Si la loi n° 05/98 portant statut des réfugiés en République gabonaise établit que la reconnaissance du statut de réfugiés accordée à un demandeur d’asile s’étend aux membres de sa famille, elle est silencieuse sur leur statut lorsqu’ils atteignent la majorité. Cette étude présente les caractéristiques socio-démographiques, spatiales et les situations juridico-administratives des descendants des réfugiés à Libreville. Elle analyse aussi les réticences des réfugiés à laisser leurs descendants devenir Gabonais. Ce travail s’appuie sur une bibliographie scientifique, des thèses de doctorat et des mémoires de master ainsi que sur les rapports officiels notamment de la Commission nationale pour les réfugiés et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Cette réflexion s’adosse également sur des entretiens avec des personnes-ressources et sur des données quantitatives de 133 descendants des réfugiés réalisés entre février 2020 et décembre 2021. Les résultats montrent que les descendants des réfugiés à Libreville sont majoritairement des hommes et bénéficient du statut de réfugié. Ce statut leur permet de jouir de la protection administrative et représente un compromis avec les parents qui ne souhaitent pas qu’ils deviennent des citoyens gabonais.
While law n° 05/98 on the status of refugees in the Gabonese Republic establishes that the recognition of refugee status granted to an asylum seeker extends to his or her family members, it is silent on their status when they reach the age of majority. This study presents the socio-demographic, spatial and legal-administrative characteristics of refugee descendants in Libreville. It also analyzes the reluctance of refugees to allow their descendants to become Gabonese. This work is based on a scientific bibliography, doctoral theses and master's dissertations, as well as official reports, notably from the National Commission for Refugees and the United Nations High Commission for Refugees. This reflection is also based on interviews with resource persons and quantitative data from 133 descendants of refugees carried out between February 2020 and December 2021. The results show that the descendants of refugees in Libreville are predominantly male and have refugee status. This status enables them to enjoy administrative protection and represents a compromise with parents who do not want them to become Gabonese citizens.
Introduction
Les conventions internationales régissant le statut des réfugiés1en conférant la reconnaissance individuelle du statut de réfugié à un demandeur d’asile admettent, qu’en application du principe de l’unité contenu dans les instruments internationaux2, que les membres de la famille de celui-ci puissent bénéficier aussi du statut de réfugié. Ainsi, s’il est arrivé seul dans le pays d’accueil, sa préoccupation essentielle est de faire venir sa famille (N. KAMBRIS, E. METRA, M. MOREAU, 2005, p. 55).
Au Gabon, la loi n° 05/98 portant statut des réfugiés en République gabonaise consacre, en son article 3, le principe de la réunification familiale. Il dispose que « le statut de réfugié reconnu à une personne s’étend aux membres de sa famille qui l’accompagnent ou le rejoignent par la suite, sauf s’ils sont d’une nationalité autre que celle du réfugié et jouissent de la protection du pays dont ils sont ressortissants ». Suivant cette disposition, la majorité des réfugiés au Gabon vivent en famille. Les données compilées par le bureau local du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) à Libreville montrent qu’en 2018, il y avait 167 enfants pour 694 réfugiés et demandeurs d’asile au Gabon. Ce rapport était de 229 enfants sur 567 en 2020 et de 64 personnes de 0 à 17 ans sur un total de 331 réfugiés et demandeurs d’asile en janvier 2022.
Nombre de réfugiés sont au Gabon depuis des décennies. Ceux venus du Tchad3, par exemple, y sont installés depuis la décennie 1970. « La problématique des réfugiés au Gabon, reste essentiellement celle de leur intégration juridique »4 Cette longue durée pose le problème du statut juridico-administratif de leurs descendants et ceci pour deux raisons. D’une part, la législation est muette sur le statut des enfants des réfugiés lorsque ceux-ci deviennent majeurs. Aucun texte ne signifie s’ils doivent continuer à jouir du statut de réfugié acquis par filiation ou s’ils devraient le perdre. Qu’ils soient nés au Gabon ou venus par le biais du regroupement familial, les enfants mineurs des réfugiés profitent du statut de réfugié de leurs parents. Cependant, il existe un vide juridique du passage de l’état de mineur à l’âge adulte. En effet, si la loi établit clairement que la reconnaissance du statut de réfugiés accordée à un demandeur d’asile s’étend aux membres de sa famille, elle ne dit pas si le descendant d’un réfugié, parvenu à la majorité, doit bénéficier systématiquement dudit statut.
D’autre part, de nombreux réfugiés sont réticents à l’accès de leurs progénitures à la nationalité gabonaise. En effet, nous avons pu constater, à partir de nos échanges avec les réfugiés ou leurs descendants, que de nombreux parents rechignent à accepter que leurs descendants acquièrent la nationalité gabonaise alors même que les dispositions de l’article 14 de la loi n°37/98 du 20 juillet 1999 portant Code de la nationalité gabonaise leur accorde cette possibilité. En effet, les alinéas 1 et 2 dudit article sont libellés ainsi qu’il suit :
« Peut se faire reconnaître la nationalité gabonaise à titre de nationalité d’origine :
- toute personne née au Gabon de parents étrangers, ayant souscrit sa déclaration dans les douze mois précédant l’accomplissement de sa majorité, à condition d’avoir à cette date son domicile ou sa résidence habituelle au Gabon depuis au moins cinq années consécutives ;
- toute personne née dans une localité d’un État frontalier du Gabon et ayant souscrit sa déclaration dans les douze mois précédant l’accomplissement de sa majorité, à condition d’avoir son domicile ou sa résidence au Gabon depuis au moins dix années consécutives ».
Il est indéniable que les descendants des réfugiés à Libreville et, plus largement au Gabon, répondent à ces critères. En effet, les instruments internationaux, particulièrement la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, en son article 1er, et la charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, en son article 2, définissent l’enfant comme tout être humain de moins de 18 ans. Au niveau national, l’article 3 de la loi n°003/2018 du 08 février 2019 portant Code de l’Enfant en République gabonaise définit l’enfant comme « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans ». Le terme de descendant permet de désigner l’ensemble des personnes nées des réfugiés qui sont aussi bien mineures que majeures. Le mineur est défini par l’article 492 du Code civil gabonais comme étant « l’individu de l’un de l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de 21 ans accomplis ». Le majeur, en comparaison, est l’individu qui a 21 ans révolus.
Notre réflexion est articulée essentiellement autour des interrogations suivantes : quelles sont les caractéristiques socio-démographiques, spatiales et juridico-administratives des descendants des réfugiés à Libreville ? Pourquoi certains réfugiés rechignent-ils à ce que leurs descendants acquièrent la nationalité gabonaise ?
Cette étude vise à présenter les caractéristiques socio-démographiques, spatiales et les situations juridico-administratives des descendants des réfugiés à Libreville et à analyser les raisons de la réticence des réfugiés à laisser leurs descendants accéder à la nationalité gabonaise.
[1] Il s’agit, dans le cas d’espèce, de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 et son Protocole additionnel de 1967, ainsi que de la Convention de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique de 1969.
[2] Il s’agit particulièrement de l’article 16-3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
[3] Cette communauté constitue le plus grand contingent des réfugiés actuellement au Gabon après la signature des différentes clauses de cessation du statut des réfugiés concernant les communautés du Congo-Brazzaville, de l’Angola, du Libéria et du Rwanda.
[4] https://www.gabonreview.com/gabon-les-refugies-plaident-pour-leur-integration-juridique/