Dynamique des activités transfrontalières dans les communes de Save et de Ouesse au Bénin

Résumé

Les espaces frontaliers occupent une importante place dans la vie non seulement des populations qui y vivent mais aussi des pays que la frontière sépare. Ils sont des lieux de profit des différentiels des politiques économiques mis en place par chacun des pays. Les populations frontalières, du fait des liens ethniques existants entre elles, ignorent les règles établies par les Etats pour filtrer les entrées et les sorties et tirent quasi indifféremment les avantages économiques de chaque pays. La présente recherche s’intéresse aux différents mouvements socioéconomiques qui s’observent au niveau de la frontière bénino-nigériane  des communes de Savè et de Ouèssè au Bénin.

Les données utilisées sont collectées à travers la revue de la littérature, les observations directes, les interviews semi-directes et focus group. Elles sont relatives aux principaux marchés d’échanges, aux acteurs intervenant dans l’espace frontalier, à leurs activités, aux mouvements entre les deux pays.

Plusieurs acteurs interviennent au niveau de l’espace pour profiter des avantages existants de part et d’autre de la frontière. Les activités commerciales sont facilitées entre autres par la perméabilité de cette frontière et l’existence de plusieurs marchés au niveau de cet espace. En dehors des riverains qui jouissent d’une liberté de traversée, les mouvements de la grande partie des non riverains sont faits à des fins commerciales (88¨%). Le tourisme et les visites représentent (5%), les voyages de longue durée et autres non explicités occupent respectivement (4%) et  (3%) des traversées. 

Abstract

Border areas occupy an important place in the life not only of the populations who live there but also of the countries which the border separates. They are places of profit from the differentials in the economic policies put in place by each country. The border populations, because of the existing ethnic links between them, ignore the rules established by the States to filter the entries and the exits and draw almost indifferently the economic advantages of each country. This research is interested in the different socioeconomic movements that can be observed at the level of the Benin-Nigerian border of the Communes of Savè and Ouèssè in Benin.

The data used are collected through the literature review, direct observations, semi-direct interviews and focus group. They relate to the main trading markets, to the players operating in the border area, to their activities, to movements between the two countries.

Several actors intervene at the spatial level to take advantage of the advantages that exist on both sides of the border. Commercial activities are facilitated among other things by the permeability of this border and the existence of several markets in this space. Apart from residents who enjoy freedom of crossing, the movements of the majority of non-residents are made for commercial purposes (88%). Tourism and visits represent (5%), long-term trips and other unexplained journeys occupy (4%) and (3%) respectively of crossings.

Introduction

Les frontières sont un élément constitutif majeur de tout Etat (PNDEF, 2013, p.14). « Elles représentent généralement pour  les nations des espaces névralgiques et ont toujours été et demeurent sources de conflits dans plusieurs régions du globe. Lieux par excellence des échanges commerciaux, elles jouent aussi un grand rôle dans la maitrise de la sécurité de tout Etat, étant donné que des criminels de plus en plus se déplaçant d’un pays à un autre sont tenus de transiter par ces lignes de démarcation. Ainsi, dans ses fonctions, la frontière joue un rôle de traduction, de régulation, de différenciation et de relation » (B. DILLE, 2000, p.46). « Fréquemment tracées au cordeau ou appuyées sur des supports oro-hydrographiques, celles africaines ont marqué le commencement d'un long processus d'étatisation de l'espace et le compartimentage du continent noir par de nouvelles barrières, cadre du contrôle et de la souveraineté de l'Etat » (K. BENAFLA, 2002, p.7). Les frontières

 « ont eu pour effet d’une part de diviser des ensembles socioculturels (ou groupes ethniques) qui présentaient une certaine homogénéité et d’autre part, de regrouper dans un même espace des populations, des ethnies qui avaient de fortes différences entre elles au niveau de leurs modes d’organisation, de leurs croyances et de leurs langues. Elles ne font pas consensus au sein des populations visées puisqu’elles ne prennent que rarement en compte les réalités sociodémographiques ou sociopolitiques des populations africaines » (B. ROUPPERT, 2014,  2014, p.2).

De même, elles sont en déphasage avec les espaces d’échanges anciens structurés autour de réseaux marchands.  Toutefois,

« Ces réseaux qui existent depuis l’époque précoloniale, sont parvenus à adapter leurs trajectoires à l’évolution sur une échelle transnationale des flux de marchandises. Ainsi, les populations de part et d’autre de la frontière, ignorent superbement leurs frontières au premier degré en les traversant avec des troupeaux à la recherche d’eau et de pâturages; au second degré en y faisant transiter, dans tous les sens, des denrées et des produits de contrebande » (C. BOUQUET, 2003, p.7).

Enfin, « l’instauration de nouvelles frontières a créé de fortes inégalités entre les ressources matérielles, humaines de certains territoires. Il y a de grandes disparités en Afrique entre les Etats sur le plan des écosystèmes, des potentialités agricoles, des richesses minières, de la répartition de la population » (L. OUATARA, 2016, p.2).

La frontière entre le Bénin et le Nigéria est vitale pour les deux Etats, mais aussi pour la sous-région Ouest africaine. Elle facilite les échanges de toutes sortes par les diverses voies de communication : voie terrestre, voie fluviale et voie maritime. Cette vitalité explique la forte densité des activités économiques et le mouvement des personnes et des biens qui sont observés par les services des deux pays (A. L. SOSSOU-AGBO, 2011, p.6).

Au niveau des communes béninoises de Savè et de Ouèssè frontalières des Etats d’Ogoun, d’Oyo et de  Kwara au Nigéria se développent d’importantes activités commerciales très vitales pour les populations vivant dans cet espace transfrontalier. Au regard de l’importance   de ces activités, il se pose la question de savoir comment fonctionne cette frontière en termes d’échanges commerciaux. Le présent article vise à analyser les différents flux qui caractérisent cet espace.

1. Méthodologie

1.1. Cadre d’étude

Le milieu de recherche (figure 1) est compris  entre 2° et 2°46 de longitude Est et entre 7°30 et 9° de latitude Nord.

Fig11_1.png

Elle couvre entièrement les communes de Savè et de Ouèssè au Nord Est du département des Collines au Bénin. Il s’étend sur une superficie de 5428Km2 et est limité au nord par la commune de Tchaourou dans le département du Borgou, au sud par la commune de Kétou dans le département du Plateau, à l’ouest par les communes de Glazoué, Bantè et de Dassa-Zoumè dans le département des Collines et la commune de Bassila dans le département de la Donga. A l’Est, elle est limitée par les Etats d’Oyo, de Kwara et d’Ogoun en République Fédérale du Nigéria (figure1).

Le milieu de recherche est constitué de dix-sept arrondissements dont huit (08) pour la commune de Savè et neuf (09) pour la commune de Ouèssè. Six (06) de ses arrondissements savoir : Béssé, Okpara, Kaboua, Challa-Ogoi, Kilibo et Toui ont une ouverture sur le Nigéria. Les éléments qui déterminent le milieu physique des communes de Savè et de Ouèssè sont constitués par la nature du relief, le climat, les différents types de sol rencontrés, la structure de la végétation et le réseau hydrographique. Ils sont favorables au développement de plusieurs activités socio-économiques dans le secteur d'étude.

1.2. Données et méthodes de recherche

Dans le cadre de cette étude, l’approche méthodologique adoptée est axée sur la collecte des données, leur traitement et l’analyse des résultats. En ce qui concerne la phase de collecte des données, deux méthodes ont été utilisées à savoir: la recherche documentaire et l’enquête de terrain. La recherche documentaire a été menée essentiellement dans les bibliothèques, les centres de documentation des ministères sectoriels impliqués dans la gestion de la frontière au Bénin, notamment, le ministère de l’intérieur et de la sécurité publique, le ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, le ministère du cadre de vie, le ministère du commerce, le ministère des finances. De même, des documents ont été consultés au siège du Groupement Intercommunal des Collines et dans les mairies des communes de Savè et de Ouèssè.

S’agissant des enquêtes de terrain, les techniques utilisées pour le recueil d’informations combinent des focus groups, des entretiens et des visites de terrain dans dix-huit (18) localités frontalières  à savoir : Béssé, Igbodja,  Okpa, Bako, Oke olou i, Okounfo, Monka, Oke-owo i, Oké-owo ii,  Challa-Ogoi,  Gbédé,  Kokoro, Agboro-kombon, Yaoui,  Kilibo-adjougou,  Kilibo-gare, Toui-centre et Toui-gare. Le choix raisonné a permis la sélection des villages et personnes enquêtées. En effet, les villages situés à moins de trente kilomètres de la frontière ont été retenus pour l’enquête de terrain. Quant aux personnes interrogées, il s’agit des chefs de ménages ou leur représentants. Par souci de représentativité de tous les types de ménages dans chaque village, les ménages interrogés ont été identifiés par choix raisonné dans l’ordre impair de la succession des ménages. Un ménage est interrogé par maison.  

Les focus groups ont eu lieu avec les habitants desdites localités afin de savoir les différentes activités qu’ils mènent, les points de passage et les relations qu’ils entretiennent avec le Nigéria. Les entretiens ont été faits avec les élus locaux, les acteurs de la société civile, les responsables d’organisations paysannes ou agropastorales, les commerçants, les transporteurs, les agents de l’Etat intervenant dans la gestion des frontières, les partenaires internationaux y compris les organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires, les agents des forces de l’ordre et les douaniers en charge de la gestion de l’espace frontalier afin recueillir les données relatives aux différents flux. Les questionnaires sont adressés aux différents agents économiques notamment les commerçants, transporteurs, agriculteurs, conducteurs, cambistes et guides pour collecter des données relatives à leurs activités respectives. 

La taille de l’échantillon est calculée suivant la méthode de D. Schwartz (1995) et a permis de dégager un échantillon de 347 individus à interroger. Elle est exprimée par le protocole suivant :

X = (Zα)2 x pq / i2

Avec X = taille de l’échantillon ;

Zα = 1,96 écart réduit correspondant à un risque α de 5 %,  ce qui correspond à un degré de confiance de 95 % ;

p = n/N traduisant l’effectif des ménages des localités enquêtées, divisé par l’effectif total des ménages de l’ensemble des arrondissements parcourus ;

p=8508/14220 donc p= 0,60

q = 1-p ;  donc q = 0,40

i = 0,05

Suivant la présente formule, la taille de l’échantillon X = (1,96)2 x (8508/14220) x (1-0,6)/(0,05)2 donc X = 368,79, soit  X = 369.

Ainsi, le nombre total de personnes enquêtées par localité (tableau I) est obtenu en affectant un coefficient  Q = t/T ; avec t =  taille de l’échantillon obtenue par la méthode de Schwartz et, T = effectif total des ménages des localités enquêtées selon le RGPH4 de l’INSAE.

En effet, Q = p/P  entraine, Q = 369/8508, donc Q = 0, 04, soit Q = 4 % affectés à chaque effectif de ménage par localité enquêtée.

Les données recueillies sur le terrain ont ensuite fait l’objet de traitement. A cet effet, plusieurs logiciels ont été utilisés pour traiter les données recueillies. Il s’agit en l’occurrence du logiciel Excel pour la réalisation des graphiques et des tableaux, du logiciel Word pour la saisie du texte, du logiciel SPSS 21 pour le traitement statistiques et le logiciel Arc View pour la réalisation des cartes.

2. Résultats

2.1. Points de passage et marchés frontaliers

Comme toutes les bordures frontalières, cet espace recèle un potentiel de profitabilité et draine, à ce titre, des individus aux profils, intérêts et aux compétences variés, chacun intervenant dans son domaine. Ceci génère différents mouvements  au niveau de cet espace frontalier. Ils sont principalement au nombre de deux à savoir : les mouvements migratoires et les flux de marchandises. Ce dynamisme est favorisé par la multiplicité des voies d’accès au Nigéria et des marchés frontaliers dans l’espace. En effet, tous les villages immédiatement reliés à la  frontière ont au moins une issue sur le Nigéria. Ainsi, il est dénombré neuf (09) points de passage pour les deux communes  à savoir quatre (04) pour la commune de Savè et cinq (05) pour celle de Ouèssè (Igbodja, Monka, Okéowo, Kaboua, Kokoro, Kombon, Yaoui, Kilibo et Toui). En saison sèche, la traversée du fleuve Okpara, pour atteindre le Nigéria est possible partout le long de la frontière. Cette prolifération des routes et pistes favorise les transactions entre les deux pays à travers les différents marchés frontaliers (figure 2).

Fig11_2.png

Trois sortes d’échanges se font remarquer dans l’espace d’étude par le biais des marchés. Il s’agit des flux de proximité  (marchés de collecte) qui découlent des échanges entre marchés des localités villageoises proches, des flux de moyennes distances qui sont organisés autour des marchés de villes communales (marchés relais) proches des frontières et des flux de longues distances qui ont comme point de départ les marchés des grandes villes (généralement les capitales d’Etats ou les ports côtiers) vers les pays limitrophes (marchés polaires).

2.1.1. Flux de proximité et marchés des localités

Les marchés liés aux flux de proximités sont des marchés ruraux frontaliers dont la caractéristique est leur périodicité suivent la tradition de chaque espace. Les zones proches de la ligne frontière entretiennent des relations d’échange ou communiquent entre elles à partir des localités ou des points d’égale valeur ou d’égal volume. Les relations entre les points sont de solidarité et se font dans un espace sans équipements majeurs. Pour les localités concernées par ce type d’échange ou de communication, la frontière n’existe pas. Elle n’est qu’apparente (D. D. A. NASSA, 2005, p. 104). Dans le milieu de recherche, il s’agit des marchés d’Ayétoro, Affossemon, Kokoro, Kaboua, Oké-owo, monka, Alafia du côté béninois. Du côté du Nigeria, sont concernés les marchés de Ayégoun, Idjio, Okerete et Bido ayiki etc. En plus d’une interconnexion entre eux, ils approvisionnent les marchés secondaires ou de distances moyennes en denrées agricoles et reçoivent des produits manufacturés de ces derniers.

2.1.2. Les marchés liés aux échanges de moyennes distances

Ce sont des marchés relais entre marchés ruraux frontaliers et marchés départementaux à vocation régionale. Les marchés qui engendrent les relations de moyennes distances sont en général situés dans les villes secondaires frontalières. Il s’agit des marchés de la ville de Savè, de Ouèssè, de Toui et de Kilibo du côté du Bénin et les marchés des villes de Isinyi, Ofiki, Okéiho, et  Shaki (figure 2).

2.1.3. Flux de longues distances et marchés des grandes villes

Les échanges de longues distances se font sur de longs parcours. Ils partent des marchés des villes secondaires via les marchés départementaux vers les capitales ou les ports côtiers.

Leurs aires d’influences dépassent largement celles des départements. Les flux s’organisent le long des axes reliant des pôles majeurs d’activités. Ces marchés, le plus souvent quotidiens, regroupent plusieurs milliers de vendeurs. Aucun marché d’une telle envergure ne se situe dans l’espace d’étude. Toutefois, les flux transfrontaliers y relatifs le traversent. Du côté béninois, il s’agit des marchés internationaux de Parakou, Malanville, Bohicon et Dantokpa. Du côté nigérian, il s’agit des marchés des villes de Oyo, Ogbomosso, Lagos, Ibadan etc. Ils sont en connexion avec les marchés secondaires. En effet, les produits locaux en l’occurrence agricoles (ignames, mais, haricots, soja, noix de cajou, amande de karité) partent des marchés secondaires pour ceux des grandes villes ; en retour ils reçoivent de ces derniers des produits manufacturés.

2.2. Les acteurs locaux de l’espace frontalier

Plusieurs acteurs locaux interviennent dans l’espace transfrontalier. Les principaux sont les agriculteurs, les commerçants, les transporteurs, les transitaires, les conducteurs, les cambistes ou monnayeurs et les guides ou interprètes.

2.2.1. Agriculteurs et éleveurs

Les agriculteurs et éleveurs jouent un important rôle dans la dynamique transfrontalière du milieu d’étude à cause des produits issus de leurs activités (produits agricoles et d’origine animale). En effet, du fait de la disponibilité des terres cultivables et d’espace de pâturage en l’occurrence, la forêt Toui-Kilibo-Tchaourou (TTK), la zone enregistre un afflux des colons agricoles et des éleveurs transhumants et sédentaires. Les agriculteurs majoritairement béninois proviennent des départements du Zou et de l’Atacora et s’installent du côté nigérian. Beaucoup de béninois ont donc leurs champs ou fermes sur le territoire nigérian dont les terres paraissent plus fertiles et libres. Le contraire n’existe quasiment pas.

Les éleveurs sédentaires se sont installés de part et d’autre du fleuve Okpara dont la vallée leur sert de pâturage. Les transhumants proviennent du Nigéria à partir du mois de novembre. Certains s’y installent jusqu’en mars pour le pâturage, tandis que d’autres traversent tout le pays à destination du Togo.

2.2.2. Commerçants constitués de deux catégories

Les commerçants peuvent être classés en deux catégories en fonction de l’importance des achats qu’ils effectuent et des lieux d’approvisionnement. Il s’agit des détaillants et des grossistes.

Les détaillants fréquentent les marchés de proximité. Selon les produits de prédilection, les détaillants béninois des deux communes se rendent parfois avec des produits agricoles, dans les localités nigérianes. Après la vente, ils s’approvisionnent en produits manufacturés qu’ils reviennent vendre au Bénin. Ils les entreposent soit dans des magasins ou boutiques ou les livrent directement à des clients déjà identifiés.  Le mouvement inverse s’observe du côté des habitants des localités environnantes du Nigéria mais à une fréquence moins élevée.  Si les jours d’animation des différents marchés enregistrent les fréquentations les plus élevées, les mouvements s’observent tous les jours de part et d’autre de la frontière. Les mouvements de cette catégorie d’individus se limitent aux localités environnantes telles que : du côté du Bénin, Toui, Ayétoro, Kilibo, yaoui, Kobon, Kaboua, Monka, Béssé et  du côté nigérian, Bidoayiki, Iwèrè, Ikomu, Otou, Ofiki,  Bidomoussa, Ayégoun, Idjio etc.

Les commerçants grossistes vont généralement au-delà des villages pour l’achat des marchandises ou leur vente. Ils atteignent au moins les villes administratives de Ouèssè, Savè, Cotonou, Parakou Oyo, Ibadan, Shaki, Lagos etc. Les commerçants venant du Togo y sont aussi fréquents. Outre l’importance des distances qu’ils parcourent pour s’approvisionner ou écouler leurs produits, cette catégorie se différencie par l’importance de leurs marchandises et des moyens de transports qu’ils utilisent. 

2.2.3. Les conducteurs mobilisant plusieurs moyens

Les conducteurs sont chargés de transporter principalement, les commerçants, les marchandises, les voyageurs en général. Il s’agit des conducteurs de taxi-motos, les conducteurs des tricycles, les conducteurs des véhicules à quatre roues et les conducteurs de camions.

Les conducteurs de taxis motos sont les plus nombreux. Au nombre de trois cent soixante-quinze (375) professionnels, ils sont généralement organisés en associations selon les localités et immatriculés. Ils portent des uniformes sur lesquels sont inscrits les numéros qui les distinguent les uns des autres. Les taxis-motos paraissent les moyens de transport les plus adaptés à l’état dégradé des voies. Ils sont plus rapides et beaucoup d’usagers de ces frontières surtout les détaillants et les simples voyageurs, les préfèrent aux autres moyens.  Ils parviennent aussi à emprunter facilement les voies de contournement des postes de contrôles policiers et douaniers.

Les autres moyens (véhicules à quatre roues et les conducteurs de camions) estimés à soixante-trois (63) sont utilisés en fonction de la quantité des marchandises à transporter et de l’état de la voie.

2.2.4. Transporteurs essentiellement nigérians

Il s’agit des propriétaires de camions et de véhicules à quatre roues. Ils se chargent de chercher des marchandises à transporter par leurs véhicules. La négociation des prix de transport est faite par leur soin avant d’ordonner aux conducteurs d’effectuer le transport. Ils ne sont pas généralement du Benin mais plutôt du Nigéria pour ceux qui acheminent l’essence de l’intérieur du Nigéria pour le fleuve Okpara ou  quelquefois des agglomérations béninoises urbaines les plus proches telles que Ouèssè Toui, Kilibo, Kaboua ou Savè. Trente-huit (38) transporteurs  béninois exploitant prioritairement le Nigéria, sont dénombrés dans l’espace de recherche. 

2.2.5. Service de charge assurés par les cambistes

Au niveau des villages et localités situés à la lisière de la frontière, le Naira et le franc CFA sont utilisés indifféremment dans les échanges de petite envergure. Mais pour les grandes transactions surtout dans les grandes agglomérations, c’est la devise du pays qui s’impose. Il n’existe quasiment pas de structures officielles de change dans les localités. Seuls des individus sans la moindre formalité administrative en la matière se livrent à cette activité contre rémunération. Cinquante-deux (52) individus se livrant à cette activité sont identifiés dans le milieu de recherche. Le taux de change varie selon le coût du Naira, mais le prélèvement du cambiste ne change généralement pas. Ainsi par exemple en août 2019, sur dix mille (10.000) francs à changer en Naira, le cambiste ne gagne que 100 FCFA.

2.2.6. Passeurs/guides, interprètes acteurs non moins importants

Il existe d’autres groupes de personnes qui animent cette frontière et qui jouent le rôle d’intermédiaires. Il s’agit des guides ou passeurs qui aident les personnes non habituées à la zone à avoir gain de cause dans leurs préoccupations. Ils peuvent jouer le rôle de négociateurs entre les douaniers et un commerçant étranger à la zone, ou le rôle d’interprète, ou simplement un intermédiaire qui fait passer  un individu ou certaines marchandises dans une zone exposée au risque d’arrestation. Certains d’entre eux aident les peulhs transhumants à contourner les points d’entrée officielle.

2.3. Flux transfrontaliers dominés par les mouvements des personnes et des biens

L’intervention des différents acteurs cités plus haut engendre deux types de flux. Il s’agit des flux migratoires et des flux de marchandises.

Flux migratoires à échelles temporelles variables

De part et d’autres du fleuve Okpara qui sert de frontière naturelle entre les deux pays, s’observent deux grands types de mouvements des personnes. Les mouvements journaliers des riverains et les mouvements saisonniers ou périodiques des allochtones. Les mouvements à des fins économiques sont les plus importants (88%) à cause des intérêts économiques  que représente cet espace pour les différents usagers.

2.3.1.1. Mouvements journaliers impliquant plus les riverains

Il s’agit des populations vivant au niveau de la frontière. Ils représentent (84%) des traversées totales quotidiennes au niveau des points de passage de Oké-owo et de Ayétoro.  Ces populations ont leurs activités quotidiennes de part et d’autre et peuvent traverser au tant de fois que possible par jour la frontière. Certains ont leur résidence au Bénin et exercent leurs activités principales dans le Nigeria et vice versa. Plusieurs cultivateurs béninois des localités de Ayétoro, Suru-léré, Affossemon, Owolafè, Okéowo et Kaboua, traversent le fleuve Okpara pour aller dans leurs champs sur le territoire nigérian. Il en est de même des commerçants locaux qui font le tour des marchés de proximité indifféremment de la frontière pour acheter ou vendre leurs marchandises. Les élèves des agriculteurs béninois se trouvant sur le territoire nigérian traversent ce même fleuve pour se rendre dans les écoles béninoises de Suru-léré, Ayétoro et Affossemon.

Les éleveurs des localités environnantes traversent avec leurs troupeaux presque quotidiennement  la frontière à la recherche de pâturage.   Ces populations qui jouissent d’une liberté totale de circulation à travers la frontière, jouent généralement les rôles d’intermédiaires aux commerçants contre de petites rémunérations. Certaines d’entre elles sont par conséquent exposées au risque de comploter avec des individus de moralité douteuse dans leur pratique d’activités illicites (recèle de criminels, trafics illicites de toutes sortes : armes, de migrants, de drogue etc.). Les transporteurs notamment les conducteurs de taxi-motos des localités et hameaux frontaliers font également la navette plusieurs fois dans la journée.

Pour ces populations, la frontière n’est qu’imaginaire, car elle ne les limite pas dans leurs mouvements et activités. Il s’agit d’un terroir homogène, la plupart se connaissent et se réclament généralement tous (populations vivant de part et d’autre de la frontière) des deux pays selon les circonstances. Ils ne subissent pas les mêmes contrôles auprès des agents de la police ou de la douane des deux pays.

2.3.1.2.  Mouvements périodiques animés par des non riverains

Bien qu’ils ne s’agissent pas de frontières conventionnelles, les  lieux de passages enregistrent d’importants trafics qui méritent une attention particulière. Ils semblent même être des lieux privilégiés pour certaines activités illicites. La figure 3 présente le nombre moyen de passants par jour et par localité enregistrés  au niveau des différents points de passage.

Fig11_3.png

La lecture de la figure 3 montre que le trafic est plus dense dans les localités d’Affossemon et de Ayétoro. Ceci s’explique entre autres par le fait:

  • de la proximité de ces deux localités avec les marchés nigérians  de Bido ayiki et de Okèrètè qui attirent d’importants commerçants à cause des produits qu’ils accueillent ; 
  • des  habitants des grandes agglomérations béninoises de Toui et de Kilibo, dont les routes débouchent respectivement sur ces deux localités nigérianes, fréquentent en grand nombre le Nigéria ;
  • de la faiblesse du contrôle douanier sur ces voies par rapport aux autres.

Le rechargement en 2018 du tronçon Kokoro-fleuve Okpara pourrait augmenter le trafic sur cet axe dans les années à venir par ce que certains ouvrages de franchissement ont été construits. De mêmes plusieurs habitants du village de Kokoro et environs qui auparavant empruntaient d’autres voies pour atteindre le Nigéria vont préférer cet axe.

Les tendances présentées sur la figure 3 n’indiquent pas réellement les dynamismes des mouvements au niveau de cet espace. En effet, selon les informations, plusieurs contrebandiers n’empruntent pas les routes ou pistes connues de tous. Dans leur volonté d’échapper aux contrôles douaniers ou policiers, ils contournent ces voies empruntant celles qui sont les plus fermées et connues seulement d’eux  et des autochtones. De même, ils préfèrent opérer de nuit toujours dans leur dessein de ne pas être interpelés.

La grande partie de ces mouvements de non riverains sont faits à des fins commerciales (88¨%). Le tourisme et les visites représentent (5%), les voyages de longue durée et autres non explicités occupent respectivement (4%) et  (3%) de l’effectif. 

2.3.2. Flux des marchandises

Outre les mouvements migratoires, les flux au niveau de la frontière Bénino-nigériane dans le secteur d’étude s’observent également pour l’importation et l’exportation des marchandises. Il existe des flux relatifs aux importations vers le Bénin et ceux relatifs aux exportations vers le Nigéria.

2.3.2.1. Flux transfrontaliers relatifs aux importations vers le Bénin

L’espace frontalier des deux communes avec le Nigéria est le théâtre d’une diversité de commerces licites ou illicites, informels et formels au premier rang les hydrocarbures.

2.3.2.1.1. Les Hydrocarbures et leurs dérivés

Selon les personnes enquêtées, l’hydrocarbure pourrait représenter 45% des importations totales traversant la frontière des deux communes. Le commerce des produits pétroliers en l’occurrence l’essence est très marqué dans le secteur d’étude et met en activité plusieurs acteurs. Il  est à dominance informel, car la grande partie échappe au contrôle des services des douanes. Deux catégories d’acteurs se font distinguer à savoir les grossistes et les détaillants. 

Des grossistes béninois maitrisant bien le secteur avec les différents circuits se rendent dans les villes nigérianes proches de la frontière notamment Shaki, Iwèrè, Igana, Okeho pour s’approvisionner directement  au niveau des stations. Ils font les formalités nécessaires avec l’aide de convoyeurs nigérians qui se chargent de  suivre la marchandise jusqu’à la frontière où, ils achèvent leur mission. Un autre convoyeur,  béninois prend le relai, s’occupe des formalités douanières et policières et assure la traversée du fleuve Okpara et la conduite de la marchandise jusqu’au niveau de la destination convenue avec le grossiste. Celui-ci rémunère le convoyeur en lui confiant une certaine somme d’argent incluant les charges douanières, policières et ses honoraires.

D’autres grossistes béninois voulant éviter les tracasseries et les risques de saisie de leurs marchandises, à l’intérieur du Nigéria, s’entendent avec leurs partenaires nigérians qui acheminent les produits jusqu’au fleuve où la transaction est faite. A l’aide de camions, de camionnettes ou de véhicules à quatre roues de diverses natures, ils traversent le fleuve Okpara pour se retrouver sur le territoire béninois. 

Les détaillants quant à eux, parcourent moins de distance et les quantités achetées sont moindres car ne pouvant excéder sept cent cinquante litres (750) par voyage. Ils utilisent généralement des motos comme moyens de transport, mais certains d’entre eux commencent par expérimenter les tricycles. Ils s’approvisionnent au niveau des stations des localités frontalières nigérianes les plus proches ou auprès des grossistes nigérians installés au niveau de la frontière. Ils revendent leurs marchandises au niveau de leurs étalages installés le long des voies. Selon les détaillants, ceux qui s’approvisionnent  dans le Nigéria font un bénéfice d’environ cinquante (50) francs sur le litre, de plus que ceux qui le font auprès des grossistes sur le territoire béninois. 

Afin d’échapper aux contrôles douaniers et policiers, la grande partie du trafic est faite de nuit entre vingt-deux heures et cinq heures. Selon les acteurs du secteur, le trafic de nuit représenterait environ deux fois celui du jour dans le secteur d’étude. Certains grossistes déversent leurs contenus dans les entrepôts réservés à cette fin en attendant d’être livrés aux détaillants. D’autres par contre desservent l’intérieur des deux communes béninoises de Savè et de Ouèssè et celles limitrophes. D’autres encore acheminent leurs produits vers le Togo, par des chemins et pistes peu connus des services de contrôle.

Les moyens les plus appropriés et rapides pour le transport de ces produits sont les engins à deux roues, du fait de l’état dégradé des routes surtout en saisons des pluies (planche 1). Leurs systèmes d’amortissement sont renforcés et leur conduite nécessite une expertise particulière du fait de l’état dégradé des pistes.

Une fois des bidons jaunes de capacité vingt-cinq (25) litres sont remplis d’essence, deux sont d’abord attachés de part et d’autre de la roue arrière de la moto soit au total quatre (04).  D’autres sont emballés dans des sacs à raison de quatre par sac. Ils sont ensuite placés sur la scelle de la moto qui peut supporter jusqu’à cinq sacs soit au total vingt (20) bidons de 25 litres d’essence (planche 1).

Fig11_4.png

Pour démarrer dans la nuit profonde, les conducteurs remorquent entre vingt et vingt-cinq bidons de vingt-cinq (25) litres remplis de carburant. Ils cheminent en convois d’au moins dix conducteurs pour des raisons non seulement de sécurité, mais surtout de solidarité et d’entraide en cas de panne ou autre incident sur le trajet. La destination peut atteindre le Togo, par des chemins détournés.

La photo à gauche montre une moto chargée de bidons remplis d’essence à la frontière béninoise de la localité de Oké owo au Bénin. Au total, elle transporte vingt-quatre (24) bidons de 25 l chacun remplis d’essence. La photo à droite montre le mode de transport à moto des sacs de riz de la ville de Savè pour la frontière du Nigéria.

2.3.2.1.2. Produits manufacturés variés

Les produits manufacturés représentent selon les personnes enquêtées, 38% des importations par les frontières du milieu d’étude et sont de diverses natures et de diverses qualités. Il est quasiment impossible d’en estimer les quantités transportées au regard du caractère clandestin qui le caractérise et de la multiplicité des pistes d’accès au Nigéria. Il s’agit entre autres :

-des pièces détachées contrefaites ;

-des produits alimentaires : des boissons,  des boites de conserve,  du lait en poudre, du Nescafé, des biscuits, des bonbons, légumes en conserves, cube Maggi, sucre, etc.  ;

-des produits de soins, de beauté, des pâtes dentifrices, des brosses à dents, des cigarettes, des crèmes, des laxatifs, des perruques, des mèches, des colorants, de gels, des  rasoirs, shampooing ;

-des produits plastiques, de quincaillerie, des ustensiles de maison etc ;

- des produits de textiles : Pagnes, tissus, dentelle, broderie, vêtements de friperie, etc ;

-de petits appareils et outils : montres, calculatrices, photos, outils agricoles, machettes, couteaux ;

-des appareils électriques et domestiques : Radio, télé, magnétoscopes, lampes, fers, etc ;

-des savons et lessives : Détergents, lessives, savons, détachants, etc ;

-des produits chimiques : Pesticides, engrais, insecticides, etc ;

-des chaussures : Cuir, plastiques, textiles, sports, etc ;

-dérivés des hydrocarbures : huile à moteur, graissages, etc ;

-les médicaments prohibés, communément appelés faux médicaments.

2.3.2.1.3. Les médicaments prohibés

Il s’agit de toutes sortes de médicaments prohibés sous forme de comprimés, de sirop, de poudre qui n’empruntent pas la voie officielle de commercialisation des produits pharmaceutiques etc. Du fait des différentes luttes engagées par le gouvernement de la République du Bénin, leur importation bénéficie désormais de sérieuses précautions à l’instar des traditionnels trafics illicites de drogues et d’armes. Ainsi, ils ne se transportent plus comme des produits ordinaires et ne se retrouvent plus facilement sur les étalages. Leur transport est confié à des personnes de confiance et ils ne sont livrés qu’aux clients fidèles pouvant garder le secret. Un intrus ne peut se procurer de ces produits ; car il sera considéré comme un espion des autorités. Cette mesure engendre leur surenchère sur le marché.

L’achat et le transport en de très  petites quantités sont privilégiés par les trafiquants  pour éviter d’être arrêtés par les forces de l’ordre. Ainsi, lesdits produits sont achetés et conditionnés dans un sachet que le commerçant  enfonce dans son sac à main ou au fonds d’autres produits autorisés. Il traverse la frontière soit à moto ou à pied avec le sac à main comme si de rien n’était.

Les principaux itinéraires des produits en provenance du Nigéria sont :

-           Ichaki-Toui et Kilibo-Ouèssè-idadjo Bantè -Bassila- Togo

-           Ichaki-Toui et Kilibo-Tchaourou-Agbassa-Bassila-Togo

-           Ibadan-Ayégoun-Idjio-Oké-owo-savè-Bohicon-Cotonou

-           Lagos- Ayégoun-Monka-Savè-Bohicon- Cotonou

-           Lagos- Kaboua-Savè-Bohicon-Cotonou

-           Lagos- Kaboua-Savè-Bohicon- Togo

2.3.2.1.4. Le Commerce des produits agricoles

Les produits agricoles proviennent des villages frontaliers nigérians tels que Bidoayiki, Okèrètè,  et Ayégoun qui constituent de grands greniers agricoles habités majoritairement par des migrants béninois. Du fait de l’éloignement des villes nigérianes, les produits agricoles de ces localités sont dans leur majorité écoulés au Bénin. Il s’agit principalement du maïs, du soja, du mil, du sorgho, de l’igname, du manioc, de noix de cajou, d’amande de karité. Ils sont collectés par des commerçants dans des fermes et hameaux ou les jours d’animation des marchés frontaliers nigérians. Ils sont acheminés vers les grandes agglomérations telles que Savè, Ouèssè, Parakou, Malanville et Cotonou ou exportés. 

2.3.2.2. Produits de réexportation vers le Nigéria 

Il s’agit principalement des produits de réexportation. Ce sont des marchandises provenant de l’étranger et transitant par le port autonome de Cotonou à savoir des produits alimentaires en l’occurrence le riz, l’huile végétale,  les véhicules d’occasion, les friperies etc). Ils  jouent un rôle important dans l’animation des échanges commerciaux informels dans le secteur d’étude. Malgré l’interdiction par le gouvernement Nigéria du riz d’origine asiatique, ce produit y pénètre dans la clandestinité.

Les magasins des grossistes béninois situés dans les localités de Savè, Kokoro, Kilibo, Toui,  reçoivent des milliers de sacs de riz en provenance du port autonome de Cotonou. Par des motos  (planche 1) de petites quantités sont transportées de ces magasins, de préférence les nuits pour la frontière où, après avoir traversé  le fleuve Okpara, ils atteignent le Nigéria. De jour, ils sont d’abord entreposés dans des maisons d’habitation  au niveau des localités ou hameaux non loin du fleuve, comme destinés à la consommation sur place et entrent de nuit dans le Nigéria pour rester à l’abri des services d’immigration et de douane. Le transport de nuit se fait par convoi pouvant atteindre une trentaine de conducteurs de taxi moto, parmi lesquels il y a plusieurs spécialistes pour les cas de dépannage (mécaniciens, électriciens, vulcanisateurs). Du fait du caractère informel de l’activité, aucune statistique officielle n’est disponible par rapport à ces flux.

3. Discussions

Plusieurs catégories de personnes profitent de la frontière entre le Nigéria et le Benin au niveau des communes de Savè et de Ouèssè. Leurs différentes activités engendrent différents mouvements qui expliquent le dynamisme de cet espace. Ce constat est conforme à la conclusion de (J. O. IGUE, 1993, p. 3),  qui a montré que,

« les barrières érigées par le colon sans tenir compte des réalités des peuples constituent un handicap pour le développement de l’Afrique, mais  les populations en sont tellement conscientes qu'elles contournent une partie de ces difficultés par les activités d'échanges de type informel, devenues un élément efficace de la structuration spatiale ».

Etudiant les différents types de  centres d'échanges, l’auteur en distingue quatre  à savoir : « les marchés de collecte, de regroupement, de transit et de consommation. Ces différents marchés constituent au niveau national les maillons essentiels des relations ville-campagne; lorsqu'ils sont localisés à la frontière, ils renforcent plutôt les relations de bon voisinage se traduisant par le développement exceptionnel des zones frontalières, gage d'une coopération régionale plus dynamique » (J. O. IGUE, 1993, p. 3).

De même, (A. L. SOSSOU-AGBO, 2011, pp. 11-20) met en exergue les différents marchés frontaliers entre le Nigéria et le Bénin en décrivant l’organisation de la contrebande transfrontalière facilitée par certains facteurs géographiques  au niveau de la frontière tels que  les lagunes qui rendent difficile l’action répressive des douaniers.

Pour la compréhension de l’analyse  autour des flux transfrontaliers entre la Côte- d’Ivoire et ses voisins à savoir le Ghana, le Burkina-Faso, le Mali et la Guinée, (D. D. A. NASSA, 2006, pp .87-211), à travers une modélisation de ses observations, est parvenu à faire percevoir les différents niveaux de déroulement des échanges. Ce qui lui a permis de les classer en trois catégories à savoir : les marchés liés aux échanges de proximité, les flux de courtes distances et les flux de longues distances. Il a décrit les principales marchandises objet de transaction entre la Côte-d’Ivoire et chacun de ses voisins limitrophes.

Etudiant les relations commerciales entre deux villes jumelles Malanville au Bénin et Gaya au Niger, séparées distantes seulement de 7 km, E. SOUGUE (2016, pp. 3-14) indique que « certains produits emblématiques tels que l’oignon » quittent le Niger pour le Benin via Gaya, tandis que les marchandises en provenance du port autonome de Cotonou et des produits vivriers transitent par cette même ville pour desservir le Niger. Il parvint à décrire les principales relations entre ces deux espaces d’échanges.

S’agissant des mouvements de personnes, l’étude de B. DILLE (2000, pp.87-150) sur les impacts socio-économiques de la frontière entre le Niger et le Nigeria sur le développement de la ville nigérienne de Konni a identifié dans la zone frontalière, trois types de marchés à savoir, les marchés polaires tels que  ceux de Maradi-Konni-Kano, les marchés relais et les marchés de brousse qui servent de lieu de collecte des denrées agricoles et de revente des produits manufacturés. Il a également étudié les mouvements journaliers de personnes entre la ville de Konni au Niger et sa jumelle Illéla au Nigéria. Sur le tronçon qui relie les deux localités, le trafic est plus dense les mercredis et les dimanches qui correspondent respectivement aux jours d’animation des marchés de Konni et de Illéla. Au cours de l’année, le pic des flux migratoires est observé entre octobre et novembre, période de récoltes.

Conclusion

La proximité du Nigéria avec les communes de Ouèssè et de Savè a favorisé le développement du commerce, de l’agriculture, du transport et des services de change dans le milieu de recherche. Plusieurs acteurs locaux qu’étrangers y interviennent pour profiter des avantages qu’offre la frontière (agriculteurs, éleveurs, transporteurs, commerçants, cambistes, démarcheurs etc). Bien qu’étant informelles dans leur ensemble, les activités pratiquées par ces différents acteurs contribuent au renforcement de leur capacité financière.

 La facilité de traversée de la  frontière dans un sens comme dans l’autre due au lien étroit entre les peuples vivant de part et d’autre de la frontière pourrait faciliter également la circulation des individus de moralité douteuse entre les deux pays et conduire à l’exacerbation de l’insécurité. C’est pour cela que des initiatives de coopération de proximité (coopération décentralisée) entre les instances politico-administratives des deux pays s’avèrent nécessaires pour le bien des deux peuples condamnés à vivre ensemble. Ceci pourrait contribuer à la prévention des conflits, la lutte contre la criminalité transfrontalière et l’essor économique de cet espace.

Références bibliographiques

BENNAFLA Karine, 2003, « Commerce, marchés frontaliers et villes-frontières en Afrique centrale, In Pumain D. (dir.), Villes et frontières, Paris, Anthropos, p. 137-150

DILLE Bibata, 2000, « Frontière et développement régional, impacts économiques et social de la frontière Niger-Nigéria sur le développement de la région de Konni ». Thèse de Doctorat en sciences économiques, Université Lumière Lyon 2, France p. 310.

IGUE Ogunsola John, 1993, « Echanges et espaces de développement : cas de l'Afrique de l'Ouest » In: Travaux de l'Institut Géographique de Reims, n°83-84, Espaces africains en crise. Formes d'adaptation et de réorganisation. pp. 19-39

NASSA Dabié Désiré Axel, 1998, « L’étude des échanges de personnes et de marchandises entre Bondoukou et Sampa (Ghana) », Mémoire de maîtrise, Université de Cocody-Abidjan, p. 175.

NASSA Dabié Désiré Axel, 2000,« Odienné et son hinterland. La dimension frontalière de l’économie du Denguélé, l’Economie locale d’Odienné (Denguélé) Côte d’Ivoire », In Labazee P. (dir.), Comptes, acteurs et dynamiques de l’économie locale, Rapport général, Abidjan, ENSEAIRD, p. 67-70

NASSA Dabié Désiré Axel, 2005, « Commerce transfrontalier et structuration de l’espace au Nord de la Côte d’Ivoire », Thèse de doctorat en Géographie. Université Michel de Montaigne - Bordeaux III. p. 337.

OUATTARA Ladji, 2015, « Frontières africaines 1964-2014 », Diploweb.com, la revue géopolitique, p.16

SOSSOU-AGBO Anani Lazare 2011, « Dynamique territoriale à la frontière bénino-nigériane: rôle des marchés du Sud-Est », Brit XI, Sep 2011, Geneve/Grenoble, France, p.23, <halshs-00745450>

SOSSOU-AGBO Anani Lazare, 2013, « La mobilité dans le complexe fluvio-lagunaire de la basse vallée de l'Ouémé au Benin, en Afrique de l'Ouest », Thèse de doctorat, Université de Grenoble (France); Université d'Abomey-Calavi (Bénin), p.357

SOUGUE Edmond, 2018, « Nouvelles territorialités urbaines transfrontalières en Afrique de l’Ouest : processus d’émergence et de construction ». in Géographie, Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, p.18 

 

 

 

 

 

Auteurs

1Laboratoire Pierre Pagney «Climat, Eau, Écosystème et Développement» (LACEEDE), Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Université Abomey-Calavi (UAC-Bénin), salabisd78@yahoo.frBONOU  

2Laboratoire Pierre Pagney «Climat, Eau, Écosystème et Développement» (LACEEDE), Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Université Abomey-Calavi (UAC-Bénin), bonoudominique87@gmail.com

3YABI Ibouraïma Laboratoire Pierre Pagney «Climat, Eau, Écosystème et Développement»(LACEEDE), Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Université Abomey-Calavi (UAC-Bénin), yafid2@yahoo.frCLEDJO  

4Fabiyi Gbèyimon Adjaï Placide Laboratoire Pierre Pagney «Climat, Eau, Écosystème et Développement» (LACEEDE), Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Université Abomey-Calavi (UAC-Bénin), cledjoyah@yahoo.fr

 

 

 

Catégorie de publications

Date de parution
30 sep 2020