dominante dans ce cas de figure, il s’agit donc de dépasser la dimension géographique et démographique de l’information et d’aborder le Système d’Information (S.I.) d’un territoire comme étant « un ensemble d’acteurs sociaux qui mémorisent et transforment des représentations via des technologies de l’information et des modes opératoires » (R. REIX ET F. ROWE, 2002, p. 11). Ainsi, la dimension communicationnelle prend-t-elle de nouvelles formes dans les territoires dont la particularité est d’être territorialisée afin d’impliquer les différents acteurs territoriaux en compressant les unités géographiques temps et espace.
Au vu de ce qui précède, il ressort qu’avec le numérique, le territoire devient un réseau, voire un système performant. Les acteurs sont mis en réseau pour rendre les systèmes territoriaux plus dynamiques, plus attractifs et compétitifs. C’est aussi la connaissance et la maitrise du territoire par les acteurs pour faciliter les prises de décisions: d’où le concept d’« Intelligence Territoriale ». Il est sans doute clair que l’I.T. a besoin d’un environnement numérique satisfaisant. À défaut, sa mise en œuvre sera difficile. Autrement dit, l’I.T. serait difficilement opérationnelle dans les zones grises de communication électronique.
La « zone grise » est l’expression technique qui désigne dans le jargon de la communication électronique, les aires géographiques couvertes de façon discontinue avec un accès difficile au réseau de télécommunication électronique. Cela signifie que la disponibilité du réseau téléphonique et/ou Internet n’est pas optimale (l’on ne peut accéder à ces réseaux que par endroit dans ces lieux). Pour le groupe institutionnel de l’Aménagement Numérique des Territoires (2018), le concept « zone grise » renferme deux aspects que sont : la technique et le mercantile. Relativement à l’aspect technique, une zone est dite grise quand elle est géographiquement couverte par une bande passante faible ou passable en matière de sa qualité. S’agissant de la logique mercantile, la « zone grise » est une zone géographiquement desservie en téléphonie mobile et/ou en Internet à haut débit, mais qui n’est pas concurrentielle du fait de la présence d’un seul opérateur ou d’un seul fournisseur d’accès. Après l’analyse théorique qui précède, que retenir de la mise en œuvre de l’I.T. dans un département où persistent encore les zones grises de communication électronique ? Les résultats de cette étude et la discussion aideront à trouver une réponse à cette interrogation.
4 – Résultats
Les résultats se présentent autour de la géographie des « zones grises », les facteurs explicatifs de la persistance des « zones grises » et leurs répercussions sur la mise en œuvre de l’Intelligence Territoriale dans ce département.
4.1 – Les « zones grises » de communication électronique, une réalité dans le département de Madinani
À travers les observations directes et les enquêtes réalisées sur le terrain, cette étude est parvenue à mettre en évidence des disparités dans la réception du réseau téléphonique et/ou de l’Internet (GSM, 2G, 3G et 4G) dans le département de Madinani. En effet, 99% des localités demeurent sous le poids d’instabilité des ondes de la 4G, 61% des ondes de la 3G, 35% de la 2G et 21% des signaux du GSM. D’un point de vue géographique, dans ces localités, la couverture du réseau est loin d’être optimale. De façon générale, en dehors du chef-lieu de département c’est-à-dire la ville de Madinani, l’accès au réseau de communication reste difficile dans presque toutes les autres localités du département, car le phénomène est plus accentué. Cette réalité concerne aussi bien le réseau de la téléphonie mobile que celui de l’Internet mobile. Ainsi, sur cette base se dégage-t-il une couverture géographique qui permet de mettre en évidence des proportions de zones grises matérialisées par la figure 2 en faisant un recoupement de toutes ces informations.
À l’analyse de la figure 2, il apparait que tout le département est concerné par le phénomène des « zones grises ». En effet, avec les insuffisances de diffusion de toutes les normes technologiques (GSM, 2G, 3G, 4G) confondues, il ressort qu’en moyenne, 57% des localités sont affectées par les « zones grises ». Par ailleurs, à l’échelle des sous-préfectures, celles de N’GOLOBLASSO et de FENGOLO subissent plus cette instabilité de la diffusion des ondes de communication électronique. Pour preuve, toutes les localités enquêtées dans la sous-préfecture de N’GOLOBLASSO sont dans une situation de « zone grise » de la 4G, 98% de « zone grise » de la 3G, 41% de « zone grise » de la 2G et 31% de « zone grise » du réseau GSM. Après vient la sous-préfecture de FENGOLO avec en moyenne 60% des localités enquêtées affectées par les « zones grises ». Quant à celle de Madinani, elle demeure la moins touchée avec en moyenne 41% des localités en « zone grise ». D’une manière empirique, l’étude a pu révéler qu’en général le signal est relativement faible, voire impossible d’accès sur l’étendue de l’espace enquêté.
Cependant, les « zones grises » de communication électronique constatées dans cette circonscription départementale sont liées à un faisceau de facteurs.
4.2 – Les origines de la persistance des zones grises dans le département de Madinani
Plusieurs facteurs expliquent la persistance des « zones grises » dans le département de Madinani. Les plus marquants dans le cadre de ce travail sont : l’effet de la distance, la pluviométrie et le relief.
4.2.1- L’influence de la distance émetteur-récepteur des ondes sur la qualité des signaux
Le fait d’être éloigné du centre émetteur (pylône porteur d’antenne) agit sur la qualité des ondes. C’est ici que la première loi de la géographie trouve tout son sens. En l’appliquant, elle fait ressortir nettement la question de l’interaction rapide entre deux objets plus proche que deux objets éloignés. La qualité et la rapidité du trafic relèvent effectivement de la distance entre deux lieux. En effet, dans le cadre de diffusion des ondes de communication électronique dans le département de Madinani, plus l’on s’éloigne des centres émetteurs des ondes (des pylônes), plus la qualité du réseau se dégrade en fonction des technologies déployées. Par exemple, les localités de Kadiasso, Kafingué et Lossingué situées respectivement à environ douze kilomètres, treize kilomètres et vingt-cinq kilomètres du chef-lieu où se trouvent tous les centres émetteurs des ondes de communication électronique de la sous-préfecture connaissent une qualité des ondes progressivement dégradée, instable et le réseau fini par disparaitre. Par contre les localités de Fenbiasso, sokouraba, Kébiko, Sanaba, etc. toutes situées dans un rayon de deux kilomètres à cinq kilomètres au maximum du même centre émetteur dispose d’une bonne qualité des ondes. De cette analyse et comme l’indique la figure 3 la distance influence la propagation des ondes de communication électronique.
L’analyse de cette figure 3 montre que les auréoles permettent de mieux apprécier l’effet de la distance sur la qualité des ondes émises par les pylônes porteurs d’antenne dans le département de Madinani. L’appréciation de la qualité des ondes par les populations en fonction de la distance qui les sépare du pylône et les tests réalisés ont fortement contribué à l’élaboration et à l’analyse de cette figure.
Pour la première auréole qui indique une distance maximum de trois kilomètres par rapport au pylône porteur d’antennes, la couverture est excellente. En effet, 98% des populations enquêtées dans ce rayon sont très satisfaites de la qualité du réseau et de la communication téléphonique. C’est par exemple, le cas des habitants de Sanaba et Sokouraba. Par ailleurs, dans cette auréole, il ressort qu’il y a un relatif confort dans les échanges de communication électronique (communication téléphonique et exploitation du réseau Internet) ressenti par les populations résidentes.
Concernant la deuxième auréole indiquant un rayon compris entre trois (3) et cinq (5) kilomètres, le réseau est satisfaisant. Il faut tout de même souligner que parfois les ondes oscillent par endroit. À cet effet, la communication n’est pas à tout moment satisfaisante selon 79% des populations de ce rayon. Les populations sont parfois confrontées à une diffusion limitée du réseau. Cette réalité est plus palpable dans les localités de N’gapyé et de Kébiko.
La troisième et la dernière auréole, qui définit un rayon au-delà de cinq kilomètres par rapport au pylône, décrit un état très dégradé des ondes pouvant même entrainer une disparition du réseau. En effet, lorsque la distance usager-pylône devient importante, la couverture devient progressivement faible et finit par disparaitre. Par conséquent, la communication devient impossible dans ce rayon. 97% des populations enquêtées dans ce rayon ne sont pas satisfaites de la qualité du réseau. Les localités de Kafingué, de Dienguélé et de Lossingué sont des exemples édifiants. En fin de compte, cette figure met en exergue l’influence énorme de la distance sur la diffusion du réseau de communication dans le département de Madinani. Il est important de signifier que les pylônes porteurs d’antennes sont concentrés dans le chef-lieu de département.
4.2.2- La diffusion des ondes de communication électronique perturbée par des incidents naturels
Selon la direction du ministère de l’agriculture et développement rural, la moyenne annuelle des pluies est estimée à 1400 mm par an. À la question de savoir si les intempéries perturbent la diffusion des ondes de communication électronique, les techniciens des opérateurs téléphonique répondent par l’affirmative. Ils soulignent à cet effet que « les facteurs naturels perturbent très souvent la qualité des ondes. Parmi ces facteurs, nous avons les intempéries qui causent fréquemment des ruptures dans le processus de la diffusion du signal ». De ces propos, il ressort que la pluviométrie directement ou indirectement est à la base des incidences sur la diffusion du réseau. Quant à la population, 69% témoignent que lorsqu’il pleut, la qualité du signal devient de plus en plus faible. Pour le chef de cabinet du préfet de département, la pluie contribue à la dégradation des ondes. Il estime que « dans cette partie du pays, quand il fait chaud, il fait vraiment chaud. Mais quand-il pleut, il pleut énormément au point d’engendrer d’énormes dégâts. Généralement, après ces grandes pluies le réseau est perturbé parce que le réseau électrique se dégrade». De ces témoignages, l’on peut en déduire que la pluviométrie impacte négativement la diffusion du signal dans le département de Madinani surtout en se référant aux propos des techniciens des opérateurs de la téléphonie mobile qui pour nous sont des spécialistes du déploiement des ondes.
En ce qui concerne le relief, il est souvent un véritable obstacle à la propagation des signaux dans le département selon les techniciens des opérateurs interrogés sur les lieux. Il convient de préciser que le relief dans le département de Madinani est caractérisé par des élévations notamment des collines, quelques montagnes granitiques, des chaines de montagnes dont le point culminant est de 894 mètres (monographie du département, 2017). Ainsi, l’accès aux signaux est-il difficile dans certaines localités situées dans des vallées. C’est le cas de la localité de Fandasso qui est privée d’ondes de communication électronique de qualité. Pourtant, lors des enquêtes il est ressorti que 60% des localités visitées se situent soit dans une vallée, soit au pied d’une montagne ou d’une colline. Or, à propos de l’impact du relief sur la bonne diffusion des ondes, encore une fois les techniciens des opérateurs téléphoniques témoignent que les pylônes émettent en moyenne sur un rayon de trois à six kilomètres en zone rurale selon le type de technologie. Mais, dans les zones accidentées, cette moyenne est nettement plus faible, car les élévations constituent des barrières à la diffusion des ondes électromagnétiques. À titre d’illustration, la planche 1 montre des localités se trouvant au pied des montagnes ou dans les vallées.
Les zones grises sont donc une réalité dans le département de Madinani. Plusieurs faits expliquent la persistance de ces ruptures dans la diffusion des ondes de communication électronique. Cependant, quelles sont les répercussions d’un tel environnement sur la mise en œuvre de l’Intelligence Territoire qui a pour instrument majeur les ressources du numérique ?
4.3 – Les « zones grises », une barrière à l’I.T. dans le département de Madinani
Dans le département de Madinani, les « zones grises » handicapent le dispositif de l’Intelligence Territoriale qui préconise la mise en œuvre d’un système d’information territorial inclusif à l’ère de cette société d’information.
4.3.1 – L’exclusion numérique, une défaillance imminente de l’I.T.
Au-delà de l’idée selon laquelle le numérique est un facteur de dynamisation, de redynamisation et de valorisation des territoires, ces outils semblent participer à un processus accéléré et accentué des injustices spatiales dans le département de Madinani. Cette injustice territoriale résulte du fait que les nouveaux réseaux de communication électronique les plus performants sont souvent concentrés dans les zones à forte densité démographique, accentuant ainsi les disparités spatiales. Ainsi, dans un tel contexte la médiation croissante des technologies de l’information et de la communication aggrave-t-elle l’exclusion sociospatiale au lieu d’assurer une homogénéité des espaces en faveur d’une Intelligence Territoriale. À partir de ces réalités que vivent les populations dans le département de Madinani, il convient de retenir que les « zones grises » accentuent la hiérarchisation des territoires dans le département de Madinani. D’où les hétérogénéités géographiques des territoires et les difficultés dans la mise en réseau des territoires et des acteurs comme l’on peut le remarquer sur la figure 4.
Trois couches définissent la figure. Il s’agit de la couche matérialisant la société de l’information (en gris), celle du département (en jaune) et la dernière (en orange) matérialise le dispositif de l’Intelligence Territoriale inclue dans les deux premières couches. L’interaction entre les deux premiers éléments (territoire et société de l’information) permet de définir le dernier (dispositif de l’I.T.). Pour qu’on parle d’I.T., il faut un territoire et l’implication des technologies de l’information dans sa gestion. À défaut d’une implication des outils TIC, le fonctionnement du dispositif de l’I.T. serait limité comme c’est le cas à Madinani. Cette figure met en évidence la barrière numérique (venant des « zones grises ») établie entre les localités couvertes (33%) par le réseau de communication électronique et les localités non couvertes (67%). Ainsi, apparaissent des dysfonctionnements dans les systèmes d’information et de communication territoriale. Comme l’indique cette figure 1, il se dégage deux ensembles géographiques (zone géographique A et B) dont il serait difficile de les mettre en réseau pour former un système territorial dans la société de l’information. Ces inégalités territoriales à partir du numérique qu’il est désormais convenu d’appeler le « fossé numérique » entre les territoires constituent un handicap pour l’Intelligence Territoriale dans le département de Madinani. Ce sont 70% des populations qui sont exclues de la société de l’information qui, par ricochet le seront aussi de l’Intelligence Territoriale. Pour ne pas être exclue totalement, cette frange de la population reste active dans la conquête des ondes de communication électronique.
4.3.2 – L’accès aux ondes de communication électronique, un véritable obstacle à affranchir pour une I.T. effective
Dans la pratique, il existe encore plusieurs zones géographiques dans le département de Madinani qui ne sont pas suffisamment couvertes par les ondes de communication électronique. Il convient aussi de souligner que les usagers des ressources numériques dans ces territoires sont exclus directement ou indirectement de la société de l’information. Cela entraine des difficultés dans la mise en œuvre effective de l’Intelligence Territoriale. Dans ces conditions, la transformation occasionnelle du téléphone mobile en téléphone « fixe » est l’une des manifestations concrètes des contraintes auxquelles est confrontée l’Intelligence Territoriale dans le département de Madinani. En effet, les populations dans leur volonté d’accéder à la société de l’information, pilier d’une Intelligence Territoriale, emploient diverses stratégies comme le montre la planche 2.
5 – Discussion
Abordant la question des facteurs explicatifs relativement à la problématique de « zones grises », plusieurs études menées sur d’autres espaces évoquent d’autres éléments explicatifs. C’est par exemple, le cas de l’étude réalisée à Bouaké sur les « zones grises » par A.F. LOUKOU (2016, p. 6). À travers cette étude, au-delà de la topographie des lieux et les conditions atmosphériques déjà abordées dans le présent travail, l’auteur indique que selon les techniciens, la propagation des ondes et les débits sont parfois tributaires de plusieurs paramètres tels que la puissance des équipements de réseaux, la performance des appareils de mesure des testeurs ou de réception de ceux des usagers, la végétation, les bâtiments, etc. Outre ces facteurs, il apparait que la logique commerciale des opérateurs au détriment de l’investissement adéquat dans les équipements de réseaux ainsi que l’absence d’implication des élus locaux dans le développement du numérique en sont d’autres raisons. D’une façon générale, l’adaptation permanente des opérateurs aux évolutions technologiques rapides, en matière de standards (par exemple, passage du GSM ou 2G aux 3G), engendre des dépenses élevées d’investissement, précise-t-il. Le manque d’électrification d’une zone peut être à la base de son sous-équipement en ressources TIC base d’une diffusion limitée des ondes (T. INZA, 2017, p.77). En dehors des facteurs susmentionnés, la perturbation des signaux Internet peut-être aussi liée à un autre facteur tel que les murs des bâtiments (A.C BOSSON 2015, p. 85). En effet, dans une zone réputée couverte, un bâtiment peut affaiblir de façon significative les signaux des clés USB data Internet dans la mesure où, les murs constituent de véritables barrières à la diffusion de ces derniers dans certains cas. À ce titre, il convient de souligner que l’élaboration des mesures de couverture territoriale d’un opérateur se fait en tenant compte de l’utilisateur se trouvant à l’extérieur du bâtiment complète-t-il.
Pour ce qui est des effets induits des « zones grises » de communication électronique sur l’effectivité de l’Intelligence Territoriale, plusieurs écrits reconnaissent les défaillances de l’I.T. sans l’implication des outils TIC. Dans un contexte de la société de l’information, ces écrits considèrent les TIC comme la force motrice de cet outil de développement territorial. N. FABRY (2005, p. 6) est l’un des auteurs qui aborde la question sous cet angle. Pour cet auteur, le numérique se présente comme un facteur de dynamisation, de redynamisation et de valorisation des territoires. Tout système d’information territoriale gagnerait en performance en intégrant de façon efficiente les TIC dans son fonctionnement. Ceci dit, la propagation discontinue des ondes qui est une manifestation des « zones grises » entraine ainsi une configuration spatiale liée aux modes de connexion à l’Internet explique A.C. BOSSON (2015, p.86). Cet auteur souligne que dans un monde où le processus de la mondialisation reste animé de plus en plus par le numérique avec comme vecteur principal l’Internet, la quête de connexion et la volonté de se connecter engagent de multiples actions à valeurs spatiales. L’Intelligence Territoriale serait l’une de ces valeurs. C’est pourquoi pour P. HERBAUX (2004, p.2), les TIC sont des outils de l’Intelligence Territoriale et l’un des instruments de sa pratique. Pour lui sans les TIC, l’I.T. ne pourrait fonctionner convenablement. Dans la même logique J.J. GIRARDOT (2004, p. 2-3) estime que l’I.T. qui encourage la participation de tous les acteurs territoriaux à l’animation de leur territoire, ne peut pas être opérationnelle dans ce paradigme de la société de l’information sans la prise en compte des TIC dans ce projet. Elles constituent un facteur clé dans le fonctionnement du système des territoires si elles sont diffusées de façon efficiente et accessible à tous.
Conclusion
La diffusion des ondes de communication électronique (GSM et Internet) apparait au 21ème siècle comme une condition préalable pour connecter les systèmes territoriaux. Loin d’être un luxe, l’acquisition et l’usage de ces technologies s’imposent à toute catégorie de population et de territoire pour évoluer dans ce nouveau paradigme. La bonne diffusion des ressources du numérique offre de nouvelles bases de développement local. Cela passe par la définition de nouveaux systèmes d’information territoriale telle que l’Intelligence Territoriale. Pourtant, les investigations révèlent que de nombreuses localités du département de Madinani sont affectées par ces « zones grises » de communication électronique. C’est une réalité qui a des répercussions néfastes sur la mise en œuvre effective de l’Intelligence Territoriale dans ce département. En un mot, la présente étude fait le constat selon lequel, l’une des principales difficultés de la mise en œuvre de l’Intelligence Territoriale dans le département de Madinani demeure la persistance des « zones grises » de communication électronique. Il est impératif d’assurer un déploiement des ressources numériques sur toute l’étendue de ce département.
Référence bibliographiques
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URL: http: //www.premiere-loi-geographie, consulté le 19/5/2019
Auteurs
1Doctorant en Géographie, Université Alassane Ouattara_Bouaké (Côte d’Ivoire), tien.inza@yahoo.com
2Maître de conférences, département de Géographie, Université Alassane Ouattara_Bouaké (Côte d’Ivoire), alain_loukou@homail.com
3Docteur en Géographie, adoubc@gmail.com