Pêche dans le lac de Korhogo (Côte d’Ivoire) : acteurs, exploitation incontrôlée et signes de dégradation de la ressource halieutique

Résumé

Il est question dans cet article de l’exploitation halieutique du lac du barrage d’adduction en eau potable de la ville de Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire. Différents groupes de pêcheurs artisans exploitent ce réservoir depuis le début de la décennie 1980. Pourtant, aucune donnée statistique n’existe ni sur les acteurs ni sur leurs pratiques halieutiques. L’objectif de cette étude est d’expliciter les caractéristiques sociodémographiques et socioprofessionnelles de ces pêcheurs, de leurs engins et de souligner les principales conséquences de leurs activités sur la ressource exploitée. Elle s’est appuyée sur la recherche documentaire et l’enquête de terrain. Il en ressort que les pêcheurs du lac sont Ivoiriens (41,1%), Maliens (49,3%) et Burkinabè (9,6%). Cette population de pêcheurs est dominée par les femmes (56,2%) contre 43,8% d’hommes. De plus, il s’agit majoritairement de pêcheurs professionnels quelle que soit la nationalité considérée. Par ailleurs, l’exploitation halieutique de ce lac se caractérise par l’absence d’un encadrement technique et d’une gestion administrative qui conduit à son libre accès. Cette situation se traduit par une extrême densité des pêcheurs (117,74 pêcheurs/km2) et une généralisation de la réduction de la taille des espèces de poissons capturés faisant peser sur cette pêcherie lacustre, un risque d’extinction de la ressource exploitée.

Abstract

This article deals with the fishing exploitation of the lake of the drinking water supply dam in the town of Korhogo in the North of the Ivory Coast. Different groups of artisanal fishermen have exploited this reservoir since the beginning of the 1980s. However, no statistical data exists either on the actors or on their fishing practices. The objective of this study is to explain the socio-demographic and socio-professional characteristics of these fishermen, their gear and to highlight the main consequences of their activities on the exploited resource. It was based on documentary research and the field investigation. It emerges that the fishermen of the lake are Ivorians (41.1%), Malians (49.3%) and Burkinabè (9.6%). This fishing population is dominated by women (56.2%) against 43.8% men. In addition, they are mainly professional fishermen regardless of the nationality considered. In addition, the fishery exploitation of this lake is characterized by the absence of technical supervision and administrative management which leads to its free access. This situation results in an extreme density of fishermen (117.74 fishermen / km2) and a generalization of the reduction in the size of the species of fish caught which weighs on this lake fishery, a risk of extinction of the exploited resource.

Introduction

La pêche artisanale continentale est l’une des principales sources de production halieutique en Côte d’Ivoire. Sa contribution aux produits de la pêche nationale est estimée à 14 % (H. Shep, 2013, p. 3). Par ailleurs, elle concentre 5,63 % des emplois fournis par ce secteur d’activité, participant ainsi à assurer des revenus à une multitude de personnes (FAO, 2008, p. 19 ; FAO, 2003, p. 12 ; MINAGRA, 1993, p. 10). Dans la partie septentrionale du pays comprise entre le 8ème et le 10ème parallèle Nord, cette pêche s’exerce dans de nombreux espaces fluviaux et lacustres. Mais, elle se pratique surtout sur un ensemble de petits lacs de barrages originellement destinés à d’autres activités, notamment l’agriculture, le pastoralisme, l’extraction minière et l’adduction en eau potable. Le département de Korhogo qui regroupe 107 de ces retenues d’eau (37%) constitue l’épicentre de leur répartition spatiale (K. S. Da Costa et al., 2004, p. 2). Les activités halieutiques menées dans ces lacs de barrages sont de l’ordre de grandeur de celles des grands barrages du pays et fournissent à minima une production de près de 500 tonnes de poissons par an (L. Tito De Morais et al., 2007, p. 225). Les acteurs qui y évoluent sont en grande partie des allogènes, Maliens pour la plupart (C. Koffi, 2000, p. 38), à l’instar des observations faites dans d’autres zones du pays par différents auteurs (H. Shep et al., 2013, p. 31 ; D. Koudou, 2012, p. 95 ; G. F. H. Boguhé et al., 2011, p. 110 ; K. M. Kouman, 2008, p. 65 ; K. S. Da Costa et Y. M. Dietoa, 2007, p. 4 ; K. Traoré, 1996, p. 105).

Très peu de réflexions scientifiques se sont développées, jusqu’à présent, autour des modes d’exploitation des ressources halieutiques des retenues d’eau du nord de la Côte d’Ivoire. Parmi les auteurs qui s’y sont intéressés, L. Tito De Morais et al. (op.cit., p. 218) et K. S. Da Costa et al. (1998, p. 76) font état d’un effort de pêche élevé (en termes de nombre de pêcheurs/km2). Il est même qualifié d’excessif par L. Tito De Morais et al. (op.cit., p. 223), par rapport à la norme de 2 pêcheurs/km2 admise par la FAO, eu égard à la faiblesse des superficies de ces plans d’eau. Par ailleurs, C. Koffi (op.cit., p. 38) souligne que certains des pêcheurs qui exploitent ces espaces aquatiques se préoccupent peu de la durabilité de la ressource. Pour ce qui est du lac de Korhogo plus spécifiquement, D. Koudou et al. (2017, p. 321) relèvent la présence d’un nombre important de pêcheurs depuis environ quatre décennies. Ces situations suggèrent à priori, une pression de pêche importante sur l’ichtyofaune de ces réservoirs. D’autant que selon D. Koudou (2012, p. 238), l’exploitation incontrôlée et très poussée des ressources halieutiques aboutit le plus souvent, à un ensemble de phénomènes aux conséquences négatives se traduisant par une baisse généralisée des rendements, une diminution de la taille et/ou une disparition totale de certaines espèces. En quoi les activités de pêche pratiquées dans le lac de Korhogo contribuent-elles dans leur forme actuelle à la détérioration de la ressource halieutique de cette retenue d’eau ?

L’objectif de cet article est d’expliciter les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles des pêcheurs, d’identifier les engins de pêche et de souligner les principales conséquences de leurs activités sur la ressource exploitée. L’hypothèse de l’étude stipule que l’exploitation halieutique du lac de Korhogo se caractérise par une forte densité des pêcheurs qui fait courir un risque de destruction de l’ichtyofaune de ce plan d’eau.

L’intérêt que cette recherche porte aux conséquences des activités de pêche sur les ressources halieutiques du lac de Korhogo tient, comme le disent T. Doudet et M. Legendre (1986, p. 110), à l’impérieuse nécessité d’aménager les connaissances sur cette pêcherie lacustre dans le but d’une meilleure gestion de son exploitation.

1. Matériels et méthodes

1.1. Site de l’étude

Korhogo est la plus importante agglomération urbaine du Nord de la Côte d’Ivoire et la quatrième plus grande agglomération urbaine du pays en termes de population : 275 111 habitants en 2017 (INS, 2017, p. 1). Le lac de Korhogo est localisé dans la partie nord-ouest de la ville, compris entre 9°27'45,28" / 9°28'27,68" de latitude Nord et 5°38'32,38" / 5°3'24,00" de longitude Ouest (figure 1).

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Le lac de Korhogo est issu d’un aménagement hydraulique réalisé sur le Tiologo (rivière intermittente) en 1973 par la Société de Distribution d’Eau de la Côte d’Ivoire (SODECI) pour l’adduction en eau potable de la ville. Mais, à côté de cette vocation principale, il est utilisé par les populations pour diverses autres activités, notamment la pêche qui y est pratiquée depuis le début des années 1980. D’une superficie de 62 hectares (P. D. SILUE, 2012, p. 176), ce lac est bordé par les quartiers Koko, Sonzoribougou et Mongaha.

1.2. Approche méthodologique

1.2.1. Collecte des données

L’enquête a été réalisée auprès des pêcheurs, de la Direction Régionale de la SODECI et de la Direction Régionale du Ministère des Ressources Animales et Halieutiques (MIRAH). Quatre techniques ont été utilisées pour la collecte des informations : la recherche documentaire, l’observation directe des faits, l’enquête par questionnaire et l’entretien semi-structuré.

Les données provenant de sources secondaires sont issues de l’examen de publications scientifiques relatives à l’exploitation et la gestion des ressources halieutiques.

Les travaux de terrain se sont déroulés en deux phases. La première a consisté en des entretiens semi-structurés réalisés avec les Directions régionales de la SODECI et du MIRAH. Les échanges ont globalement porté sur le répertoire des systèmes de gestion du lac, les conditions d’accès au lac pour la pratique de la pêche, les statistiques de production halieutique du lac, la recension de tous les problèmes en rapport avec les activités halieutiques, les propositions de solutions pour une gestion durable de la pêche sur le plan d’eau.

La seconde phase qui a consisté en l’administration d’un questionnaire aux pêcheurs a été menée en février 2019 (saison sèche) et juillet 2019 (saison pluvieuse). Cette technique a permis d’appréhender la dynamique saisonnière du plan d’eau et d’apprécier l’évolution spatio-temporelle des activités de pêche. L’espace du lac (le plan d’eau et ses bordures) a constitué la principale unité d’observation, car c’est à ce niveau que l’on rencontre l’ensemble des pêcheurs. L’absence d’une base de sondage relative à ces exploitants a conduit à interroger systématiquement tous ceux que nous avons rencontrés pendant la période d’enquête. Au total, 73 pêcheurs ont été recensés et soumis au questionnaire. Les données suivantes ont été prises en compte : l’âge, le statut matrimonial, le quartier de résidence, les activités générant un revenu extérieur à la pêche (activités alternatives), le nombre d’années de présence sur le lac. Il a également été question de la périodicité de la pratique de l’activité, le nombre et le type d’engins utilisés, les zones de pêche, les quantités journalières produites, le revenu journalier, le type de relations entretenues avec les gestionnaires du lac et les propositions pour une exploitation halieutique durable du lac.

Les observations de terrain ont été faites au cours de la phase d’administration du questionnaire aux pêcheurs. Elle a été l’occasion de suivre leurs pratiques afin d’en fixer les faits les plus marquants ; notamment le maniement de leur technique de production.

1.2.2. Traitement des données recueillies

Le traitement statistique des informations recueillies a été réalisé au moyen du logiciel Sphinx Millenium 14.5. À ce niveau, l’approche utilisée pour la spécification des caractéristiques sociodémographiques des pêcheurs est inspirée de celles de G. F. H. Boguhé et al. (2011) et L. Tah et al. (2009). La réalisation cartographique a été effectuée à partir des logiciels ArcGIS10.2.1 et Adobe Illustrator CC 2017. Une image de la ville de Korhogo mettant en exergue la zone du lac, extraite sur Google Earth a été traitée et géoréférencée sur ArcGIS. Par ailleurs, l’analyse du contenu des discours issus des entretiens effectués avec les représentants de la SODECI et du MIRAH a été réalisée.

Le traitement de ces données a conduit à deux types de résultats : l’identification des pêcheurs à travers l’analyse de leurs caractéristiques sociodémographiques et l’examen des activités de production.

2. Résultats

2.1. Caractéristiques sociodémographiques et professionnelles des pêcheurs

La pêche qui se déroule sur le lac de Korhogo est une activité genrée où se côtoient journellement exploitants de sexes masculin et féminin dans des proportions variant avec la nationalité.

2.1.1. Population de pêcheurs majoritairement féminine et allogène

Nous avons recensé 73 pêcheurs au cours de l’enquête de terrain. Cette population est composée d’acteurs de sexe masculin et des pêcheuses, Ivoiriens et allogènes (Maliens et Burkinabè) (Tableau 1).

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L’analyse du tableau 1 montre que la population des pêcheurs exploitant le lac de Korhogo est dominée par les pêcheuses (56,2 %) contre 43,8 % de pêcheurs. Selon le statut migratoire, les allogènes (Maliens et Burkinabè) sont les plus nombreux (58, 9 %). Suivant la nationalité, les exploitants maliens dominent l’activité avec une proportion de 49,31 %. Ils représentent également le taux le plus important d’acteurs de sexe masculin (75 %) et viennent en seconde position au niveau des pêcheuses (29,3 %). On dénombre la présence de 41,10 % d’Ivoiriens représentant 25 % des pêcheurs et 53,9 % des pêcheuses. La nationalité la moins importante est celle des burkinabè (9,59 %), uniquement des pêcheuses.

Par ailleurs, l’origine ethnique de ces acteurs révèle une représentation variant avec la nationalité (Tableau 2).

L’analyse du tableau 2 révèle que les pêcheurs sont issus de huit ethnies différentes. Globalement, les Malinké (Ivoiriens et Maliens) sont les plus nombreux (30, 2 %). Deux autres ethnies (Sénoufo et Bozo) se démarquent également, avec chacune une proportion de 27,4 % des pêcheurs.

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Une observation détaillée permet de noter que les Sénoufo fournissent le plus gros de l’effectif des Ivoiriens avec 66,7 %, contre 33,3 % de Malinké. Chez les pêcheurs maliens, les Bozo occupent la première place avec 55,5 %. Viennent ensuite, les Malinké (33,3 %), suivis des Samogo (5,6 %) et des Noumou (5,6 %). L’on dénombre ainsi quatre ethnies avec une présence remarquée des Bozo à haute tradition halieutique reconnue. La composition des pêcheurs burkinabè comprend 42,86 % de Dafi et de Mossis et 14,29 % de Boussanga.

Au sein des trois groupes de pêcheurs enquêtés (Ivoiriens, Maliens, Burkinabè), l’âge varie entre 13 et 73 ans (figure 2).

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L’analyse de la figure 2 révèle que les pêcheurs sont répartis en quatre classes d’âge : < 30 ans, [30-50[ ans, [50-70[ ans, ≥ 70 ans. Seuls les Maliens sont présents dans toutes ces classes d’âge. Ils sont notamment les seuls présents dans la classe d’âge des vieux pêcheurs d’au moins 70 ans où sont absents les Ivoiriens et les Burkinabè. On observe également, suivant cette configuration, la prédominance de deux classes d’âge : [30-50[ ans et [50-70[ ans.

Dans le détail, au niveau des Ivoiriens, on retrouve plus les pêcheurs dont l’âge est compris entre 50 et 70 ans (40 %). Les adultes de 30 à 50 ans et les exploitants plus jeunes, de la classe d’âge des moins de 30 ans viennent en dernière position (30 %).

Parmi les Maliens, les pêcheurs de la classe d’âge [30 à 50[ ans sont les plus nombreux (41,7 %). Ils sont suivis des jeunes de moins de 30 ans et des adultes de 50 à 70 ans avec des proportions respectives de 30,6 % et 22, 2 %. Les pêcheurs plus âgés ont un taux de 5,6 %.

Les pêcheurs burkinabè ne sont représentés que dans deux classes d’âge [30-50[ ans et [50-70[ ans avec respectivement des proportions de 28,6 % et 71,4 %.

Les résultats de l’étude concernant le niveau d’instruction montrent que les pêcheurs sont en grande partie analphabètes (Tableau 3).

Il ressort de l’analyse du tableau 3 que la population des pêcheurs comprend un taux important (73,97 %) d’acteurs n’ayant aucun niveau d’instruction. Cependant, quelques-uns ont fait l’école primaire (8,22 %), 1,37 % le secondaire et 16,44 %, l’école coranique.

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Par nationalité, on observe également la prédominance des acteurs analphabètes : 76,67 % des Ivoiriens, 75 % des Maliens et 57,14 % des Burkinabè. On note par ailleurs que seules des Ivoiriennes ont fait des études secondaires (3,33 %), alors que l’école coranique concerne 6,67 % des Ivoiriennes, 19,44 % des Maliens et 42,86 % des Burkinabè.

2.1.2. Prédominance des pêcheurs professionnels et de l’activité de pêche commerciale

Les pêcheurs exploitant le lac de Korhogo peuvent être sériés en trois groupes socioprofessionnels principaux : pêcheurs professionnels, pêcheurs occasionnels et aides-pêcheurs.

Les pêcheurs professionnels sont tous ceux qui font de la pêche leur activité à plein temps et en tirent l’essentiel de leur revenu. Ce critère est celui qui a été retenu au détriment du critère administratif défini par l’arrêté interministériel n° 001 du 08 octobre 1984, portant institution d’un permis pour la pêche professionnelle dans les eaux intérieures ivoiriennes parce qu’aucun des pêcheurs du lac ne possède de permis de pêche.

Ont été considérés comme pêcheurs occasionnels, tous ceux qui exercent en prime, une activité autre que la pêche. Ces personnes pratiquent en général la pêche pour subvenir à des besoins alimentaires ou pour résoudre un problème financier ponctuel. Limitées par les contraintes liées à la pratique de cette activité principale, elles ne s’adonnent à la pêche que de façon occasionnelle au cours de l’année. Ce sont entre autres des agriculteurs, des élèves (pratiquant la pêche durant les congés et vacances scolaires).

Les aides-pêcheurs sont des personnes employées par certains pêcheurs professionnels ou par des propriétaires d’engins de pêche pour qui ou avec qui, elles pêchent. Le statut d’aide ne permet pas à tous, l’accès au revenu tiré de la pêche. En effet, l’accès au revenu pour ces acteurs est parfois fonction de la nature de leur relation avec l’employeur ; le parent (fils, neveu, frère…) du pêcheur professionnel ou du propriétaire de l’engin de pêche n’étant en général pas rémunéré. Le graphique ci-après donne les différentes proportions de ces catégories de pêcheurs (figure 3).

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Au regard de la figure 3, les proportions des pêcheurs par nationalité diffèrent largement au sein des trois catégories socioprofessionnelles existantes. Cependant, on remarque globalement une domination de l’exploitation halieutique du lac par les pêcheurs professionnels, quelle que soit la nationalité. Suivent les pêcheurs occasionnels et les aides-pêcheurs. De plus, la tendance générale dans la pratique de l’activité est portée vers un travail en solitaire des pêcheurs puisque le ratio aide/pêcheur donne une moyenne de 0,01.

L’analyse de la figure 3 révèle également que les Maliens sont les plus nombreux : ils représentent respectivement 50% des pêcheurs professionnels et 83,33% des aides-pêcheurs. Les Ivoiriens dominent quant à eux la pratique occasionnelle de l’activité (52 %).

L’on observe également que les taux des populations des pêcheurs burkinabè se caractérisent par leur faiblesse, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle considérée.

Par ailleurs, les investigations montrent que deux raisons principales animent les pratiques halieutiques des pêcheurs exploitant le lac quant à la finalité de leurs productions : la commercialisation ou l’autoconsommation. La première concerne 24,66 % des pêcheurs et la seconde 15,07 %. À ces deux raisons principales, l’on peut adjoindre une troisième qui combine les deux premières. Elles occupent la part la plus importante des pêcheurs (60,27 %). Il s’agit de ceux qui pratiquent l’activité à la fois pour la vente et la consommation des produits (figure 4).

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L’analyse de la figure 4 révèle que l’exercice de la pêche pour la vente exclusive de la production est dominé par les pêcheurs maliens (55,55 %). La proportion la plus faible dans cette catégorie d’acteurs est celle des Burkinabè (5,56 %). Quant à la pratique d’une pêche de subsistance exclusive, elle est largement dominée par les pêcheurs ivoiriens (72,73 %). Alors qu’à ce niveau on retrouve très peu de Maliens (9,09 %). Enfin, l’autoconsommation/vente est principalement l’affaire des pêcheurs Maliens (56,82 %).

La pratique de la pêche est quotidienne sur le lac. Cependant, le temps consacré à l’activité diffère largement d’un pêcheur à un autre en rapport avec sa catégorie professionnelle et la place primordiale ou secondaire qu’il lui accorde. Dans le second cas, l’exercice de la pêche est associé à la pratique d’une ou de plusieurs autres activités sources de revenus. Selon les résultats de l’étude, moins de la moitié de la population des pêcheurs (36,99 %) exploitant le lac exerce des activités alternatives à la pêche. À l’opposé, ce sont 63,01 % qui la pratiquent de façon exclusive et n’ont donc pas de sources de revenus complémentaires. Ces proportions globales varient selon la nationalité des acteurs (tableau 4).

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Les activités alternatives exercées par les pêcheurs sont diverses. Cependant, les acteurs concernés par les activités agricoles et le commerce sont dominants. Ils représentent respectivement 51,85 % et 25,93 % des pêcheurs qui y ont recours.

Par nationalité, on observe que les pêcheurs ivoiriens (40 %) et maliens (36,11 %) s’y adonnent le plus. Les activités agricoles sont surtout le maraichage pratiqué durant la saison des pluies et la récolte de l’anarcade. Le commerce se résume en de petites activités de commerces ambulants.

2.2. Le lac de Korhogo, un espace soumis à une forte pression de pêche

Différentes techniques de pêche sont utilisées par les pêcheurs qui exploitent les ressources halieutiques du lac de Korhogo. Elles constituent avec la population des pêcheurs, les principaux facteurs de la pression exercée sur cet espace lacustre.

2.2.1. Exploitation permissive de la ressource halieutique

L’encadrement et la gestion de la pêche dans la région du Poro (dont Korhogo est le chef-lieu) sont en principe assurés par la Direction régionale du ministère des ressources animales et halieutiques (service étatique). Cependant, malgré la présence de ce service administratif dans la ville, les activités de pêche qui ont lieu sur le lac de Korhogo ne sont soumises à aucun contrôle, à aucune gestion administrative. En fait, ce service souffre d’un manque de personnel en matière de pêche. Il n’y avait par exemple, au cours de notre enquête, aucun agent de terrain spécialisé dans les questions halieutiques. Il n’y a donc aucune opération de police de pêche, ni d’encadrement des pêcheurs ou de suivi statistique de la production.

En conséquence, l’exploitation de cette retenue se caractérise par un libre accès à la ressource. Au vu de la faible superficie du lac (0,62 km2) et sur la base des 73 pêcheurs recensés, l’effort de pêche (nombre de pêcheur/km2) a été évalué à 117,74 pêcheurs/km2.

2.2.2. Présence de nombreux engins de production non réglementaires

Les engins de pêche utilisés sont peu variés et concernent essentiellement les nasses de type papolo, différentes variantes de filets maillants dormants, les filets éperviers et les palangres. Malgré cette faible diversité typologique, on note leur nombre relativement élevé. En effet, plus de 611 engins étaient utilisés sur le lac au cours de nos investigations. Les proportions d’utilisation de ces engins de production par les pêcheurs, se présentent selon le tableau ci-après (Tableau 5).

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Au regard du tableau 4, l’exploitation de la ressource halieutique du lac est largement dominée par des engins de pêche prohibés. En effet, on observe une utilisation prépondérante des nasses de type papolo (93,62 %), principalement faites de filets de mailles réduites (inférieures ou égales à 13 millimètres environ), non réglementaires car largement inférieures aux 35 millimètres recommandées par la législation. Ces engins de fabrication artisanale sont en majorité détenus par les pêcheurs ivoiriens (58,57 %). Leur coût d’acquisition est de 1 000 FCFA (1,52 Euro) l’unité.

À l’opposé, les palangres avec un taux de 0,49 % sont les engins les moins utilisés par les pêcheurs.

Les filets maillants utilisés par les pêcheurs du lac sont généralement posés le soir et relevés le matin. Il s’agit donc de filets dormants de différentes longueurs : 25 ; 50 et 75 mètres. Leurs mailles varient entre 25 et 80 millimètres. Ils sont majoritairement (90,48 %) aux mains des pêcheurs maliens.

Les filets éperviers sont des nappes plates (filets circulaires) d’environ trois à quatre mètres de rayons, munies de plombs périphériques. Les mailles des éperviers utilisés sur le lac sont comprises entre 30 et 80 millimètres. Ces filets sont en majorité (60 %) détenus par les pêcheurs maliens (photo 1).

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Ce sont également les pêcheurs maliens qui détiennent la totalité des palangres ; chaînes d’hameçons de longueurs variant au goût du pêcheur.

Par ailleurs, une analyse des taux d’utilisation de ces techniques selon le genre des acteurs montre que 92,80% des engins de pêche sont aux mains des pêcheuses contre seulement 7,20% pour les pêcheurs. Il en ressort également que hormis la technique du papolo largement dominée par les exploitantes (99,13%), les autres engins sont uniquement détenus par les pêcheurs.

En somme, hormis les palangres uniquement détenues par les Maliens, on retrouve indifféremment les autres types d’engins, aussi bien aux mains des pêcheurs ivoiriens que chez les exploitants allogènes.

2.2.3. Généralisation de la taille réduite des prises

D’une façon générale, les pêcheurs exercent leur activité de production toute l’année, à moins d’un assèchement intégral du lac qui peut survenir du fait de la combinaison des effets du climat local et surtout du pompage opéré par la SODECI pour la fourniture d’eau potable à la ville (Photo 2).

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Le lac connaît chaque année une décrue prononcée qui intervient pendant la saison sèche climatique, surtout entre le mois de février et le mois d’avril. Ce tarissement impacte négativement les activités de pêche ; en premier celles des pêcheuses dont la technique de capture au papolo est pour l’essentiel basée sur l’exploitation des zones bordières du lac. En effet, avec la décrue, ces zones sont les premières à s’assécher. De ce fait, les pêcheuses suivent le mouvement descendant de l’eau dans le déploiement de leurs nasses, jusqu’à ce que cela ne soit plus possible, entrainant ainsi l’arrêt de leurs activités de pêche. Puis, vient le tour des pêcheurs lorsque la quantité d’eau devient insuffisante pour manœuvrer leurs pirogues et déployer leurs engins de capture. Hormis ces conséquences directes sur la pêche, cet assèchement temporaire entraine également la mort de plusieurs poissons avant la réalimentation du lac en eau par la nouvelle saison des pluies.

Par ailleurs, la pêche pratiquée est non sélective. En effet, les observations faites au cours de l’enquête de terrain ont permis de se rendre compte de la capture généralisée de nombreux juvéniles de différentes espèces de poisson (photo 3).

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La photo 3 montre les prises d’un pêcheur utilisant un filet épervier. L’on remarque qu’il s’agit pour l’essentiel, de poissons de petites tailles et de jeunes poissons. Cet exemple est répandu dans les captures quotidiennes des pêcheurs du lac. Les chiffres de production faisant défaut, l’avis des pêcheurs et l’observation visuelle des prises ont été utiles. Les pêcheurs font état d’une baisse importante du niveau des prises et de la taille des espèces. Cela a permis de noter la capture courante de Chrysichthys et d’Oreochromis de poids moyens spécifiques faibles, de même qu’une faiblesse des quantités débarquées. Ainsi, abordé sous cet angle de l’observation de la taille des espèces les plus exploitées, l’on se rend compte que certaines d’entre elles, montrent des signes évidents de dégradation, manifestes dans les tailles des prises débarquées.

3. Discussion

Les résultats de l’analyse des caractéristiques sociodémographiques et professionnelles des pêcheurs exerçant leur activité de pêche au lac de Korhogo ont des points similaires à ceux de la plupart des études réalisées sur la pêche continentale en Côte d’Ivoire. Ces résultats font ressortir une configuration des acteurs montrant une juxtaposition de pêcheurs nationaux et d’exploitants allogènes, avec une domination de l’activité par les non-nationaux. Des constats semblables sont par exemple observés dans les travaux de H. SHEP et al. (2013, p. 31), D. KOUDOU (2012, p. 113), G. F. H. BOGUHE et al. (2011, p. 110), K. M. KOUMAN (2008, p. 180), K. TRAORE (1996, p. 105). Ces auteurs font des faibles proportions des pêcheurs nationaux, l’une des principales caractéristiques des activités de pêche dulçaquicoles ivoiriennes. La prépondérance des pêcheurs allogènes est liée au faible intérêt accordé par les autochtones à la pêche, considérée plus comme un pis-aller. Ils sont à contrario, plus orientés vers les activités agricoles comme le confirme C. KOFFI (2000, p. 38). Ils pratiquent notamment le maraîchage qui, par ailleurs constitue depuis plusieurs décennies, l’une des plus importantes activités de valorisation des retenues d’eau créées dans cette région (P. D. SILUE, 2012, p. 181 ; A. FROMAGEOT, 2007, p. 238).

La composition genrée des pêcheurs constitue une singularité du lac. D’ailleurs, les pêcheuses en représentent numériquement les principales exploitantes. L’explication de cette observation semble être liée à la localisation de cette retenue d’eau en milieu urbain, à sa mitoyenneté à plusieurs quartiers et au fait que « la pêche artisanale est caractérisée par un fort degré de flexibilité » (WORLDFISH CENTER, 2005, p. 2). Elle constitue ainsi un point d’entrée relativement facile pour ces femmes majoritairement âgées et analphabètes. Par conséquent, l’exploitation halieutique de ce lac, représente un « filet de sécurité » (WORLDFISH CENTER, op.cit., p. 5) pour ces pêcheuses, qui peuvent s’y adonner, même temporairement, en réponse à des besoins spécifiques ou par manque d’opportunités dans les autres secteurs d’activité présents dans la ville. Une réflexion comparable est émise par WORLDFISH CENTER (op.cit., p.6) qui souligne que la sécurité alimentaire des enfants et des autres groupes vulnérables (personnes âgées) dépend fortement de la possibilité qu’ont les femmes à obtenir du poisson par leur propre travail plutôt que du revenu des hommes du foyer. Elles jouent de ce fait, un rôle clé en garantissant la répartition équitable des bénéfices nutritionnels du poisson entre les différents membres de leurs foyers et des communautés.

Le libre accès à cette retenue d’eau et à ses ressources halieutiques, et le faible coût d’investissement que requiert le démarrage dans l’activité de pêche constituent les principaux déterminants qui y font converger outre des pêcheurs professionnels, d’autres types de pêcheurs. Ce sont les éléments clés de la compréhension du nombre important de pêcheurs sur cette retenue d’eau. En effet, la pratique de la pêche sur ce lac n’étant soumise à aucune restriction, à aucun contrôle, cette permissivité s’est traduite par l’effort de pêche excessif (117,74 pêcheurs/km2) que l’on y observe actuellement ; la norme recommandée par la FAO étant de 2 pêcheurs/km2 selon K. S. Da COSTA et al. (1998, p. 76) et E. BAIJOT et al. (1994, p. 152). Cette donnée de l’effort de pêche est également, largement supérieure à celles recueillies par L. TITO DE MORAIS et al. (2007, p. 219) et (K. S. DA COSTA et al., 1998, p. 75) sur plusieurs petits lacs agropastoraux de la même zone géographique, soumis à différents modes de gestion.

Ainsi, en raison de l’absence de gestion administrative, l’on peut se figurer que durant ces 39 ans d’exploitation, plusieurs personnes qualifiées par D. PAULy (1994, p. 113) de « gens sans ressources ou autre occupation » ont pu, s’y établir comme des pêcheurs, contribuant à l’accroissement de la pression de pêche. D’autant qu’il est connu que les pêches artisanales ont la capacité d’absorber les chômeurs, remplissant ainsi, la fonction de "soupape de sécurité" (T. SCUDDER et T. CONNELLY, 1985, p. 11).

Les modes d’exploitation de la ressource reposent d’une manière générale, sur des engins de pêche simples, relativement peu coûteux et faciles à acquérir comme c’est le cas pour les papolo. Cependant, à l’instar des observations faites par K. S. DA COSTA et Y. M. DIETOA (2007, p. 12) sur le lac Faé et G. F. H. BOGUHE et al. (2011, p. 116) dans les pêcheries crevettières du cours inférieur du fleuve Bandama, certains de ces engins posent problème. Ils sont potentiellement nuisibles pour la pérennité de la ressource en raison des dimensions de leurs mailles inférieures aux 35 millimètres imposés par la réglementation en vigueur. Dans cet ordre d’idée, les nasses papolo, certains filets maillants et éperviers aux mailles réduites, sont certainement les plus dangereux. À titre d’exemple, les mailles des filets utilisés pour la confection des papolo sont de 13 millimètres et contribuent de ce fait à la détérioration de la ressource.

En somme, l’extrême densité des pêcheurs et l’emploi d’un nombre important d’engins dont de nombreux engins prohibés peuvent en partie expliquer la généralisation de la taille réduite des captures et la faiblesse des productions observées au cours des investigations. Des observations similaires sont faites par d’autres auteurs. S. BECKERMAN (1983, p. 282) par exemple, est convaincu dans le cas du lac Maraccaibo situé entre la Colombie et le Vénézuela, que la baisse des rendements est imputable à l'intensification de la production. Au lac Victoria, J. L. CARNAT et S. TABARLY (2005, p. 4) voient dans la diminution des quantités débarquées par les pêcheurs de la perche du Nil ainsi que dans la réduction de la taille moyenne des prises (passée de 20 à 30 kg dans les années 1980 à 2 à 3 kg en 2005), le résultat de l’intensification de l’effort de pêche et de l’épuisement des stocks.

À ces facteurs liés à l’activité de pêche, il convient également d’adjoindre les déterminants environnementaux, notamment l’assèchement annuel du lac. D’autant que selon R. L. WELCOMME (1979, p. 225), la ressource est encore plus vulnérable à la pêche lorsque les nuisances environnementales s’ajoutent aux effets de l’intensification de l’effort de pêche.

Ces résultats sont également renforcés par les travaux de J. P. CORLAY (2004, p. 8-10) et l’analyse de l’équation de E. S. RUSSEL (1931) ci-après :

S2 = S1 + [(P + R) – (M + F)]

S1 : la biomasse du stock au début de la période d’observation.

S2 : la biomasse du stock à la fin de la période d’observation.

Cette équation permet de montrer que l’abondance (nombre d’animaux) et le poids d’un stock de poisson exploité dépendent de quatre facteurs :

  • la croissance pondérale des animaux (P) liée à la disponibilité alimentaire du milieu (rapport proies-prédateurs au sein des chaînes vivantes) ;
  • l’importance du recrutement (R), soit l’arrivée des jeunes dans la pêcherie ;
  • la mortalité naturelle par maladie, vieillesse, prédation, (M) ;
  • la mortalité par pêche (F).

Les deux premiers facteurs, P et R, contribuent à l’augmentation du stock tandis que les deux derniers, M et F, entrainent sa diminution. De plus, si le facteur F (la pêche) dépend totalement de l’homme, les facteurs P, R, M, par contre, relèvent de dynamiques naturelles, cycliques ou exceptionnelles, qui déterminent la production primaire à la base de toutes les chaînes trophiques (J. P. CORLAY, 2004, p. 8).

Si les facteurs naturels, en grande partie non maîtrisables par l’homme, contribuent de manière significative à la dynamique du système, les facteurs humains sont encore plus déterminants. D’abord, directement par le biais d’un effort de pêche trop fort ou mal ciblé sur le stock d’adultes lui-même, voire sur les juvéniles, entrainant ainsi, le capital. Ensuite, indirectement, car la pêche perturbe les liaisons interspécifiques au sein des stocks souvent composites et génère des phénomènes complexes d’action-réaction souvent au détriment des espèces de bonne valeur marchande (J. P. CORLAY, op.cit., p. 10).

En conséquence, les engins de pêche peuvent être considérés comme des prédateurs supplémentaires au même titre que les prédateurs naturels qui exploitent le stock halieutique pour leur nourriture. De ce fait, l’engin devient lui-même un sujet en concurrence avec ces prédateurs pour l’exploitation de la ressource. Il a, en réalité, pour effet, de provoquer une augmentation de la mortalité de cette ressource, et d’en influencer de la sorte, la dynamique de la population. Or, son action est encore plus destructrice qu’il est prohibé. Ainsi, les papolo, certains filets maillants et les filets éperviers dont les mailles sont de petites tailles, sont susceptibles de ravager une partie importante du stock halieutique au cours des activités de pêche.

De ce qui précède, il ressort que les activités de pêche entrainent la capture de nombreuses espèces de poisson. De fait, la mortalité des classes sélectionnées s’accroit. Il s’ensuit, qu’à la mortalité naturelle qui régissait la collectivité en équilibre, s’ajoute une mortalité par pêche. Il peut être déduit de ce raisonnement, l’équation suivante extraite de celle de E. S. RUSSEL (1931) :

Mortalité naturelle + Mortalité par pêche = Mortalité totale.

Les engins de pêche respectant les normes recommandées, dont les prélèvements ne se font que sur les populations plus ou moins matures, ont aussi des conséquences sur le stock halieutique. Directement d’une part, du fait du prélèvement des adultes et d’autre part indirectement du fait de compensation, puisque le recrutement est augmenté pour combler la place libérée par prélèvement. En réponse normale à une mortalité plus forte, une pêcherie exploitée dans les normes, sera riche en jeunes. Cependant, si les prélèvements faits sur le stock des reproducteurs sont trop importants au point d’entraver leur reconstitution normale, la compensation ne joue plus et le recrutement devient déficitaire. Ce qui signifie qu’une exploitation trop intense avec l’utilisation importante d’engins prohibés, aura pour effet d’accroitre exagérément la mortalité par pêche. Si cette mortalité est trop forte, l’écosystème restera incapable de trouver un nouvel équilibre, entrainant ainsi la réduction de la taille des espèces et un amenuisement des débarquements comme observé.

Tout bien considéré, ces signes de dégradation de la ressource montrent qu’il y a nécessité d’un suivi, d’un contrôle, d’une surveillance, donc d’une gestion de l’activité de pêche qui se pratique dans ce lac. De telles actions permettront de créer un équilibre entre la ressource exploitée et la capacité de pêche et d’assurer ainsi la durabilité de l’activité. Elles sont d’autant importantes que pour C. KOFFI (2000, p. 39), la rentabilité des systèmes d’exploitation des petits lacs du nord de la Côte d’Ivoire est fonction de l’efficacité du contrôle de l’activité et de l’entretien du barrage ; ces deux facteurs dépendant eux-mêmes du mode de gestion des barrages. De plus, selon la "thèse de la tragédie des communaux" de G. J. HARDIN (1968), l’exploitation d’une ressource en propriété commune se traduit par une augmentation du nombre des exploitants aussi longtemps que l’on peut en tirer un profit. Cette situation la conduit inévitablement à une surexploitation. Ainsi, selon la FAO (2004, p. 127) et J. WEBER (1995, p. 9) dans les pêcheries qui ne sont pas gérées ou qui sont comme dans le cas d’espèce, de facto en libre accès, la course au poisson tend à créer une capacité de pêche supérieure à celle nécessaire pour atteindre un rendement durable. In fine, l’augmentation de l’effort de pêche entraîne la surexploitation biologique et économique des pêcheries (FAO, op.cit., p. 128).

Conclusion

L’exploitation de la ressource halieutique du lac de Korhogo est dominée d’une part par les pêcheurs allogènes et d’autre part par les pêcheuses. Ces acteurs sont majoritairement adultes et analphabètes. En outre, ils exercent pour l’essentiel, l’activité de façon exclusive avec pour but l’autoconsommation et la commercialisation de la production.

Cette pêcherie lacustre se caractérise également par une absence d’un contrôle administratif de l’activité de pêche. En conséquence, l’on y observe un effort de pêche excessif avec une très forte densité de pêcheurs et la présence nombre important d’engins de pêche comprenant de nombreux engins non réglementaires. Cette situation laisse penser que la réduction généralisée de la taille des prises et la faiblesse des productions que l’on y observe en sont des conséquences vraisemblables. Toutefois, l’absence d’un suivi statistique de la production et de données d’hydrobiologie donne à relativiser ces résultats et ouvrent la perspective de recherche en ce sens.

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Auteurs

1Département de Géographie, Université Peleforo Gon Coulibaly (Korhogo-Côte d’Ivoire), Laboratoire Littorale, Mer, Santé, Sécurité Alimentaire et Transport (LIMERSSAT), dogbo.koudou@upgc.edu.ci

2Centre de Recherche en Écologie, Université Nangui Abrogoua (Abidjan-Côte d’Ivoire), kakoucharles74@yahoo.fr

3Centre de Recherche en Écologie, Université Nangui Abrogoua (Abidjan-Côte d’Ivoire), sekongoguen@yahoo.fr

 

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2020