Pour quels enjeux de sécurité les Etats de l’Afrique centrale, notamment ceux de la région des "trois frontières" que sont le Cameroun, la Guinée-Equatoriale et le Gabon, étaient-ils partis à la coopération policière transfrontalière ? Cette coopération policière y produit-elle déjà la sécurité recherchée ? Un questionnement, dont la quête des réponses a conduit, d’une part, à une analyse géopolitique et, d’autre part, aux enquêtes de terrain et d’entretiens. Il en ressort que les enjeux de sécurité pour lesquels ces trois Etats avaient décidé de coopérer sont fondés dans leur volonté de lutter communément contre le crime international dans cet espace transfrontalier pour mieux, par ailleurs, y favoriser leurs échanges commerciaux. Cette coopération policière peine cependant à produire la sécurité, à cause de l’ineffectivité des échanges directs entre les gardes-frontières, qui ne disposent pas de moyens opérationnels, à même de la permettre. Les efforts des Etats pour y remédier à ce problème de moyens tardent toujours à matérialiser les solutions émises.
For what security issues did the States of Central Africa, in particular those of the "three borders" region of Cameroon, Equatorial Guinea and Gabon, engage in cross-border police cooperation? Does this police cooperation already produce the security sought? A questioning, whose quest for answers led to a field survey and geopolitical reasoning. It appears that the security issues for which these three States had decided to cooperate are based on their desire to jointly fight against international crime in this cross-border area in order to better promote their trade there. However, this police cooperation struggles to produce security, because of the ineffectiveness of direct exchanges between border guards, which is inherent in the absence of operational structures, with the States' efforts to remedy this always taking time to materialize the issued solutions.
Introduction
Ce texte interroge la coopération policière de l’Afrique centrale, dans ses rapports à la sécurité des espaces transfrontaliers, en ciblant celui constitué par les portions des territoires du Cameroun, de la Guinée-Equatoriale et du Gabon, communément désigné région des "trois frontières". Il convient au préalable de souligner qu’une coopération policière est
« (…) un ensemble convergent des activités des polices nationales qui, motivées généralement par les mêmes enjeux de sécurité, ont décidé, dans un cadre réglementaire, d’une collaboration qui les engage, à la fois, dans leurs missions générales, de prévention et d’investigations. Il s’agit, respectivement, de simples contrôles administratifs, des échanges d’informations, des opérations conjointes de recherches et d’arrestations. » (S. MEYE NDONG, 2020, p. 341).
La coopération policière est donc un instrument de sécurité internationale, à même de contribuer à la protection des territoires d’Etats, ce, jusqu’à leurs marges frontalières, ainsi que le postulent le Cameroun, la Guinée-Equatoriale et le Gabon.
En effet, dans leur volonté de sécuriser leur espace transfrontalier, ces trois Etats s’étaient résolus d’œuvrer, à cette fin, à la deuxième moitié des années 2000, au sein de la communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (CEMAC), dont ils comptent parmi les membres-fondateurs. Une résolution d’autant intéressante que les Etats-membres de la CEMAC, dans leur ensemble, avaient déjà décidé depuis 1997 de prévenir le crime international, que leurs polices nationales avaient envisagé, dans la perspective de l’ouverture des frontières, initialement prévue en janvier 2000, aux fins de la libre-circulation des personnes et des biens qui, elle, avait été décidée depuis 1994 (C.-Y MESSE MBEGA, 2015, p. 98).
C’est ainsi que les Etats de la région des trois frontières avaient pris part à la première réunion que la CEMAC avait organisée dans le cadre mentionné ci-dessus en avril 1997, à Brazzaville. Cette réunion s’était conclue par la création du comité des chefs de police d’Afrique centrale (CCPAC)[1]. Dans le même objectif, le Cameroun avait été le théâtre de deux autres rencontres régionales. La première s’était tenue du 26 au 29 avril 1999 et s’acheva par la signature d’un « Accord de coopération en matière de police criminelle[2], alors que la seconde s’était déroulée du 2 au 19 juin 2000 et se solda par la mise en place du statut et du règlement intérieur du CCPAC (S. MEYE NDONG, 2013, p. 508). En plus de la Guinée-Equatoriale et du Gabon, les autres Etats signataires furent les trois autres de la CEMAC, à savoir le Congo-Brazzaville, Tchad et la Centrafrique, auxquels s’étaient joints Sao Tomé e Príncipe et la R.D Congo. Le CCPAC compte alors 8 Etats.
Plus saisissant encore, en novembre 2013, le Cameroun, la Guinée-Equatoriale et le Gabon, toujours au sein de la CEMAC, s’engagèrent dans un accord que celle-ci avait signé avec l’OIPC-Interpol. Celui-ci, dans cet accord, acceptait de laisser accéder tous les postes-frontières des Etats de l’Afrique centrale à son système de communication policière sécurisée. L’objectif était de créer des communications et des échanges d’informations en temps réel entre les gardes-frontières, afin de rendre aisée leur production de sécurité transfrontalière. Il devait alors en être ainsi, entre autres, du poste-frontière de Mbaiboum ; de celui de Doussala-Dolisie, de la "Zone neutre", et de celui de la région des trois frontières.
Dans le fond, toutes ces initiatives résident dans les représentations que se font communément le Cameroun, la Guinée-Equatoriale et le Gabon de la région des trois frontières. Outre son caractère géopolitique d’espace tripartite, cette région revêt des avantages économiques, en ce qu’elle regroupe plusieurs marchés interreliés (P. NGUEMA ENGO, 2006, p. 21). La région des trois frontières est ainsi perçue dans toute l’Afrique centrale comme l’un des espaces symboliques des échanges locaux dans le commerce régional. Ses frontières sont désormais des "frontières-zones" et semblent bien s’adapter à la théorie du debordering, cher à José Martinez (J. MARTINEZ, 1994, p. 36). L’on comprend alors mieux pourquoi les trois Etats s’emploient à y prévenir le crime interétatique et d’autres menaces, au point qu’ils avaient décidé d’y faire de la coopération policière un enjeu de sécurité.
Cependant, depuis les années 90, les trois Etats de la région des trois frontières et la CEMAC n’ont jamais cessé de crier à l’insécurité transfrontalière. Il en est de même de la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) qui, dans ses rapports annuels réguliers y a toujours attiré l’attention des Etats sur la prolifération des menaces. Il est particulièrement cité le trafic de migrants, de véhicules, des armes légères de petits calibres, des stupéfiants, d’ivoire, etc. Une montée des menaces d’autant à souligner qu’en en novembre 2017, les Etats de la région des trois frontières tout comme ceux de toute la CEMAC ont finalement autorisé la libre-circulation. Autant de faits qui ne peuvent que susciter des interrogations sur cette coopération policière transfrontalière.
En effet, l’on peut, au regard de ce qui précède, émettre le questionnement suivant : pour quels enjeux de sécurité les Etats de l’Afrique centrale, notamment ceux de la région des trois frontières que sont le Cameroun, la Guinée-Equatoriale et le Gabon, étaient-ils partis à la coopération policière transfrontalière ? Cette coopération policière produit-elle déjà la sécurité recherchée dans cet espace transfrontalier ? Quelles sont les difficultés auxquelles fait-elle face et comment s’emploient les trois Etats pour y remédier ?
Autant d’interrogations qui ne sont pas sans hypothèses. Les enjeux de sécurité pour lesquels ces trois Etats étaient partis à la coopération policière de l’Afrique centrale s’enracinent dans leur volonté de mieux réguler les flux, de lutter contre le crime, afin de mieux fiabiliser leur espace transfrontalier qui est composé de plusieurs marchés à même de dynamiser les échanges commerciaux. Cette coopération policière transfrontalière peine cependant à produire la sécurité escomptée, à cause de l’ineffectivité des échanges entre les gardes-frontières, liée à l’absence d’équipements techniques. Les efforts des trois Etats pour y remédier tardent toujours à voir se matérialiser les solutions émises.
L’intérêt de ce travail est de contribuer à l’état des connaissances sur les coopérations policières transfrontalières. Cette réflexion cherche surtout à savoir si la coopération policière qui avait pourtant été décidée comme préalable à la libre-circulation des personnes et des biens produit déjà la sécurité recherchée par les trois Etats, d’autant que cette libre-circulation est effective depuis 5 ans. L’intérêt de ce propos est par ailleurs de rechercher les facteurs qui expliquent les difficultés de cette coopération policière transfrontalière, les efforts des Etats pour remédier aux lacunes et surtout la portée des résultats qui en découlent.
Pour mener à bien cette réflexion, il a été jugé intéressant de faire usage d’un raisonnement géopolitique qui « (…) s’intéresse aux acteurs, aux enjeux qui motivent leurs initiatives et aux dynamiques qui découlent de leurs actions » (S. ROSIERE, 2007, p. 26). Il s’agira alors de ressortir les acteurs, leurs enjeux de sécurité dans la région des trois frontières, les actions entreprises et les résultats obtenus. Une analyse géopolitique qui a nécessité une enquête de terrain et une enquête par entretiens, aussi bien dans l’espace transfrontalier concerné que dans les services de gendarmerie, de polices aux frontières et de l’OIPC-Interpol. Pour l’enquête de terrain, particulièrement, il y a été question de procéder à l’observation et, à la description des structures de sécurité aux frontières, dans l’objectif d’apprécier si elles sont de nature à favoriser une coopération policière transfrontalière. L’enquête par entretien, quant à elle, a été effectuée sur la base d’un protocole d’enquête constituée de questions ciblées, qui ont été adressées aux personnes affectées dans les structures citées ci-dessus. L’objectif, en gros, consistait à interroger l’opérationnalité de la coopération policière transfrontalière.
Un travail au terme duquel cette réflexion a été organisée en deux parties. La première traite des enjeux de sécurité de la coopération policière en Afrique centrale, particulièrement, dans l’espace transfrontalier Cameroun-Guinée-Equatoriale-Gabon (1), alors que la seconde interroge sa production de sécurité, essentiellement, dans la région des trois frontières (2).
[1] OIPC-Interpol, [En ligne]. URL : http://www.interpol.int/fr/Internet/Centre-des-m%C3%A9dias/Nouvelles-et-communiqu%C3%A9s-de-presse/2008/N20080124, (Consulté le 26/07/2012)
[2] Règlement n°4/CEMAC-069-CM-04, portant adoption de l’accord de coopération entre les différentes polices criminelles des Etats de l’Afrique centrale