Incidences socio-économiques de l’agro-industrie dans la région de Dabou (Côte d’Ivoire)

Résumé

Le présent article pose la problématique des incidences socio-économiques de l’agro-industrie dans la région de Dabou. La question centrale qui a guidé ce travail est de s’interroger sur les impacts des unités agro-industrielles sur la modernisation et la transformation du cadre vie.

Une méthodologie basée sur la recherche documentaire, les entretiens et les enquêtes de terrain a été privilégiée pour analyser les mutations spatiales induites par les activités agro-industrielles.

Il ressort de nos investigations que l’agro-industrie a contribué à la modernisation des villages Adioukrou et facilité les migrations pendulaires entre et le village Bouboury.

Abstract

This article raises the issue of the socio-economic impacts of agro-industry in the Dabou region. The central question that guided this work is to question the impacts of agro-industrial units on the modernization and transformation of the living environment.

A methodology based on documentary research, interviews and field surveys was chosen to analyse the spatial changes induced by agro-industrial activities.

Our investigations show that the agro-industry has contributed to the modernization of the Adioukrou villages and facilitated the pendulum migrations between Dabou and the Bouboury village.

Introduction

A l’indépendance en 1960, la Côte d’Ivoire a décidé de faire de la région de Dabou un pôle de développement de l’agro-industrie. Le choix de faire de cette région un pôle agro-industriel est hérité du passé colonial. Pendant la colonisation, l’administration métropolitaine avait installé des factoreries à Bouboury, Dabou, Cosrou, Môpôyèm et Toupah. Elles étaient des usines de transformation de l’huile de palme qui assumaient en même temps les charges de chambres de commerce. Les exemples de la CFAO (Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest) et de la SCOA (Société Commerciale de l’Ouest Africain) sont parfaitement illustratifs (A. Loba, 2008, p. 59). Les structures installées ont jeté les bases d’un commerce d’huile de palme dans la région. Les relations particulières des autochtones Adjoukrou avec la palmeraie avaient contribué à développer cette politique du pouvoir colonial.

À partir de 1961, en s’appuyant sur les acquis de la période coloniale, l’action du Gouvernement dans le pays adjoukrou a porté sur l’expérimentation d’unité agro-industrie de palmier à huile et d’hévéa. Ainsi, le premier Plan Palmier (1961-1978), le "programme intérimaire de relance" (1983 et 1985) et le deuxième Plan Palmier (1985-1990) et ceux d’hévéas (hévéa 3 ou PVI (1978-1983), hévéa 4 ou PV 2 (1983-1987), hévéa 5 (1987-1991) et hévéa 5 bis seront lancés en Basse-Côte (T. A. Koby, 1993, pp.315-317). Avec le développement de l’activité agricole dans cette région du pays, l’État a installé des agro-industries de transformation des matières premières dès 1963 avec la SODEPALM[1] pour le palmier à huile et en 1964 avec la SAPH[2] pour l’hévéa et les centres de recherche comme l’IRHO (Institut de Recherches sur les Huiles et Oléagineux) (A. Sawadogo, 1977, p. 290) et l’IRCA (Institut de Recherche sur le Caoutchouc) (T. A. Koby, 1993, p. 275). Les unités agro-industrielles installées par l’État appuieront l’activité agricole qui était déjà pratiquée par les populations locales. Après plus d’un demi-siècle, les activités agro-industrielles continuent de se pratiquer dans la région de Dabou. La présente recherche ambitionne de s’interroger sur les impacts de leur présence sur la modernisation et la transformation du cadre de vie dans cet espace. À cette question de recherche sont rattachés des objectifs qui sont d’une part de faire l’inventaire des activités agro industrielles en présence en prenant soin d’apprécier leur typologie et d’autre part la modernité induite par cette activité économique. En somme, cette étude vise à faire un bilan de la modernisation du cadre de vie des populations suscitée par les activités agro-industrielles de la région de Dabou.

1. Présentation du site de l’étude

La région de Dabou ou le « pays Adjoukrou ou Adioukrou» comprend l’ensemble de tous les villages appartenant au département de Dabou et partageant la langue et la culture Adjoukrou. Cet espace étend entre 4°20 et 4°40 de Longitude Ouest, entre 5°15 et 5°30 de Latitude Nord. Il s’inscrit dans un cadre géographique délimité : au Sud : par la lagune Ebrié, à l’Est : par l’Agnéby (fleuve côtier) ; à l’Ouest : par le Ira ; au Nord : par une série de forêt classées de Cosrou, de Bakanou (Sikensi), au Nord-ouest : la forêt de Pedo, Nord-est. Sur le plan administratif, cette région coïncide, grosso modo, avec le département de Dabou limité, au Sud par celui de Jacqueville, au Nord par le département de Sikensi, à l’Est par le District d’Abidjan et à l’Ouest par le département de Grand-Lahou (Figure 1).

Fig8_1.png

 Cette région « a la forme d’une demi-circonférence limitée au Sud par un diamètre long de 50 kilomètres et qui serait le bord de la lagune Ebrié, entre Dabou à l’Est et Cosrou à l’Ouest » (Dupire et Al., 1958, p.6).

 2. Le cadre méthodologique

Pour la réalisation de la présente étude, deux méthodes de collecte pour rechercher les informations ont été nécessaires. Il s’agit de la recherche documentaire et de l’enquête de terrain. L’étude documentaire s’est faite dans les bibliothèques de l’IGT, de l’IRD, de l’UFR-SHS, etc., Dans ces bibliothèques, ce sont des thèses et des mémoires abordant la politique de la mise en place des infrastructures agro-industrielles en Côte d’Ivoire qui ont été lus. Cette recherche documentaire a été également appuyée par les ouvrages numériques disponibles sur l’Internet et les archives des groupes PALMINDUSTRIE et SODEPALM pour le palmier et des groupes SODEHEVEA et SAPH pour l’hévéa. La consultation de ceux -ci a permis d’acquérir des informations détaillées sur la région notamment celles relatives aux cultures pérennes pratiquées, à la localisation des agro- industries par rapport aux PI (plantation industrielle) et aux PV (plantation villageoise), à la spatialisation des agro- industries dans la localité, aux équipements éducatifs, sanitaires, électriques, téléphoniques et à l’habitat (figure 2).

Fig8_2.png

Au niveau de la documentation cartographique, nous avons eu recours aux cartes produites par le Centre de Cartographie et de Télédétection (CCT) de 2017 et l’Institut National de la Statistique (INS) en 2020. Ces cartes donnent des informations sur le découpage administratif, la ville, les villages noyaux, l’hydrographie, l’hydrographie, la voirie (bitumée et non bitumée).  En ce qui concerne l’enquête de terrain, elle s’est réalisée en deux volets : L’entretien avec des structures et personnes ressources et l’enquête par questionnaire. Les entretiens ont été effectués auprès des services de l’ANADER[3], des directions des agro-industries et des ménages. Au niveau des directions des agro-industrielles, l’entretien a porté sur les superficies exploitées ainsi les quantités de produits usinées. Des tableaux et un graphique ont été réalisés pour analyser et expliquer l’évolution des tonnages. En plus, l’entretien a également redevances alloués aux villageois, le type d’équipements socioéconomiques réalisés afin d’avoir une claire du niveau d’urbanité des villages. L’enquête par questionnaire a concerné les ouvriers travaillant dans ces unités et les villageois. Avec eux, l’enquête a porté sur leurs lieux de résidence, leurs mouvements pendulaires (domicile-travail).

Pour le choix des travailleurs agro-industriels, nous avons opté pour un échantillon à choix raisonné. Les critères de choix des ouvriers sont l’âge, l’état matrimonial, le niveau d’instruction, l’ethnie, le temps mis dans cette activité.

Les résultats obtenus pourront être généralisés à l’ensemble des complexes agro-industriels de la région. Les données collectées ont été dépouillées manuellement et traitées à l’aide d’un ordinateur. Ces informations ont permis de concevoir des tableaux et des graphiques et d’obtenir des résultats qui sont analysés.

3. Résultats

3.1. La typologie et l’importance des agro-industries implantées dans la région de Dabou

3.1.1. Des agro-industries d’hévéa et de palmier à huile

Pour soutenir le développement économique du pays Adjoukrou, quatre industries ont été créées pour la transformation primaire des cultures d’exportation. Deux industries sur l’axe Dabou- Sikensi ; la Compagnie de de Caoutchouc de Pakidié (CCP) et la PALMAFRIQUE.  Deux entreprises industrielles sont situées sur l’axe Dabou-Grand Lahou sur la côtière. Il s’agit de deux entreprises de transformation primaire de l’hévéa, la Société de Développement du Caoutchouc Ivoirien de Bouboury (SDCI-B) et la Société Africaine des Plantations d’Hévéa (SAPH). Le tissu industriel est dominé par des usines de transformation du caoutchouc naturel. En effet, on note trois entreprises de transformation de caoutchouc contre une seule entreprise de transformation d’huile de palme. Les entreprises SAPH et SDCI sont situées dans deux villages[4].Cependant, les entreprises CCP et PALMAFRIQUE ne sont adossées à aucun village[5] du milieu rural Adjoukrou. Des logements de travailleurs ont été construits à proximité des usines leur permet de se rendre aisément au service et éviter les retards.        

La SAPH a été créée pendant la période coloniale en 1956 dans le village Toupah. Elle est spécialisée dans la production, la transformation et la vente du caoutchouc naturel. 154[6] personnes y travaillent. Elle est bâtie sur une superficie de 7300 hectares avec des logements des travailleurs et une gendarmerie autour de l’usine. Cette entreprise possède de grandes exploitations agricoles industrielles estimées à 6300 hectares surtout à Toupah et Vieil-Ousrou. Les différentes productions sont mentionnées dans la figure 3.

Fig8_3.png

Cette courbe présente une évolution croissante des quantités usinées de caoutchouc naturel de de 2015 à 2019. Cette croissance s’explique par l’amélioration de la capacité d’usinage, l’extension du verger des plantations industrielles et l’augmentation de l’achat du caoutchouc naturel aux planteurs privés.

La société SDCI a été créée le 27 mai 2017 sur une superficie de 400 m2 au sud de Bouboury, village situé à 8 kilomètres de Dabou. Elle emploie 275 travailleurs, dont 36 personnes dans l’administration et 239 à l’usine). Elle est également spécialisée dans transformation industrielle du caoutchouc naturel. La particularité de cette unité industrielle est qu’elle ne dispose pas de plantations industrielles. En effet, elle est approvisionnée en caoutchouc naturel par les propriétaires des plantations villageoises.

La Compagnie de Caoutchouc de Pakidié (CCP) a été créé en 1960. Elle comprend une usine et ses bureaux sur une superficie de 4,23 hectares et deux cités ouvrières reparties sur 22 hectares. L’usine est mitoyenne de la plus grande cité abritant les travailleurs et les plantations industrielles d’une superficie de 1623 hectares dont 1300 hectares sont en production. La deuxième cité située à 1 kilomètre à vol d’oiseau abrite une école primaire et les logements des saigneurs des plantations industrielles. Cette unité industrielle située à 15 kilomètres de Dabou, sur l’axe Dabou-Sikensi. Elle emploie 604 personnes dont 32 dans l’administration et 572 personnes à l’usine. Au regard de ses effectifs, elle apparait comme l’unité industrielle employant plus de personnes. Comme les autres usines de caoutchouc, la CCP est spécialisée dans la culture et la transformation du caoutchouc naturel.

La seule huilerie du pays Adjoukrou est la PALMAFRIQUE créée en avril 1997 sous les cendres de la PALMINDUSTRIE[7]. Située à huit kilomètres de Dabou sur l’axe Dabou-Sikensi, elle est construite sur 36 hectares y compris les logements des travailleurs et le site du village Yassap B. 482 personnes y travaillent dont 96 dans l’administration et 386 employés à l’usine. Elle est spécialisée dans production d’huile de palme brute, d’huile de palmiste, de savon et de graine d’amande. Cette usine possède de grandes plantations industrielles reparties sur une superficie de 2956 hectares. Cette usine est également approvisionnée en régimes de graines des plantations villageoises. Les statistiques permettant de suivre la production de régimes, huile et palmistes sur une décennie, sont mentionnées sur la figure 4.

Fig8_4.png

L’analyse de la figure des quantités des régimes traités indique une allure croissante de 2011 à 2012, de 2013 à 2017 et enfin de 2018 à 2019. Mais cette évolution a subi une régression générale entre de 2009 à 2011.

Ces variations s’expliquent par le fait qu’entre 2009 à 2011, on remarque une baisse des quantités de régimes traités. Cette décroissance, s’explique par les effets de la crise poste électorale qu’a connu le pays. En effet, pendant cette crise les plantations n’ont pas connu d’entretien majeur (engrais, nettoyage, etc.) et aussi elles n’ont pas été véritablement récoltées. Et pourtant, pour avoir une meilleure récole, il faut avoir préalablement entretenu les plantations. C’est pour cette raison que la quantité de régimes obtenue pendant cette période était en baisse. Par ailleurs, la baisse des quantités de régimes obtenue en 2013 est due à une crise interne de l’entreprise, liée à un problème de leadership entre les deux principaux actionnaires majoritaires entrainant un dysfonctionnement général de cette unité industrielle. Comme incidence directe, les plantations industrielles n’ont pas été récoltées correctement alors qu’elles font 40% de la production totale de l’usine du fait de cette crise.

De 2014 à 2017, on constate une croissance continue des quantités de régimes traitées, due au retour à la normale au sein de la société. On note également l’entretien des plantations industrielles ainsi qu’un engouement des propriétaires des plantations villages pour accroître leurs productions. Cependant, on constate une baisse des quantités de régimes traitées en 2018, liée à la chute du prix de la tonne. En 2019, on remarque une reprise de la hausse des quantités de régimes traitées et d’huile. Elle s’explique par une amélioration du prix de la tonne. La photographie 1 montre le chargement d’une citerne d’huile traitée.

Fig8_5.png

3.1.2. Des agro-industries essentiellement implantées en milieu rural

Le pays Adjoukrou demeure une région favorable au développement des cultures pérennes depuis la période précoloniale. En effet, les premiers plants de palmeraie naturelle remontent à la période précoloniale avec la genèse des palmeraies traditionnelles qui constituaient une immense réserve alimentaire pour les populations Adjoukrou.  De ce fait, « Le palmier à huile, le plus important des produits cueillis, donne à l’agriculteur : pour la consommation, son vin; pour le chauffage, ses rafles, ses fibres et les coques de ses amandes ; pour le commerce, son huile et ses amandes ». (H. MEMEL-Foteh, 1980, p 95). Pour cette raison, les populations Adjoukrou manifestaient un engouement pour la culture de cette plante indigène primordiale qui délimitait les parcelles lignagères. « La palmeraie comme signe foncier, était une brousse à palmier, qui a été créée de toute pièce par les lignages. La culture sous les palmeraies a constitué la seule pratique agricole dans Lodjoukrou[8] » (T. KOBY Assa, 1993, p. 293).

Pendant la période coloniale, le pays Adjoukrou va connaître une phase de diversification et de modernisation de culture d’exportation. En effet, la présence des premières plantations industrielles, notamment la palmeraie moderne remonte en 1926 avec une superficie de 2000 ha d’un seul tenant appartenant à l’Union Tropicale de Plantations (UTP) à Mopyem. (T. KOBY Assa, 1993, pp.273-274). La mise en valeur des savanes de la région s’est également étendue à l’hévéaculture industrielle à partir de 1950 (A. Sawadogo, 1977, P.117). Pendant cette période, les premières mutations spatiales ont entraîné une diversification économique de la palmeraie en association avec d’autres cultures d’exportation : le palmier à huile, le caféier, le cacaoyer et l’hévéa. En effet, les cultures du café et du cacao imposé par le colonisateur, firent leur apparition dans cette région entre 1920 et 1930. Aucune donnée statistique ne permettait d’estimer les surfaces culturales occupées par le binôme café-cacao à cette époque. Les seules données disponibles émanent du Service de l’Agriculture de l’administration coloniale en 1954[9].

L’hévéaculture a été introduite en pays Adjoukrou en 1950 par la Société Indochinoise de Plantation d’hévéa (SIPH) pour devenir en 1956, la Société Africaine des Plantations d’Hévéa (SAPH). Il convient de préciser que les premières plantations dans cette région ont été créées par la Compagnie de Caoutchouc de Pakidié (CCP) en 1953 et la SAPH en 1956 (T. KOBY Assa, 1993, p. 274). 

Pour accroitre les productions, la création d’un Institut de Recherche sur le Caoutchouc (IRCA) en 1956, dont la mission est de développer des techniques de production et la mise en place de jardins à graines pour des plantations expérimentales dans les savanes littorales du pays Adjoukrou.

L’action conjuguée de l’Etat à travers ses sociétés et des compagnies privées donnent des résultats très intéressants[10].

Après l’accession à l’indépendance, l’Etat ivoirien a opté pour la diversification des produits d’exportation. Cette politique répond à un souci de lutter contre la volatilité des prix de ces produits dominés par le binôme café-cacao. Il s’agit d’identifier par cette action, « une ou plusieurs spéculations susceptibles d’alimenter le budget de l’Etat par des recettes douanières et procurer aux populations d’autres sources de revenus en numéraire » (A. SAWADOGO, 1974, pp.89-90). Dans la région de Dabou, la poursuite de la politique de diversification agricole est appuyée par un système d’encadrement et d’animation privilégiant l’intéressement du monde rural. En effet, l’incitation du monde rural est rendu possible grâce à des actions de sensibilisation. Il faut aussi mentionner le rôle indéniable des instituts de recherche qui mettent à la disposition des paysans des plants et des semences à hauts rendements avec des résultats impressionnants dans cette région. T. KOBY Assa (1993, p. 304) mentionne à cet effet, que   « les actions de l’Office National de Promotion Rurale (ONPR), du Centre National de Promotion des Entreprises coopératives (CENAPEC), ont apporté leur contribution à la promotion d’une agriculture diversifiée que la SATMACI[11], puis la SODEPALM[12], ont traduites dans les faits en prenant le pays Adioukrou comme terrain d’expérimentation »

Les résultats de ces actions étatiques en pays Adjoukrou sont très spectaculaires avec l’extension des exploitations agricoles. Cependant les surfaces culturales de ces exploitations, se sont développées au détriment de celles des cultures vivrières comme le montre la figure.

Fig8_6.png

La figure 5 révèle une forte emprise spatiale des cultures d’exportation sur les superficies culturales du pays Adjoukrou, soit 86,52% des exploitations totales. Ce succès s’explique par l’action volontariste de l’Etat de faire de cette région, un pôle de développement agricole et la création de conditions permettant l’adhésion et l’implication des populations rurales à cette politique. Pour rendre, cette économie dynamique, des unités agro-industrielles ont été créées pour soutenir l’activité agricole.

3.2. Une agro-industrie améliorant la vie des populations et facilitant le déplacement des travailleurs

3.2.1. Une agro-industrie améliorant les conditions de vie des populations

Le pays Adjoukrou est de tradition agricole ancienne. C’est l’une des premières régions d’expérimentation de l’économie de plantation. L’impact de cette activité sur la population rurale Adjoukrou est indéniable dans la mesure où on assiste à une augmentation des productions et des revenus des paysans avec la création de plantations villageoises au fil des années. Ainsi, il en résulte l’émergence d’une classe sociale aisée dans les villages bénéficiant de la rente foncière et surtout la transformation du bâti en milieu rural. T. KOBY Assa (1993, p. 283) souligne à cet effet, que « les aires d’habitation ne sont pas demeurées étrangères aux mutations des terrains ou affectés à d’autres formes traditionnelles d’utilisation ». En effet, depuis la période coloniale avec le développement du commerce dans cette zone, les riches Adjoukrou étaient habitués à construire des belles maisons pérennes en pierre couvertes de tôles ou de tuiles. Les mêmes matériaux furent utilisés par les chrétiens pour bâtir leurs églises et leurs temples dans un style grandiose. Ainsi, « la transformation de l’habitat est un mouvement de masse. Individus et familles, rivalisent pour dresser ces « demeures de Blancs » signes extérieurs de l’opulence » (H. MEMEL-Fotê, 1980, p. 41). De profonds changements se sont opérés sur l’amélioration et la modernisation de l’habitat rural car des maisons en bambou et en banco recouvertes de toits de chaume ou en papo ont progressivement disparu et remplacées par de nouveaux matériaux de construction tels que les briques. Cette transformation du paysage rural est également soutenue par C. CAUVIN (1972, p. 29) qui insiste sur le fait que « l’'évolution de l'habitation tend à introduire deux types de construction moderne : un type intermédiaire, avec maison en banco, le plus souvent crépie, et toit en tôle ; ou un type vraiment moderne, avec maison en dur, murs en briques de matériau local, toit en tôle ou en tuiles ». Ce sont également des maisons modernes avec des commodités semblables à celles du milieu urbain : habitation en matériaux définitifs, lotissement, adduction en eau potable, raccordement au réseau électrique écoles et centres de santé et parfois à une chaine privée cryptée, téléphone individuel, etc. La photo 2 en est une parfaite illustration d’une maison moderne en milieu rural.

Fig8_7.png

Cette belle villa clôturée avec un jardin est le symbole d’une réussite sociale d’un paysan à Orbaff.

Le milieu rural Adjokrou abrite généralement des habitations groupées avec un plan en damier. En effet, ce sont des villages à plan unique s’étendant à plus d’un kilomètre (Yassap ou Orbaf,), caractérisé généralement par la présence d’une rue centrale, de chaque côté de laquelle s'ordonnent perpendiculairement l’habitat des maisons et des cours. Ces habitations présentent parfois un aspect d'organisation poussée qui se distingue avec l'anarchie et le désordre des quartiers étrangers à Debrimou ou à Toupah (C. CAUVIN, 1972, pp. 8-9). 

L’action des unités agro-industrielle dans la modernisation du pays Adjoukrou est remarquable dans la mesure où elles dotent certains villages en eau courante[13]. A cela s’ajoute la construction de centres de santé et d’écoles primaires dans certains villages. En effet, sur une dizaine d’infirmeries construites, quatre infirmeries ont été construites dans la sous-préfecture de Dabou, trois dans la sous-préfecture de Lopou et trois dans la sous-préfecture de Toupah. Ces structures servent à la prise en charge sanitaire du personnel des entreprises et des populations rurales, malgré l’existence d’une infirmerie ou d’un centre de santé rural dans un village où est implantée une usine. Dans le domaine scolaire, on note la construction de nombreux établissements scolaires primaires et annexes[14] par les complexes agro-industriels. En outre, certains villageois sollicitent ces firmes pour l’équipement et la réhabilitation des anciens bâtiments existants.

3.2.2. Une mobilité contrastée des travailleurs des usines dans les migrations pendulaires

Les agro-industries de la zone rurale Adjoukrou induisent inéluctablement des relations ville-campagne d’ampleur variable dans cette zone géographique dans le cadre des mobilités. En effet, les déplacements des travailleurs des usines vers centre urbain varient d’une unité industrielle à une autre. De manière générale trois unités agroindustrielles (CCP, SAPH et PALM-AFRIQUE) comme nous l’avons mentionné plus haut, abritent des cités de travailleurs pour rallier rapidement leur usine pour leur tâche quotidienne. Ce sont des déplacements pendulaires, sans relation directe avec la ville de Dabou. En effet, au niveau de la SAPH, un seul travailleur sur les 127 travailleurs, habite Dabou. A la PALM-AFRIQUE, 7 travailleurs sur 120, habitent à Dabou. Par contre, tous les travailleurs de la CPP habitent tous les cités des travailleurs pour rallier l’usine. La particularité de cette unité industrielle est qu’elle est enclavée et entourée des plantations industrielles. L’existence de boutiques et de vendeuses sur table au niveau des cités permettent aux travailleurs et leurs familles de se ravitailler en produits de première nécessité.

Ainsi, les mobilités des travailleurs de ces entreprises agroindustrielles, vers le centre urbain de la région, sont de faible intensité[15]. Cependant, la mobilité des travailleurs de la SDCI est plus intéressante à étudier dans la mesure où cette société n’a pas de logements pour les travailleurs. La figure 6 renseigne sur le lieu de résidence des travailleurs de l’usine. Il ressort de la figure qu’une grande partie des travailleurs, soit 84% d’entre eux, habitent la ville de Dabou et rendent à Bouboury pour travailler à la SDCI. Ces migrations pendulaires s’expliquent par la proximité de la ville de Dabou et les possibilités de logements décents offertes aux travailleurs. Ainsi, les travailleurs sont transportés par cars sur le site de l’usine.

En faible proportion, certains travailleurs habitent le village, qui jouxte l’usine, Bouboury, soit 10% des travailleurs car les opportunités de logements y sont moindres par rapport à la ville de Dabou, suivis respectivement par ceux qui habitent Abidjan (4%)[1] et enfin Toupah et Grand-Lahou à hauteur de 1%. Ainsi, la ville de Dabou polarise Bouboury dans le cadre de la mobilité des travailleurs la mesure où la plupart des travailleurs résident à Dabou, soit 84% des travailleurs résident à Dabou et viennent travail dans à la SDCI-B implantée à Bouboury

Conclusion

La modernisation du milieu rural Adjoukrou induite par l’agro-industrie a eu un impact significatif sur l’augmentation des revenus des paysans et l’émergence d’une population paysanne aisée. La modernité s’observe également par la construction de maisons haut-standing par certains, signe d’une certaine réussite sociale. Elle s’observe enfin par la dotation du milieu rural en équipements structurants de base (électricité, adduction en eau potable, dispensaires, centres de santé ruraux, centres de santé urbains et construction de collèges de proximité à Lopou et Toupah). Il faut toutefois mentionner que la plupart des unités agro-industielles implantées dans la région abrite des cités de travailleurs pour le personnel. Mais, l’absence de cités de travailleurs à la SDCI-B de Bouboury, entraine des mouvements pendulaires entre Dabou et Bouboury.

Références bibliographiques

ADEMOLA Marie-Antoinette, ATTA Koffi, POTTIER Patrick, 1999, « Développement des cultures vivrières et modification de l'occupation du sol en pays Adioukrou (1975-1990) » In Cahiers Nantais, n° 51, géographie ivoirienne, pp. 131-150.

CHEVALIER Auguste, 1931, « Le Palmier à huile à la Côte d'Ivoire » In Revue de botanique appliquée et d'agriculture coloniale, 11ᵉ année, bulletin n°116, avril 1931. pp. 213-229;

CAUVIN Colette, 1972, « Un habitat en évolution. Les villages-rues du pays Adjukru (Basse Côte-d'Ivoire) » In Études rurales n°47,1972. pp. 7-38

DUPIRE Marguerite, BOUTILLIER Jean-Louis, DESCHAMPS Hubert, 1958 : Le pays Adioukrou et sa palmeraie, ORSTOM, Paris (FR), 102 p.

KOBY ASSA Théophile, 1993, L’Est de la Côte d’Ivoire : analyse géographique des épaisseurs économiques régionales comparées, Thèse pour le Doctorat d’Etat ès Lettres et Sciences Humaines, Tome 2, Université de Bordeaux 3, pp 260-463

KOUAME Dhédé Paul Eric, 2014, « Le développement de l’hévéaculture les mutations agricoles et spatio-foncières », In European Scientific Journal December 2014 edition vol.10, No.35, pp 40-57

MEMEL FOTE Haris, 1980, Le système politique de Lodjoukrou : une société lignagère à classe d’âge (Côte-d’Ivoire), Présence Africaine, NEA, Paris (FRA), Abidjan (CIV), 280 p.

Recensement National de l’Agriculture, 2001, Rapport de synthèse de la Région des Lagunes, 29 p.

SAWADOGO Abdoulaye, 1974, « La stratégie du développement de l'agriculture en Côte-d'Ivoire » In: Bulletin de l'Association de géographes français, N°415-416, 51e année, Mars-avril 1974. pp. 87-103

SAWADOGO Abdoulaye, 1977, L’Agriculture en Côte, PUF, Paris, 367 p.

 

 

Auteurs

1Doctorant, LARESP, IGT, Université FHB-Abidjan (Côte d’Ivoire) esmeldivifrao27avril2016@gmail.com

2Assistant, LARESP, IGT, Université FHB-Abidjan (Côte d’Ivoire)/ moussoandre2009@yahoo.fr

3Maître de Recherches, LARESP, IGT, Université FHB-Abidjan (Côte d’Ivoire), pr_attakoffi@yahoo.fr

 
 

[1] Les travailleurs qui résident à Abidjan, sont transportés les matins par un car de l’usine. Ils qui Abidjan à 7heures pour l’usine et ils retournent à 17heures. Ce sont des déplacements quotidiens du lundi au vendredi.

[2] Le château d’eau de la SAPH à toupah alimente le village en eau potable. La PALMAFRIQUE a construit les chateaux d’Orbaff et de Yassap, celle de Bouboury fut construit la SDCI.

 

[3] La CPP a construit une école à Orbaff dont un autre bâtiment est en voie de finition. Quant à la SDCI B, elle a construit et équipé deux (02) salles de classes, des latrines et le bureau du Directeur de Bodou en 2018

[4] A ce niveau, une précision de taille s’avère nécessaire dans la mesure où la CPP et la SAPH disposent des camions de ramassage et transportent respectivement certains travailleurs désirant faire les courses à Dabou les mardis et les samedis pour la CPP et les samedis pour la SAPH.

[5] Terme désignant en Adjoukrou l’espace de vie du peuple Adjoukrou

[6] Ces données mentionnées par Dipure et Boutiller (1959) estimaient la superficie totale du binôme café-cacao dans cette région à 7200 ha pour une production totale de 1800 tonnes, soit 900 tonnes pour le cacao et 900 tonnes pour le café.

[7] KOBY Assa (1993) mentionne à cet effet que le bilan des interventions des sociétés d’Etat et compagnies privées ont permis de grandes exploitations sur deux décennies (1960-1980), soit 6 444 ha pour le domaine d’Etat et 1 621 ha pour le domaine privé, ce qui fait un total de 8 065 ha.

[8] Société Africaine Technique pour la Mécanisation de l’Agriculture en Côte d’Ivoire

[9] La PALMINDUSTRIE était une société étatique qui a été privatisée en 1997 dans le cadre de la politique de désengagement de l’Etat du secteur productif pour donner naissance à deux entreprises : la PALMCI et la PALMAFRIQUE

[10] L’Agence National de Développement Rural.

[11] La SAPH est située à Touapah et à SDCI à Bouboury

[12]Il est important de préciser que le personnel de l’usine PALMAFRIQUE est pris en comme dans les effectifs du village Yassap lors des différents recensements la population et celui de la CCP au compte des effectifs de Bouboury.

 [13] L’usine emploie 154 personnes dont 6 personnes dans l’administration.

[14] Société pour le Développement et l’Exploitation du Palmier à Huile. Celle-ci est créée à un capital social de 400 millions de francs CFA ; d’un seul actionnaire de l’Etat.

[15] Par le décret n°62-319 du 2 septembre 1962, l’État décide d’agréer la SAPH en Entreprise prioritaire. En 1964, l’État achète 55% du capital social de la SAPH.

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2021