Méthode de cartographie du risque d’exposition aux actions terroristes en milieu urbain

Résumé

La présente initiative se propose de définir une méthodologie de cartographie du risque de survenue d’attaque terroriste en milieu urbain. Le contexte post septembre 2001 et la survenue des actions d’envergure terroriste dans la sous-région ouest africaine ont motivé cette recherche. Les résultats de ce travail devraient aider à intégrer la cartographie dans les mécanismes de surveillance du territoire et de la protection civile.

La méthodologie déployée se résume à un inventaire des attaques terroristes dans le monde ces 3 dernières décennies. Les moteurs de recherche en lignes et les sources de presse ont été mises à contribution à cet effet. Des indices de risque ont par la suite été attribués selon la fréquence de survenue à la typologie de sites attaqués observés.

En se servant d’un SIG (Système d’information Géographique), on est parvenu à cartographier les variations des indices attribuées. Il faut noter que la ville d’Abidjan a été prise comme champ d’expérimentation.

Abstract

This initiative proposes to define a methodology for mapping the risk of terrorist attacks in urban areas. The post-September 2001 context and the occurrence of terrorist-related actions in the West African subregion motivated this research. The results of this work should help to integrate mapping into the mechanisms of territorial surveillance and civil protection. The deployed methodology boils down to an inventory of terrorist attacks around the world in the last 3 decades. Line engines and press sources have been used for this purpose. Risk indices were subsequently assigned according to the frequency of occurrence of the typology of attacked sites observed.
Using a GIS (Geographical Information System), we have mapped the variations in the indices assigned.
It should be noted that the city of Abidjan was taken as a field of experimentation.

Introduction

Depuis les attentats des tours jumelles du « World Trade Center » de New York et du « Pentagone » à Washington le 11 septembre 2001, le fait terroriste suscite plus d’attention. Le monde est entré avec cette série d’attentats sur le sol des Etats-Unis d’Amérique dans une nouvelle ère de violence dont les acteurs et les initiateurs se cachent derrière des nébuleuses internationales aux contours mal définis (ONU, 2006, p.15). Ces évènements marquent aussi la complexité dans laquelle les relations internationales se conçoivent depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Plus de craintes, plus de méfiances, voici ce qui définit depuis l’entrée dans le XXIeme siècle les logiques sécuritaires à l’échelle du monde.

Cette nouvelle ère du terrorisme se définit avec une expansion géographique du phénomène dans le monde. Considérée pendant longtemps en dehors du champ de l’activité terroriste, l’Afrique occidentale tant sahélienne qu’atlantique va se trouver au cœur de nouveaux enjeux sécuritaires parce que devenu la cible de mouvements terroristes. Depuis l’avènement de Boko Haram dans le nord des républiques du Nigeria et du Cameroun en 2003, l’occupation du nord Mali par AQMI depuis 2012, les attentats de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire en 2016 et ceux de Ouagadougou au Burkina-Faso en 2013 et 2015, la lutte contre le terrorisme est inscrite de façon prioritaire à l’ordre du jour des différents sommets des institutions sous régionales depuis bientôt une décennie (Betche, 2016 p.43 ; Diarra 2016, p.14). A l’échelle du continent, la situation sécuritaire en Afrique de l’ouest préoccupe aussi l’Union Africaine. Si les institutions régionales d’intégration et de coopération politiques et sécuritaire sont unanimes sur la nécessité de fédérer les moyens de lutte, la complexité de l’action terroriste ne facilite pas l’aboutissement d’un consensus sur la démarche à suivre et même sur la définition du phénomène et l’appréhension de ces manifestations (Diallo, 2016, p.10 ; Galy 2013, p.15).

Sur cette lancée, la présente contribution se veut le cadre de développement d’une méthodologie fondée sur la cartographie et le SIG (Système d’information Géographique) en vue d’anticiper sur les stratégies de surveillance et de protection des espaces potentiellement cible de l’action terroriste (Di Tursi, 2019, p.5). Une contribution de la géographie à la sécurisation des villes dont la finalité peut aider en renforcer les mécanismes déployées par les forces de l’ordre. La présente initiative de ce point de vue se propose de mettre en évidence les foyers potentiellement porteurs de risque d’attaque.

Pour la présente expérimentation le cadre de la ville d’Abidjan a été choisi. Capitale de la Côte d’Ivoire de 1934 à 1983, la ville d’Abidjan compte près de 5 millions d’habitants. Son port mis en service en 1951 (9 ans avant l’accession du pays à l’indépendance) a progressivement fait de la ville un centre économique de première importance dans le golfe de Guinée. Environ 20% de la population nationale se trouve à Abidjan et plus de 2/3 de la population urbaine (RGPH, 2014). Les évènements de Grand-Bassam en  2016, ville balnéaire située à moins de 10 km du centre-ville d’Abidjan, montre bien que la ville d’Abidjan nous conforte dans la logique de poser la préoccupation de l’environnement sécuritaire d’Abidjan. C’est donc à partir du cas d’Abidjan que nous proposons une méthodologie cartographique de détermination des sites à risque sécuritaire.

1-Méthodologie

Le cadre méthodologique de réflexion est essentiellement empirique. C’est sur la base de l’observation que le protocole de cartographie du risque de vulnérabilité aux actes terroristes se conçoit. Il s’est agi de conduire une observation du fait terroriste dans le monde depuis les 3 dernières décennies, et d’en identifier la nature des sites attaqués dans les villes pour en établir une typologie. Ainsi nous avons établi une revue de presse à travers des moteurs de recherches en ligne et de sources écrites. Laquelle revue a permis de faire l’historique des attentats perpétrés et revendiqués dans le monde les 3 dernières décennies. Les actes de violence dont il s’agit ici rassemble l’ensemble des faits défiant les règles de sécurité et organisés sur la base de logique terroriste (Z. BETCHE, 2016 p.4 ; L. DIARRA 2016, p.10). Nous en avons identifiés 362. Les sites concernés dans les villes ciblées sont identifiés dans le tableau 1.

Tableau 1 : Récapitulatif de l’inventaire des attentats terroristes dans le monde les 3 dernières décennies

Sites urbains

effectif

Fréquence

%

Place publique urbaine

117

32,3

Edifice religieux

47

13

Centre d'activités commerciales

43

11,9

Non Determiné

37

10,2

Transport urbain et assimiles

29

8

Bâtiment militaire et policier

27

7,5

Centre de formation scolaire et universitaire

16

4,4

Ambassade et représentation diplomatique

12

3,3

Bâtiment institution politique / bâtiment administratif

7

1,9

Réceptif hôtelier

6

1,7

Aéroport et transport aérien

5

1,4

Site d'activités balnéaires et touristiques

4

1,1

Structure hospitalière et humanitaire

4

1,1

Edifice culturel

3

0,8

Media

3

0,8

Edifice sportif

2

0,6

 Total

362

100

Source : d’après les investigations documentaires.

Les 362 évènements répertoriés ont concerné 15 catégories de sites clairement identifiés. Les sites désignés par ND (non déterminé) sont les sites pour lesquels des précisons n’ont pas été relayés par les sources documentaires consultées. Toutefois qui ont été répertorié comme des évènements ayant eu lieu en ville.

La fréquence à laquelle les attaques se produisent sur les différents types de sites urbains devient l’indice de risque exprimant une probabilité de survenue d’actes terroristes. Ainsi, sur la base des fréquences observées, les indices mesurant la vulnérabilité à une action terroriste oscille de 0.6 (édifice sportif) à 32.3 (place publique urbaine). Les places publiques représentant des espaces assimilables aux grandes esplanades et aux compartiments du domaine public sont apparues comme les sites les plus exposés. Les sites les moins exposés sont les édifices sportifs.

Dans le cadre de la présente étude, nous avons effectué un inventaire de tous les sites de la ville d’Abidjan assimilables aux 362 observations dans le tableau précédant récapitulant les positions urbaines frappées par des attentats ces 3 dernières décennies. Ainsi, sur la base des sources cartographiques disponibles (OSM, Google Map, fond cartographique IGT), 4134 positions GPS (enregistrées en datum WGS 1984-UTM) ont été répertoriées dans l’étendue de la ville d’Abidjan. La figure 1 rend compte de leur répartition.

Fig6_1.png

A chacun de ces 4134 points (équipement et de service public), une valeur indiciaire a été attribuée en accord avec les coefficients obtenu après l’inventaire des 362 cas. Les sites répertoriés ont donc été identifié et les fréquences observées équivalent à leur typologie leur ont été attribués comme indice.

Les indices obtenus ont été intégrés à une matrice spatiale d’informations conçue sous Microsoft Excel contenant la toponymie et la typologie des 4134 sites répertoriés ainsi que leur position de coordonnées GPS. Un aperçu de l’entête de la matrice spatiale d’information est donnée par le de tableau 2.

Fig6_2.png

La disponibilité des coordonnées GPS des 4134 positions d’équipement et service susceptibles de subir une attaque terroriste a permis de transformer la matrice conçue sous Excel en un fichier de forme permettant d’aboutir à un SIG. Le fichier Microsoft Excel (.xlsx) obtenu a été ajouté à l’interface Arc Map (composante graphique de Arc Gis) avant d’être converti en fichier de forme (.shp).

La table attributaire du fichier de forme conçue, va servir à faire une représentation des valeurs indiciaires suivant une interpolation. A ce sujet, c’est le procédé d’analyse de statistique spatiale IDW (Inverse Distance Weight) qui a été sollicité.

La fonction IDW se définit en français comme la Pondération Inverse à la Distance (PID) séparant des points dans un environnement spatial donnée lié à la manifestation d’une réalité quantitativement mesurable. C’est une méthode d'interpolation spatiale, un processus permettant d'assigner une valeur à un espace non connu à partir d'un semis de points connus. La pondération est appliquée à un échantillon de points par le biais de l’utilisation d’un coefficient de pondération qui contrôle comment l’influence de pondération diminuera quand la distance des nouveaux points augmente. Plus le coefficient de pondération est grand, moins les points auront d’effet s’ils sont loin du point inconnu durant le processus d’interpolation. Quand le coefficient augmente, la valeur du point inconnu s’approche de la valeur du point d’observation le plus proche. Cette conception découle des travaux en statistique spatiale de Donald Shepard en 1968.

Le logiciel SIG ayant servi à cette manipulation est ARC GIS 10.4.1. Sous ce programme SIG, la fonction est logée dans le cheminement suivant sous Arc Tools Box : Geostatistical Analyst Tools, interpolation enfin IDW. Les paramètres d’application de la formule IDW proposés par défaut par l’interface correspondaient au contexte de notre environnement spatial ; de ce fait nous n’avons eu qu’à procéder à l’exécution de la tâche. La figure ci-après présente l’interface servant à l’exécution de la formule IDW.

Fig6_3.png

Rappelons à toute fin utile qu’au vu de la densité et de la proximité des 4134 positions composant le semis de points, IDW apparaissait comme la méthode d’interpolation la plus adaptée. De plus le rendu visuel de l’interpolation effectuée nous a confortés dans cette position.

Ainsi la carte obtenue offerte une couverture quasi-totale de l’aire d’Abidjan qui en plus offre une bonne lisibilité des variations de la valeur de l’indice de prédiction de survenue d’attaque terroriste. Cette carte devient un outil d’aide à la décision pour améliorer la prévention contre l’action éventuelle de terroriste.

2-Résultat : Présentation du modèle cartographique de synthèse

La démarche ci-dessus décrite permet d’aboutir à la réalisation d’une carte montrant la répartition spatiale de la probabilité de survenue d’attaque terroriste à Abidjan (figure 3).

Fig6_4.png

Conclusion

Sur la base de ce qui a eu cours dans le monde ces 3 dernières décennies, la méthodologie ci déployée situe le décideur en charge de la sécurité de la protection civile sur les sites d’Abidjan susceptibles d’être agressés.

La répartition de l’indice  relatant la probabilité de manifestation d’attaque terroriste à Abidjan laisse apparaitre l’existence de zones distinctes délimitées par un axe orienté sud-ouest / nord-est.

La première zone composée des communes de Yopougon, Adjamé et Attécoubé à l’ouest et d’une partie de Port-Bouet à l’est représente environ 30% de la superficie totale d’Abidjan. Cet ensemble présente des valeurs indiciaires supérieures au contenu de la classe moyenne (9.5-10.7). Dans cet ensemble domine des valeurs indiciaires comprises en 19 et 32, exprimant les probabilités les plus élevées.

La seconde zone présente des valeurs inférieures ou égales au contenu de la classe moyenne. Dans cet ensemble qui couvre 70% de l’aire de la ville, Cocody apparait comme la commune concentrant la plus grande étendue d’espace moins vulnérable. Les trois communes de l’ile de petit Bassam au sud (Treichville, Marcory et Koumassi), la commune d’Abobo au nord et la commune de Port-Bouet dans sa partie nord peuvent être considérés comme des espace de transition entre les fortes et les faibles probabilités de survenu d’actes terroristes. On peut les classer comme appartenant à la classe moyenne, en effet les valeurs observées y sont à 80% logées dans la classe moyenne (9.5 -10.7).

La spatialité décrite se confond avec le cadre démographique et l’animation socioéconomique de la vie urbaine à Abidjan. La partie ouest de la commune de Yopougon et le centre de la commune d’Adjamé sont au nombre des sites de la ville concentrant d’importantes places publiques et des centres d’activités économiques d’ordre non négligeable car concentre de fortes densités excédant souvent plus de 100 habitants à l’hectare (RGPH 1998 ; 2014). Abobo une des communes des plus peuplées de la ville ne figure pas au nombre des zones fortement exposées à la survenue d’attaque. Cela peut s’expliquer par le retard qu’elle affiche en termes d’aménagement et d’urbanisation. Sa configuration actuelle ne donne lieu à l’implantation de service et d’équipement de grande envergure comme on peut l’observer ailleurs.  En effet, la recension des 362 évènements terroristes dans le monde a bien permis de faire comprendre que les grandes agglomérations sont des cibles privilégiées. A l’intérieur de celles-ci, les places publiques urbaines sont plus exposées. Elles présentent un niveau de vulnérabilité supérieur à celui des services de sécurité et des bâtiments administratifs. C’est d’ailleurs cette configuration qui donne d’observer que le Plateau et Cocody (abritant d’importants bâtiments des services de sécurité et de l’administration publique) présentent des niveaux de risque moins prononcés que Yopougon qui concentre d’importantes place publiques.

La présente cartographie trouve toute son utilité en ce sens qu’elle offre une lisibilité permettant de coordonner l’action des services de défense et de protection civile. Ces institutions en charge de la sécurité peuvent coordonner leur stratégie de surveillance sur la base des prévisions fournies par cette cartographie. Et pour être plus efficace, cet outil cartographique devrait intégrer la répartition actuelle des structures sécuritaire, du réseau de communication, du dispositif des centres hospitaliers et des secours enfin de la répartition du bâti et de la population. En un mot, au SIG ici constitué, doit se joindre les données sociodémographique et stratégique, ce qui permettra une meilleure surveillance des espaces les plus vulnérables. La mise à jour du niveau d’exposition à la survenue d’attaque doit se faire dans le cadre d’une coopération franche des services de la surveillance du territoire, de la gendarmerie et de la police (Di TURSI, 2019, p.5). Pour ce qui est du bâti et de la répartition de la population la coordination du SIG doit bénéficier de données actualisées du cadastre et des services en charge des recensements de la population. Ce qui permettra de réévaluer le niveau de risque au besoin et de proposer une cartographie actualisée à la demande.

Références bibliographiques

BETCHÉ Zachée, 2016, Le phénomène Boko Haram. Au-delà du radicalisme, Paris, L’Harmattan.

DIALLO Boubacar, 2016, Les armées d’Afrique de l’Ouest face à la menace des groupes politico-militaires, Paris, L’Harmattan.

DIARRA Lassina, 2016, La CEDEAO face au terrorisme transnational. Mécanismes et stratégies de lutte, Paris L’Harmattan.

DI TURSI Fanny, « Les outils SIG vus et vécus par les gestionnaires de crise à la Préfecture de Police de Paris », EchoGéo [En ligne], 47 | 2019, mis en ligne le 21 avril 2019, consulté le 23 avril 2019.

URL :http://journals.openedition.org/echogeo/17294 ; DOI : 10.4000/echogeo.17294

GALY Michel, 2013, Pourquoi la France est-elle intervenue au Mali?, In Galy Michel dir. La guerre au Mali. Comprendre la crise au sahel et au sahara. Enjeux et zones d’ombre, Paris, La Découverte.

GIRAUD Gregory, 2013, «Cinquante ans de tensions dans la zone sahélo-saharienne», In  Galy Michel dir. La guerre au Mali. Comprendre la crise au sahel et au sahara. Enjeux et zones d’ombre, Paris, La Découverte.

ONU, 2006, La stratégie antiterroriste mondiale de l’organisation des Nations Unies, Doc off AG NU, 60e session, DOC NU A/RES/60/288 (2006).

ONU, 2016, Direction exécutive du comité contre le terrorisme, Enquête mondiale portant sur la mise en œuvre de la résolution 1373 (2001) du conseil de sécurité par les États membres, Doc NU S/2016/49 (2016).

SHEPARD Donald, 1968, « A two-dimensional interpolation function for irregularly-spaced data » Proceedings of the 1968 ACM National Conference: p.517–524 (DOI:10.1145/800186.810616). 

 

 

Auteur

1Institut de Géographie Tropicale Université Houphouët-Boigny Abidjan Cocody CAPDEV, valo226@yahoo.com

 

 

Catégorie de publications

Date de parution
31 déc 2020