Système de production de l’apiculture dans le Département des Collines : contraste entre expériences et performances de réalisation des acteurs

Résumé

Ce travail de recherche sur l’apiculture analyse le potentiel productif des territoires du département des Collines. La démarche du territoire utilisée s’est particulièrement focalisé sur les effets liés aux expériences et équipements dans la production apicole des communes du Département des Collines. La technique de boule de neige utilisée a permis de collecter les données auprès de 96 producteurs tous sexes confondus sur les 160 producteurs enregistrés dans les six communes, soit 60% des producteurs, ce qui correspond à un niveau de saturation satisfaisant. Sur la base des résultats statistiques obtenus, des cartes sont réalisées pour montrer la disparité des grands indicateurs apicoles des communes du Département des Collines. Les femmes occupent une position marginale (19%) dans la production apicole dans les communes des Collines à l’exception de la commune de Glazoué où elles représentent 40%. Cette activité apicole utilise dans une forte proportion (au moins 74%) des ruches semi modernes appelées Kenyanes contre une faible proportion d’utilisation des ruches traditionnelles (13%) et le reste est dans l’utilisation de l’outillage mixte. L’analyse de régression des déterminants de la production apicole montre qu’il existe une corrélation positive significative au seuil de 5% dans toutes les communes des Collines à l’exception de la commune de Glazoué, entre la capacité et le nombre de ruches kenyanes utilisées à titre individuel ou dans les territoires. L’utilisation des outils modernes ou semi modernes qui impacte la production indépendamment du nombre d’années dans la production apicole montre que cette filière pourrait être une large opportunité de lutte contre le chômage.

Abstract

This research work on beekeeping analyzes the productive potential of the territories of the department of Hills. The approach of the territory used was particularly focused on the effects related to experiments and equipment in the beekeeping production of the communes of the department of Hills. The snowball technique used made it possible to collect data from 96 producers of all sexes combined out of the 160 producers registered in the six communes, or 60% of the producers, which corresponds to a satisfactory saturation level. Based on the statistical results obtained, maps are made to show the disparity of the main beekeeping indicators of the communes of the department of Hills. Women occupy a marginal position (19%) in beekeeping production in the communes of the Hills with the exception of the commune of Glazoué of which women account for 40%. This beekeeping activity uses in a high proportion (at least 74%) semi modern beehives called Kenyan against a low proportion of use of traditional hives (13%). The regression analysis of the determinants of beekeeping production shows that there is a significant positive correlation at the 5% threshold in all Hill municipalities with the exception of the municipality of Glazoué between the capacity and the number of Kenyan hives used individually or in the territories. The use of modern or semi-modern tools that affect production regardless of the number of years in beekeeping production shows that this sector could be a wide opportunity to combat unemployment.

Introduction

L’apiculture est l’élevage des abeilles pour la production de miel. Elle « constitue une source potentielle non négligeable de revenu monétaire pour la population rurale » (H. YEDOMONHAN et A. AKOEGNINOU, 2009, p. 125). L’apiculture est également une source importante d’emplois pour de nombreux acteurs en Afrique au Sud du Sahara et est très adaptée aux petits producteurs, avec un meilleur retour sur investissement (L. LEKOSSA, 2021, p. 2).

L’apiculture moderne génère de nombreux produits de la ruche dont le miel et sollicite de faible main d’œuvre. Elle offre la possibilité de l’associer à d’autres activités agricoles. De ce point de vue, le miel issu de l’apiculture est « l’un des plus anciens aliments de l’humanité » (A. AHOUANDJINOU et al., 2016, p. 1351). Cette activité du secteur utilise  trois types d’apiculture à savoir : « l’apiculture traditionnelle (avec les ruches traditionnelles), traditionnelle améliorée encore appelée semi moderne (utilisant les ruches kenyanes, et moderne avec les ruches à hausses » productivités (A. S. T. MATSOP et al., 2011, p. 3).

Au Bénin, l’apiculture constitue une activité économique « ayant des retombées positives sur la production agricole et le revenu des ménages ruraux » mais peu valorisée par les pouvoirs publics.  Elle a pourtant des « répercutions écologiques positives » en fournissant économiquement, socialement et culturellement des profits.

Les conditions sont favorables et la production de miel permet aux acteurs de créer des chaînes de valeurs importantes. Une étude récente a révélé qu’au Bénin, plus de 70% de la production du miel provient de la chasse au miel, une pratique traditionnelle dévastatrice des colonies d’abeilles (G. PARAÏSO et al., 2017, p. 281).

L’analyse de la consommation du miel a montré aussi qu’il y existe un potentiel de marché important pour ce produit. Deux grandes formes de consommations ont été observées : la consommation intermédiaire et la consommation finale. La consommation intermédiaire porte sur l’utilisation du miel dans la fabrication d’autres biens (médicaments, produits cosmétiques, aliments, etc.), essentiellement par les petites entreprises. La consommation finale concerne l’utilisation du miel à diverses fins dans les ménages. Pour ce type de consommation, la recherche d’un aliment aux multiples vertus pour la santé et la valeur diététique du miel sont les principales motivations d’achat (T. YO et al., 2017, p. 71). Dans le cadre de cette recherche, il est question d’analyser le potentiel productif et de se focaliser particulièrement sur les variables liées aux expériences et équipements pour indiquer leur poids respectif dans la production apicole des communes du département des Collines.

1. Contexte, justification et objectif de la recherche

Cet article est une valorisation des données collectées dans le cadre de l’exécution du projet de recherche intitulé « Apiculture pour le Marché » (APIMA) financé par le Fonds National de la Recherche Scientifique et de l’Innovation Technologique (FNRSIT). Dans le cadre de ce projet, le laboratoire Dynamique de Population et Développement Durable (LADYPOD) a exécuté le volet intitulé « Evaluation du potentiel de la production apicole ». C’est dans ce cadre que des données ont été collectées entre les mois de mai et juin 2021 sur toute l’étendue du territoire du Bénin.

Dans le document du projet, la problématique dégagée est que : « l’apiculture constitue une réelle opportunité de diversification, et d’amélioration des revenus des populations rurales ». Mais, dans la politique publique, son potentiel est peu cerné et très faiblement valorisé. Elle ne requiert pas de grandes connaissances et ne nécessite que peu d’investissements. Pour ces raisons, l’apiculture demeure une activité très adaptée aux petits producteurs, avec un retour sur investissement meilleur à l’agriculture. Avec l’accroissement de la demande en miel et des autres produits de la ruche notamment sur les marchés locaux, régionaux et internationaux, l’apiculture apparait comme une véritable opportunité économique pour l’ensemble des acteurs de la filière : producteurs (apiculteurs amateurs ou professionnels), acteurs de l’extraction et du conditionnement, transformateurs (phytopharmacie, cosmétique etc.), distributeurs (hôtels, super marchés, pharmacie) et exportateurs (LABEF & LADYPOD, 2021, p. 3).

Le rapport provisoire de cette recherche a mis en évidence, un contraste très impressionnant au niveau des Collines. En effet, les apiculteurs, dont le nombre d’années reste faible dans la production, affichent les meilleures performances en termes de réalisation (LADYPOD, 2021, p. 5). La problématique locale souligne un constat paradoxal qui nécessite une explication pertinente. Une enquête complémentaire était conduite dans ce cadre. Ainsi, un protocole de recherche a été élaboré pour mieux éclairer cette dimension. Cette problématique est le faible pouvoir explicatif des expériences accumulées dans l’amélioration de la production du miel spécifiquement et de l’apiculture en général. C’est pourquoi, cet article vise à comparer le système de production d’apiculture pratiqué par les acteurs par commune en fonction de leurs expériences et de documenter les facteurs explicatifs du contraste observé. 

2.Données et méthodes

2.1. Données du secteur de la recherche

Le Département des Collines est limité au nord par les départements du Borgou et de la Donga, au sud par le Département du Zou, à l’Ouest par le Togo et à l’Est par le Nigéria (figure 1).

Fig11_1.png


Il compte six (06) communes que sont : Bantè, Dassa-Zoumé, Glazoué, Ouèssè, Savalou et savè. Ces six communes du Département des Collines jouissent de conditions favorables pour le développement des activités apicoles. Elles ont toutes un climat de type subéquatorial avec des précipitations abondantes au cours de l'année. Le climat est caractérisé par quatre (04) saisons dont : deux saisons sèches et deux saisons pluvieuses.

Le département des Collines appartient dans la politique de régionalisation agricole au quatrième Pôle de Développement Agricole (PDA n°4). Ce pôle abrite le plus important massif forestier du Bénin constitué des Monts Kouffè, Wari Maro et Agoua. Cette région centrale du Bénin possède une personnalité géographique bien distincte caractérisée par des réserves foncières relativement abondantes(K. B. SOSSOU, 2012, p. 132). Cette caractéristique est propice à l’apiculture.  Le PDA n°4 est une région comprise entre les parallèles 7°00’00’’ et 10°40’00’’ de latitude Nord et les méridiens 1°25’00’’ et 3°50’00’’ de longitude Est (BENIN, 2018, p. 7).

Au plan démographique, ce département compte 717477 habitants dont 363 885 sont de sexe féminin et 353.592 de sexe masculin.  Ces habitants sont regroupés dans 129159 ménages avec une taille moyenne de 5,6 membres. Le nombre de ménages agricoles est évalué à 67.815 pour une population agricole de 439.821 habitants (INSAE, 2015).

Il est densément drainé par des cours d’eau d’inégale importance. Il s’agit du Fleuve Ouémé, ses affluents et sous affluents en l’occurrence. Cette condition édaphique entretient une variété de formations végétales propices à l’apiculture (photo 1 et 2).

Fig11_2.pngFig11_3.png

Ces deux formations végétales sont très propices à l'élevage d'abeilles. La pluviométrie du département des Collines s’ajoute aux autres conditions édaphiques pour offrir de fortes potentialités mellifères naturelles et expliquent l’essor des activités traditionnelles et modernes de l’apiculture.

2.2. Méthodes utilisées

2.2.1. Population d’étude et critère d’inclusion

Dans le cadre de la présente recherche, la population d’étude est constituée des apiculteurs du Département des Collines. Ce sont des apiculteurs évoluant dans un groupement ou individuellement, ayant au moins 18 ans, jouissant de leurs facultés mentales, présents lors du déroulement de l’enquête, disponibles et ayant donné leur consentement pour répondre aux questions qui leur seront posées. Ceux qui ont démarré l’enquête et qui ont des contre-temps pour des raisons majeures et qui n’ont pu finir le questionnaire ont été exclus de l’étude.

La technique d’échantillonnage employée est celle dite de boule de neige. C’est une technique d’échantillonnage non probabiliste (non aléatoire) qui consiste à sélectionner de manière subjective les personnes à enquêter. Elle a permis d’identifier dans chaque localité des apiculteurs qui ont adhéré aux objectifs de la recherche. Les personnes identifiées ont indiqué, en retour d’autres apiculteurs de leur village ou d’autres villages. Ainsi, sur une population d’apiculteurs évaluée à 160 personnes, 96 ont adhéré à l’étude et répondu à toutes les questions posées.  Ces enquêtés représentent 60% des apiculteurs du département des Collines. Dans cette recherche, les chasseurs d’abeilles pour cueillir le miel dans les formations végétales, les troncs d’arbres ne sont pas pris en compte. Une étude avait pris en compte 110 de ces apiculteurs dans les communes de Djidja et Zogbodomey (G. Paraïso et al., 2017, p. 282).   Dans une autre étude réalisée en 2009, le nombre d’enquêtés était de 35 apiculteurs sur la production et les vertus du miel (H. Yédomonhan & A. Akoègninou, 2009, p. 126). En d’autres termes, la population d’enquête de cette recherche est valide pour déboucher sur des résultats qui pourraient être extrapolés.

2.2.2. Outils de collecte des données, de traitement des données

Le questionnaire d’enquête a été saisi à l’aide du logiciel CSPro version 7.4 et importé dans des téléphones mobiles (androïdes). Les données ont été collectées sur le terrain dans la base CSPro via l’application CS Entry installé sur les portables Androïdes. Ce logiciel a été également utilisé pour fusionner les données issues des différents appareils mobiles. Ces données ont été ensuite exportées en fichier «.sps » et «. stat » pour être utilisées dans le logiciel IBM SPSS 26 pour les analyses statistiques. Le logiciel ArcGIS a été utilisé pour la réalisation des différentes cartes. Quant au tableur Excel de Microsoft office 2019, il a servi à réaliser et à mettre en forme des tableaux et des graphiques.

 2.2.3 Spécification empirique du modèle

Pour mener l’analyse empirique, des variables quantitatives et qualitatives ont été utilisées. Une variable est une caractéristique de la population étudiée. Les variables qualitatives ont des caractéristiques dont les valeurs sont des modalités. Les variables quantitatives ont des caractéristiques dont les valeurs sont des nombres. Le modèle Tobit a été utilisé pour l’analyse des régressions avec le logiciel STATA. L’équation de la régression est la suivante :

Sans titre.png

Xit=αit+ Expérienceit+Typ_ruchit+Orgnisationit+Sit_matrit+ Niv_dinsit+Accès_au_financementit+ εit (1)

Avec αit le terme constant

Xit la production apicole du producteur i sur la période t

Expérienceit l’expérience du producteur i sur la période t

Typ_ruchit le type de ruche utilisé du producteur i sur la période t

Orgnisationit l’appartenance ou non à un groupement de production apicole du producteur i sur la période t

Sit_matrit la situation matrimoniale du producteur i sur la période t

Niv_dinsit le niveau d’instruction du producteur i sur la période t

Accès_au_financementit  l’accès ou non au financement du producteur i sur la période t

εit le terme d’erreur.

Les résultats statistiques obtenus ont permis de réaliser des cartes pour montrer la disparité des grands indicateurs apicoles dans les communes du Département des Collines.

3.Résultats et analyses

3.1. Apiculture, une activité peu exercée par les femmes dans les collines

Dans les communes du Département des Collines, la production apicole est nettement dominée par les hommes. Le tableau 1 montre la proportion des femmes dans l’apiculture dans le Département des Collines.

Fig11_4.png

L’analyse du genre dans la production de l’apiculture a révélé que 18 femmes seulement produisent sur 96 producteurs, soit 19% environ. Dans certaines communes cette faible présence des femmes dans la production apicole paraît plus accentuée. Ainsi, dans la commune de Savalou, c’est seulement 4 femmes sur 31 producteurs apicoles enregistrés, soit 13% environ, dans la commune de Dassa-Zoumé, ce sont 3 femmes pour un nombre total de 18 producteurs, soit 17% environ contre 40% de femmes dans la commune de Glazoué. Cette analyse prend en compte la production apicole et non toute la chaîne de valeurs du miel. On en déduit que les femmes interviennent peu dans la production apicole dans les Collines. Elle laisse entrevoir que les facteurs de production et le caractère rude de la production apicole pourraient intervenir pour limiter la proportion féminine dans l’apiculture.

3.2. Un système de production ouvert à la modernisation

L’apiculture est une activité économique marginale dans le Département des Collines. Cependant, les producteurs utilisent fortement les équipements semi ou fortement modernes. Le tableau 2 montre le niveau de modernisation des outils ou facteurs de production apicole dans les Collines.

Fig11_5.png

L’analyse du tableau 2 a montré que dans le département des Collines, on a dénombré 109 ruches dont 74% environs sont des Kenyanes. On observe que dans la commune de Savalou les producteurs ont été 4 sur 31 à utiliser les tôles ou pailles dans la production de l’apiculture, soit 13%. Cette proportion est marginale et montre une forte tendance à la modernisation des équipements de production apicole.

Cependant, les ruches appelées « dadant » sont utilisés par 3 producteurs apicoles, soit 30% et 2 producteurs apicoles (20%) utilisent les ruches en canaris dans la commune de Ouèssè. A l’échelle de la commune de Ouèssè, la proportion des apiculteurs utilisant les ruches traditionnelles reste moyenne (50%). Mais, à l’échelle du Département des Collines, cette proportion est très marginale. Elle représente moins de 8% des producteurs tous les deux sexes confondus. On en déduit que la production utilise un outillage relativement moderne avec une nette prédominance des ruches « Kenyanes » qui représentent 84% au moins des ruches utilisées dans l’élevage des abeilles dans les communes du Département des Collines.

Au total, la production de l’apiculture dans les Collines s’affranchit de la chasse des abeilles et s’oriente dès son essor vers un outil moderne adopté par les producteurs.

La principale miellerie de la commune de Savalou appartient à monsieur Raïmi Soumanou . La photo 3 montre la plaque d’identification de sa miellerie et une unité d’apiculture à proximité de cette miellerie.

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La photo 3 expose une unité d’apiculture dans une plantation de cajou. Il s’agit des Kenyanes réalisées en béton posées autour de l’arbre. A côté, la plaque d’identification de la plus miellerie grande miellerie de la Commune de Savalou qui a contribué à la formation à la modernisation de l’équipement. Cette apiculture apparaît comme une unité de formation et de démonstration. 

3.3. Déterminants de la production du miel dans les communes des Collines

La production apicole est sous le contrôle de plusieurs facteurs. Le tableau 3 montre une fluctuation des données due au potentiel hétérogène des communes du Département des Collines.

Fig11_7.png

L’analyse des résultats de l’estimation a révélé, que le nombre de ruche est un indicateur qui détermine la capacité productive de chaque apiculteur. Cet indicateur a une corrélation positive significative au seuil de 5% dans les toutes communes des Collines à l’exception de la commune de Glazoué. Au niveau de la commune de Glazoué, c’est l’accès au financement et le sexe du producteur qui sont des indicateurs significatifs avec des coefficients négatifs.  Le type de ruche utilisée a un coefficient positif sur la capacité productive des apiculteurs. En d’autres termes, les ruches traditionnelles ont des effets négatifs sur la capacité productive des apiculteurs tandis que les ruches modernes dites Kenyanes en l’occurrence font augmenter la production et le rendement. Dans la commune de Dassa-Zoumé, c’est l’expérience de l’apiculteur qui est significative dans la capacité de production.

Il en découle qu’une augmentation de 1% du niveau d’expérience entraîne une augmentation de 2,5 points de la production. Si cela apparaît logique, ce phénomène n’est plus observé nulle part dans les autres communes.

Ainsi, dans la commune de Ouèssè par exemple, l’expérience de l’apiculteur, le type de ruche, le niveau d’instruction, l’accès au financement, l’appartenance à une organisation et le sexe sont significatifs avec des coefficients négatifs pour le niveau d’instruction et l’accès au financement, toutes les autres variables influencent positivement la production en litre du miel. Dans la commune de Savè toutes les variables sont significatives. L’expérience du producteur, le type de ruche et l’accès au financement, influencent positivement la production du miel tandis que les autres variables ont une influence négative sur la production du miel. 

Dans la commune de Ouèssè, en dehors du nombre de ruche qui a un effet significatif positif, l’accès au financement, par exemple, influence négativement la production de miel. Un accroissement de 1% du financement des producteurs dans la commune de Savalou entraîne une diminution de la production du miel.

Au total, les déterminants de la production varient d’une commune à une autre. Cela pourrait être dû aux caractères spécifiques et multivariés de chaque commune. Les conditions édaphiques et l’existence des crédits usuraires pourraient être les facteurs qui ont entretenu ces fluctuations.

3.3.1. Expériences dans la production, un indicateur paradoxal mais pertinent

Le nombre d’années d’expériences dans la production de l’apiculture crée un paradoxal qu’il est intéressant de comprendre. La figure 2 a montré que le nombre moyen d’années d’expériences des six communes du Département des Collines.

Fig11_8.png

L’analyse de la figure 2 a révélé que les producteurs de Savalou ont affiché le plus petit nombre d’années d’expériences dans la production du miel. Ils ont en moyenne moins de six ans d’expériences dans cette filière. Tandis que les producteurs des communes de Ouèssè et de Savè ont plus dix années d’expériences. Les communes de Glazoué et de Dassa-zoumé ont occupé une position intermédiaire en matière du nombre d’années d’expériences. Les apiculteurs de ces deux communes ont des expériences entre six et dix ans. 

La figure 3 montre la production minimale et maximale au niveau des producteurs d’une part et la production moyenne par commune d’autre part.

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La production moyenne en litres du miel est la plus élevée dans la commune de Savalou. Cette production était de 133,79 litres en 2020. Elle représente 33,42% de la production totale du département des collines. C’est cette commune qui affiche une expérience de moins de six ans dans l’apiculture. Ensuite, la commune de Banté possède une production moyenne de 86,15 litres de miel par producteur, soit une proportion de 21,51% de la production totale.

Quant à la commune de Glazoué, elle a une production moyenne de 59 litres de miel par producteur, soit 14,73%. Dans la commune de Ouèssè, la production par producteur est de 52 litres. Le poids de la production de Ouèssè est de 12,98%. Les communes de Dassa-zoumè et de Savè ont enregistré des scores de production respectifs de 37,63 litres et 31,75 litres, soit respectivement 9,39 et 7,93 de la production totale des Collines. L’écart observé entre le maximum et le minimum de la quantité en litre de miel produit, indique que le potentiel de production de miel n’est pas atteint des producteurs de chaque commune et l’écart très accentué entre les valeurs maximales et minimales de la production au niveau des communes révèle une forte disparité de la capacité productive entre les communes considérées. Au total, les expériences dans la production ne constituent pas un facteur qui déterminent la capacité de production des communes.

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L’analyse de la figure 4 a indiqué que la commune de Savalou affiche le plus grand nombre d’apiculteurs. Ils sont 34 et représentent 35,4% de l’ensemble des producteurs du département des Collines. L’analyse croisée des trois cartes met en lumière que dans cette commune, la production moyenne était de 133,79 litres en 2020. Mais, les acteurs de cette commune ont été très récemment introduits à l’activité apicole destinée au marché. On en déduit que la capacité de production n’est pas très liée au nombre d’années d’expériences mais à l’équipement des outils de production adaptés.

Dans la commune de Savè, un focus group réalisé auprès de 20 apiculteurs a révélé que « nous avons envie d’obtenir des rendements élevés. Nous avons de grandes plantations d’anacarde. Mais, notre handicap majeur est l’absence d’équipements modernes pour produire le miel et ses dérivées à l’instar de la miellerie de Savalou. Le monsieur qui coordonne la production apicole est un universitaire. C’est un sociologue qui sait comment faciliter les tâches de production à ses coproducteurs pour obtenir une bonne performance » (Témoignage d’un groupe de producteurs à Oké Owo en octobre 2021).

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Ce discours du chef de ce groupement des producteurs de Oké Owo approuvé par les autres membres souligne la nécessité que l’Etat ou d’autres institutions accompagnent les producteurs pour une meilleure exploitation de leur potentiel.

4. Discussion

L’analyse des déterminants de la production de l’apiculture a suivi une démarche territoriale où le territoire est analysé en tant qu’élément actif du processus d’innovation (F. Bourkache et C. Perret, 2014, p. 3). La modernisation de l’outil est perçue comme le principal facteur qui engendre la valorisation du potentiel par territoires considérés. Dans ce contexte, ce facteur crée des interactions. Ainsi, « la variable territoriale » apparaît dans la valorisation du potentiel de production des apiculteurs des collines comme un facteur de reliance organisationnelle. Cette variable est donc pertinente comme un nouveau paradigme du développement de l’apiculture. La présente recherche confirme cette pertinence en montrant qu’une individualisation nette de la capacité productive par commune est liée à l’acquisition des équipements. L’organisation productive avec le leadership d’un producteur qui a adopté une position centrale dans ce maillon de la chaîne de valeur dans la commune de Savalou est le facteur de cette forte productivité apicole. Les autres communes qui n’ont pas atteint ce niveau de reliance organisationnelle ont affiché des productions plus que la commune de Savalou, la commune de Savè en l’occurrence. Les acteurs du Département des Collines ont montré une ouverture à l’utilisation des équipements apicoles. L’économie numérique a rendu le monde comme un village planétaire où les expériences se partagent très largement. Ainsi, la modernisation de l’apiculture qui a connu beaucoup de progrès au Canada et en Australie par exemple où la production par ruche peut atteindre 60kg tandis qu’en Afrique, les ruches traditionnelles produisent souvent peu de kilos dans un environnement reconnu nettement favorable devrait être bénéfique aux producteurs apicoles africains et des Collines en particulier. Au total, la production dépend donc des ruches utilisées, des facteurs environnementaux, de la technicité des apiculteurs (S. DELAHAIS, 2012, p. 9). Les résultats de la présentation corroborent le précepte selon lequel le niveau de technicité et les équipements adaptés influent sur la production mieux que le nombre d’années d’expériences. Ce résultat met en lumière un avantage dont les politiques publiques et les paysans devraient en tirer profit pour impulser la production apicole : l’équipement est facile à utiliser et n’a pas besoin d’une longue période d’apprentissage avant d’avoir une forte productivité apicole.

La Chine a longtemps été un pilier sur le marché mondial. Gros producteur, le pays produisait plus de ¼ de la production mondiale, soit 26% en 2008. D’autres pays parmi les principaux producteurs du monde sont les Etats-Unis fournissent 100.000 tonnes, l’Argentine, 80.000 tonnes) et le Mexique produit 56.000 tonnes (A. FORTIER et al., 2020, p. 16‑25).

Le défi de l’Afrique est qu’elle est le continent qui produit la plus faible quantité de miel, seulement 143.076, 2 tonnes, soit 12 %. Elle est pratiquement absente dans les échanges mondiaux de miel, sa part ne dépassant guère 1 %. Le quart de la production mondiale fait l’objet de commerce. L’Asie est le premier continent exportateur avec un taux d’exportation de 42 % de sa production. L’Afrique a le même potentiel non encore exploré que l’Asie (H. YEDOMONHAN et A. AKOEGNINOU, 2009).

Avec la création du Centre Intégré du Bénin pour l'apiculture Tropicale créé à Parakou pour organiser des stages de formation en apiculture et contribuer à la reconstitution des populations d'abeilles gravement affectées par la chasse au miel, le Bénin a eu très tôt conscience de l’opportunité de la production apicole. Ainsi, cette conscience des décideurs politiques sur l’apiculture moderne est apparue grâce à l’amélioration du revenu monétaire des acteurs et à l’utilisation des produits de la ruche en alimentation et en médecine. Dans une recherche récente G. AHOUANDJINOU et al, (2016) ont montré que la plupart des apiculteurs (74,29%) pratiquaient la chasse au miel avant d’être formés pour l’apiculture moderne. Les types de ruches connus étaient la ruche kenyane qui est utilisée exclusivement par 68,57% des apiculteurs et la ruche traditionnelle utilisée seulement par 8,57%. Les résultats de la présente recherche concordent avec ceux trouvés antérieurement par ces auteurs. Il s’agit d’une volonté de modernisation des outils de production apicole. Dans le contexte de cette recherche, 7% seulement des producteurs continuent d’utiliser l’équipement rudimentaire. Mais, dans l’ensemble, l’outillage utilisé est certes moderne, mais encore semi manuel.

Au nord-ouest du Cameroun, les exploitations apicoles traditionnelles (avec les ruches traditionnelles) et les celles semi modernes ou améliorées (avec les ruches kenyanes « KTBH ») produisent respectivement 77,46 et 112,68 litres de miel par an en moyenne. Les producteurs de la commune de Savalou qui utilisent la ruche « kenyane » ont obtenu en moyenne 132 litres confirmant ainsi l’apport remarquable de cette ruche dans l’augmentation du rendement.

Les résultats au nord-ouest du Cameroun qui ont mis en lumière que les exploitations apicoles traditionnelles (EAT) ont en moyenne une expérience apicole plus élevée par rapport aux Exploitations apicoles semi modernes (EASM) sans pouvoir avoir une capacité productive plus élevée. Les résultats actuels confirment cette observation au nord-ouest du Cameroun (A. S. T. MATSOP et al., 2011, p. 3).

En définitive, il est possible que de nouveaux acteurs sans expériences préalables en apiculture s’intéressent et réussissent dans cette activité si l’option de sa modernisation aux nouvelles normes productives est adoptée par les pouvoirs publics et les Partenaires Techniques et Financiers qui les accompagnent.

Dans la promotion de l’apiculture moderne, un défi de communication au profit de la gent féminine est aussi majeur que la modernisation de l’outillage. En effet, cette recherche a mis en lumière que les femmes apparaissent peu nombreuses dans le système de production. Cette exclusion est un construit social accepté par les femmes elles-mêmes au regard des conditions difficiles d’exploitation des ruches traditionnelles associées à cette profession. Il n’est pas encore perçu que l’apiculture moderne n’expose plus aux piqures d’abeilles. Ce résultat de recherche s’apparente à celui obtenu dans la production du riz en Afrique de l’Ouest (OCDE & CSAO, 2019, p. 25‑75). Mais, il s’agit de la production et non de la chaîne de valeurs qui part de la production à la consommation en passant par la transformation et la marchandisation du miel et ses dérivées. Les résultats de la présente recherche ne se sont pas intéressés aux autres maillons de la chaîne de valeurs. Le focus est mis sur la production qui est une tâche d’exclusion sociale des femmes pour les extraire de la pénibilité des piqures d’abeilles.

Conclusion et perspectives

La recherche menée sur la production apicole dans le Département des Collines a révélé qu’il existe deux grands défis majeurs pour exploiter au mieux le potentiel productif des différentes communes. Des acteurs s’organisent et créent une reliance organisationnelle et productive qui valorise leur potentiel productif. L’exemple de la commune de Savalou où un acteur central a organisé dans de nombreux villages est cité dans les autres communes des Collines. Dans ce cas, la maîtrise préalable de la production apicole n’est pas un frein, l’outillage moderne ou semi moderne a un effet positif sur le rendement. L’exploitation de la base de données du projet APIMA s’est penchée sur la production et la recherche complémentaire a visé à fournir des explications sur les disparités dans la capacité collective de production par territoire observées. Cette recherche ne s’est pas focalisée sur la chaîne de valeurs pour décrire tous les rôles des parties prenantes dont les femmes. La marginalisation de la femme dans le maillon de la production apparaît comme une condescendance sociale construite dans le cadre de la chasse au miel très différente d’une apiculture moderne. Une étude de portée générale sur la chaîne de valeurs de l’apiculture déterminera mieux la partition des tâches fondées sur le genre et qui montre la complémentarité et non l’exclusion sociale. Cependant, la modernisation de l’outil de production apicole devrait conduire à la recomposition de la division du travail pour que les femmes se retrouvent dans le maillon de la production en fonction de leur capital social.

Remerciements

Nous voudrions exprimer toute notre reconnaissance au Fonds National de la Recherche Scientifique et de l’Innovation Technologique (FNRSIT) du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS) pour avoir financé l’exécution du projet Apiculture pour le Marché (APIMA). Cet article est une émanation des données collectées dans ce cadre.

Références bibliographiques

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Auteur

1Chargé de Recherche (CAMES), Laboratoire de Dynamique de Population et Développement Durable au Centre Béninois de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (LADYPOD/CBRSI)., koffibsossou@yahoo.fr

 

Fichiers

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Date de parution
31 déc 2021