Variabilité pluviométrique et agriculture dans le bas-fond de Mahounou (Centre-ouest de la Côte d’Ivoire)

Résumé

La variation des paramètres climatiques a des incidences réelles sur le milieu naturel et cultivé en Côte d’Ivoire. Il est déjà largement prouvé la vulnérabilité de l’agriculture pluviale face aux irrégularités du climat. Qu’en est-il des cultures de bas-fond ? La présente étude évalue les impacts de la variabilité climatique sur la production agricole d’une zone humide (le bas-fond de Mahounou dans la sous-préfecture de Gonaté).

Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes servis de deux approches : les analyses statistiques et les enquêtes de terrain. La première s’appuie sur les tests de détection de ruptures, les indices pluviométriques, le modèle de Sivakumar pour montrer l’évolution des facteurs climatiques de productions agricoles de 1943 à 2017 et les impacts agricoles de ces derniers. Les enquêtes de terrain ont permis d’identifier les vulnérabilités ainsi que les stratégies d’adaptation des paysans aux variations des paramètres climatiques.

Les résultats obtenus indiquent une tendance à la baisse de la pluviométrie de l’ordre de 21% durant la période d’observation. Cette situation entraîne la réduction des saisons humides et l’assèchement prolongé du bas-fond. La non-maîtrise du calendrier agricole et de la gestion de l’eau par les paysans entrainent la baisse et parfois la perte des productions. Face aux contraintes climatiques assez complexes, certains paysans ne développent aucune stratégie d'adaptation. D’autres optent pour des variétés précoces et résistantes à la sécheresse, procèdent à l’extension et à la dispersion de leurs parcelles agricoles et à la densification des semis pour s’assurer d’une bonne récolte en fin de saison.

Abstract

Climatic parameters variation has some real impacts on the natural and cultivated environment in Côte d’Ivoire. It is yet largely prooved the vulnerability of the rainfed agriculture.What’s about shallows cultures ? The current study evaluates the impacts of the climatic variability on the agricultural prodution of a humid area (Mahounou’s shallow : Gonaté) )

To reach that goal, we have resorted to two approaches : statistical analysises and on-site investigations. The first focuses on the rupture detection’s test, the rain index, the Sivakumar’s model to show the evolution of hydric agricultural productions factors from 1943 to 2017 and their agicultural impacts. The field investigations have permitted to identify the vulnerabilities and so as the the peasants adaptation strategies to climate changes.

The outcomes results show a downward trend in rain index of the order of 21% while the study period. This situation is causing a decline of humid seasons and the prolonged drying up of the shallow. The non-mastery of the agricultural calendar and water’s managment lead to a decrease and sometimes the lose of productions. Facing the complexity of climate constraints, some peasants don’t look to the development of an adaptation strategy. Others resort to precoce and resistant varieties to drought, proceeding to the extent and spreading of the agricultural field area, and to the densification of seed in the purpose to ensure a good harvest at the end of the season.

Introduction

« Les bas-fonds sont des agroécosystèmes potentiellement importants mais insuffisamment mis en valeur en Afrique de l’Ouest » (W ANDRIESSE et L. O FRESCO., 1991 cités par V.J. MAMA, 2011, p. 54). Ils représentent un grand atout disponible pour accroitre la production des cultures (riz et cultures maraichères notamment). Partant de ce fait, un déplacement du front des activités agricoles vers ces milieux, censés se positionner comme une adaptation au changement climatique par la maîtrise de l’eau (J. OLOUKOI 2005, p.65) est ainsi constaté. Il s’en suit la perturbation des calendriers culturaux qui ont pour conséquence d’hypothéquer la disponibilité en eau des sols, compromettant ainsi les productions agricoles (A. P. DIBI KANGAH, 2004 ; T. A GOULA BI., B SROHOUROU., A.B BRIDA., K.A N’ZUÉ., G. GOROZA, 2010 cités par K. C. N’DA, 2016, p.25). Ces espaces sont également touchés par la variabilité climatique que subit le pays depuis les années 1970 (NEPAD–PDDAA, 2005, p.10). La question à laquelle cette étude tente de répondre est : quelles sont les incidences de la variabilité climatique sur la production agricole des bas-fonds? L’étude va s’appuyer sur le cas du bas-fond de Mahounou. Elle vise donc à montrer les impacts des variations climatiques sur la production agricole du bas-fond de Mahounou. De manière spécifique, l’étude vise à analyser l’évolution du climat, son impact sur la production agricole et les stratégies d’adaptation développées par les populations dans le bas-fond de Mahounou.

Ce bas-fond, situé dans le département de Daloa (Centre-ouest de la Côte d’Ivoire) entre les latitudes 6°56’00’’ et 5°56’30’’ Nord et les longitudes 6°16’00’’et 6°20’30’’ Ouest, couvre une superficie de 259 hectares (figure 1) et orienté nord-sud.

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1. Données et méthodes de l’étude

Pour réaliser cette étude, trois types de données ont été utilisées : les données climatologiques, agronomiques et d’enquêtes collectées aux moyens d’un questionnaire. L’analyse de ces données s’inscrit dans une approche multidisciplinaire reposant sur la mise en commun des démarches agroclimatiques, socioéconomiques, anthropologiques et géographiques (Y. T. BROU, 2005, p.28; K. C. N’DA, 2016, p.67).

1.1. Démarche climatologique : données et méthodes de traitement

Les données climatologiques sont de diverses natures. Ce sont les valeurs pluviométriques mensuelles (1943-2017), journalières (1981-2017) ainsi que les valeurs de l’évapotranspiration potentielle (1983-2017). Ces données proviennent de la station synoptique de Daloa. La localité de Mahounou ne disposant pas de poste climatique, il est conseillé de se servir des données synoptiques qui sont représentatives sur un rayon de 150 km (OMM, 2011). Les ruptures ont été détectées aux moyens du test de Pettitt (1979). Ce test non-paramétrique est dérivé de celui de Mann-Whitney (1947). L’absence d’une rupture dans la série (Xi) de taille N constitue l’hypothèse nulle. La mise en œuvre du test suppose que pour t compris entre 1 et N, les séries chronologiques (Xi), i=1 à t et t+1 à N appartiennent à la même population. La variable à tester est le maximum de la valeur absolue de la variable Ut, N définie par :

Ut, N=i=11j=t+1NDij                       (3)

Où Dij = sgn (Xi-Xj) avec sgn (X) = 1 si x > 0, 0 si x = 0 et -1 si x< 0

Dans le cas où l’hypothèse nulle est rejetée, une estimation de la date de rupture est donnée par l’instant t définissant le maximum en valeur absolue de la variable 𝑈𝑡, 𝑁.

Ces données climatologiques ont également permis de calculer les indices pluviométriques annuels (S. E. NICHOLSON, J. KIM, J. HOOPINGARNER, 1988 cités par K. C N’Da., 2016, p.84) à partir de la formule suivante :

I=Xi-Mσ  (1)   Avec :

I : Indice pluviométrique de l’année i ; X: pluie saisonnière de l’année i ; M : Valeur moyenne interannuelle de la pluie sur la période 1943-2017 ; σ : écart type de la pluie sur la période 1943-2017.

 

Une observation de meilleures fluctuations interannuelles s’obtient par l’emploi du filtre non récursif passe-bas de Hanning d’ordre 2 (moyennes mobiles pondérées centrées réduites) recommandé par TYSON et al., 1975 cité par K. C. N’DA (2016 p.85). Dans ce cas, les totaux pluviométriques annuels sont pondérés en utilisant l’équation suivante :

xt=0,06x(t-2)+0,25x(t-1)+0,38xt+0,25x(t+1)+0,06x(t+2)                 (2)

Pour 3≤ t≤(n-2)  où Xt  est le total pluviométrique pondéré du terme t, représente l’année courante.

1.2. Démarche agronomique : données et méthodes de traitement

Les données utilisées dans cette approche, autres que les hauteurs de pluie, concernent les capacités de rétention en eau du sol ou réserve utile (RU), l’évapotranspiration potentielle et les rendements agricoles. Les RU sont définies selon les zones géographiques de la Côte d’Ivoire (T. A GOULA BI., B. SROHOUROU., A.B. BRIDA, K.A. N’ZUÉ, G. GOROZA., 2010; K. A. COULIBALY, 2016, p.25). Il s’agit de 60 mm pour la zone écologique du centre-ouest où est située à Daloa et par ricochet, le bas-fond de Mahounou. Ces données ont servi à déterminer les saisons végétatives aux moyens du logiciel INSTAT + version 3.36.

Ces saisons végétatives sont déterminées sur la période 1981-2018 à partir des données de pluie et d’évapotranspiration. La détermination de celles-ci s’appuie sur les critères de Sivakumar (1988) adaptés en Côte d’Ivoire par T. A GOULA BI., B. SROHOUROU., A.B. BRIDA, K.A. N’ZUÉ, G. GOROZA (2010). Ainsi, les dates de début de la première et deuxième saison humide correspondent respectivement aux dates X après le 11 mars et Y à partir du 1er août quand il y a au moins 20 mm de pluie en deux (02) jours consécutifs. Cela sans une période sèche de plus de sept (07) jours consécutifs dans les trente (30) jours suivants. Les dates de fin de la première et seconde saison humide interviennent respectivement après le 1er Juillet et 1er Novembre lorsque le stock d’eau du sol est inférieur ou égal à 0,5 mm.

Les principales cultures du bas-fond de Mahounou à savoir la tomate et le chou sont choisies pour l’étude. À l’échelle du terroir de Mahounou, il n’y a aucune donnée de production et de superficie archivée. Pour pallier ce manque, trois paysans ont été sélectionnés sur la base de leur capacité à conserver leurs différentes productions obtenues après chaque récolte. Ces données couvrent une période de trois années (2015-2017). Elles ont été rapportées à l’hectare pour déterminer leur rendement. Les liaisons pluie/rendement ont été effectuées au moyen du coefficient de corrélation (R) de Bravais-Pearson (A.P. DIBI KANGAH, 2010) qui montre l’ampleur et le sens (positif ou négatif) de l’influence des pluies (x) sur les rendements (y). Il se calcule par la formule suivante :

Comme une covariance est forcément inférieure ou égale au produit des écart-types, le coefficient est compris entre -1 et 1. Un signe négatif indique qu’y varie en sens inverse de x et on parle alors de corrélation négative. Si le coefficient de corrélation est proche de 0, les deux variables sont linéairement indépendantes tandis qu’une liaison linéaire est d’autant plus marquée que le coefficient s’approche de 1 ou -1.

1.3. Les données d’enquêtes

Elles concernent principalement la perception paysanne de la variabilité climatique, l’impact de cette dernière sur la production agricole ainsi que les stratégies locales d’adaptation à celle-ci. Les enquêtes ont été effectuées sur la base d’un échantillonnage raisonné définie selon les critères suivants : la frange de la population qui s’adonne effectivement à l’agriculture de bas-fond ; l’âge minimal des paysans concernés par nos enquêtes estimé à 45 ans ; et une ancienneté dans l’exploitation à des fins agricoles du bas-fond d’au moins dix ans. Au total, 65 paysans issus du village Mahounou auquel appartient le bas-fond, ont accepté d’apporter des éléments de réponses à nos différentes questions. Ce bas-fond est mis en valeur exclusivement par les populations autochtones (populations de Mahounou). La combinaison des analyses statistiques des données climatologiques et de la perception paysanne nous a permis d’obtenir des résultats qui seront discutés.

Comme une covariance est forcément inférieure ou égale au produit des écart-types, le coefficient est compris entre -1 et 1. Un signe négatif indique qu’y varie en sens inverse de x et on parle alors de corrélation négative. Si le coefficient de corrélation est proche de 0, les deux variables sont linéairement indépendantes tandis qu’une liaison linéaire est d’autant plus marquée que le coefficient s’approche de 1 ou -1.

1.3. Les données d’enquêtes

Elles concernent principalement la perception paysanne de la variabilité climatique, l’impact de cette dernière sur la production agricole ainsi que les stratégies locales d’adaptation à celle-ci. Les enquêtes ont été effectuées sur la base d’un échantillonnage raisonné définie selon les critères suivants : la frange de la population qui s’adonne effectivement à l’agriculture de bas-fond ; l’âge minimal des paysans concernés par nos enquêtes estimé à 45 ans ; et une ancienneté dans l’exploitation à des fins agricoles du bas-fond d’au moins dix ans. Au total, 65 paysans issus du village Mahounou auquel appartient le bas-fond, ont accepté d’apporter des éléments de réponses à nos différentes questions. Ce bas-fond est mis en valeur exclusivement par les populations autochtones (populations de Mahounou). La combinaison des analyses statistiques des données climatologiques et de la perception paysanne nous a permis d’obtenir des résultats qui seront discutés.

2. Résultats

2.1. Tendance pluviométrique de 1943 à 2017

2.1.1. Analyse des ruptures dans la série pluviométrique

L’analyse de la figure 2 indique une rupture significative au seuil de 95% en 1971 et deux sous-séries : les sous-séries 1943-1971 et 1972-2017.

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La première sous-série (1943-1971), avec une moyenne pluviométrique de 1437,5 mm/an. La seconde période (1972-2017) enregistre, quant à elle, une moyenne de 1223,1 mm/an. On constate alors une baisse pluviométrique importante estimée à 214,3 mm/an (soit un taux de régression de 15%) de la première à la seconde sous-série (tableau 1). Le bas-fond de Mahounou est donc sujet à une baisse des cumuls pluviométriques sur la période 1943 à 2017.

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2.1.2. Analyse de l’évolution des pluies annuelles

De l’analyse de la figure 3, on remarque que la fluctuation interannuelle de la pluviométrie à Mahounou (station de Daloa / Mahounou) se caractérise par une tendance générale à la baisse avec deux principales périodes. Une période excédentaire (1943 à 1971) et une période déficitaire visiblement longue (1972-2012) puis une légère alternance période humide/sèche de courte durée dès 2013. Avant 1971, très peu de séquences sèches ont été observées dans le bas-fond de Mahounou (station de Daloa / Mahounou). Par contre, les séquences sèches sont plus importantes après la date de rupture (1971) avec une tendance à l’aridification.

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Ainsi, nous retenons que les quantités de pluies baissent sur la période de notre étude à Mahounou.

2.2. Impact de la variabilité climatique sur l'agriculture de bas-fonds

Les impacts de la variabilité climatique sur l’agriculture de bas-fonds sont multiples et variés. Il s’agit ici de la perturbation du démarrage des activités agricoles à travers la modification des dates de début et de fin des saisons végétatives, la baisse des rendements agricoles et la perte de production.

2.2.1. Perturbation du démarrage  des activités agricoles

2.2.1.1. Modification des dates de démarrage des saisons végétatives

Les figures 4 et 5 présentent l’évolution interannuelle des dates de démarrage des saisons pluvieuses issues de l’analyse de la série chronologique pluviométrique journalière de 1981 à 2017. L’analyse de celles-ci révèle des variations des dates d’installation des saisons pluvieuses. La grande saison humide débute généralement le 10 Avril à Mahounou. On note des variations importantes (avoisinant 30 jours par rapport à la moyenne) au niveau de ces dates. Les débuts des saisons végétatives les plus précoces sont notamment ceux des années 1982 (14 Mars), 1986 (18 Mars), 2008 (12 Mars), 2009 et 2013 (11 Mars).

Il faut noter qu’il existe également des débuts de la grande saison pluvieuse très tardifs avoisinant parfois 30-60 jours. Ces débuts tardifs sont entre autres 1982 (06 Mai), 1985 (12 Mai), 1992 (5 Mai), 1997 (7 Mai), 1999 (19 Juin), 2012 (13 Mai) et 2016 (17 Mai). A l’opposé de la grande saison des pluies, la date de démarrage de la petite saison sur l’ensemble de la période considérée connait un retard significatif. En effet, le démarrage moyen de la petite saison humide est le 22 août à Mahounou. Les retards les plus importants sont ceux des années 1993, 1997, 1998, 2009 2011 et 2015 avec respectivement comme date de démarrage 16 septembre, 06 octobre, 11, 29, 28 et 25 Septembre.

Ces irrégularités de l’ordre de 30 jours montrent la forte variabilité des dates de débuts des saisons humides.

Pour la plupart des paysans enquêtés (75%), la saison des pluies coïncidait dans les années précédentes avec le mois de mars accompagnée d’une certaine régularité. Ils estiment que c’est à partir des années 2000 que le début de la saison des pluies commence généralement pendant le mois d’avril (55%) voire même celui de mai (19%). La perception paysanne montre clairement la variabilité des dates de début des saisons humides ces dernières années. Ces résultats démontrent donc que les débuts des saisons pluvieuses connaissent des variations à Mahounou.

La variabilité des dates de démarrage impacte considérablement les périodes de semis des paysans. Le décalage du démarrage de la saison des pluies entraine un décalage des périodes de semis. La majeure partie des paysans enquêtés (73,85%) ont évoqué la perturbation de leur période de semis. Ils ont évalué cette période de semis comme étant tardive. La variation du démarrage des saisons humides influence donc le début des activités agricoles par la variation des dates de semis. Qu’en est-il des fins des saisons humides ?

2.2.1.2.Variation des fins de saisons humides

Les figures 6 et 7 presentent l’évolution interannuelle des dates de fin de saisons (grande et petite) de 1981-2017. L’analyse des différentes figures indique au niveau de la fin de la grande saison des pluies, une tendance à la normale avec des variations observées au fil des années. La date moyenne de fin de saison est le 21 Juillet.

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En ce qui concerne la fin de la petite saison humide, elle connait de fortes variations avec une tendance générale plus tardive que celle de la grande saison humide, eu égard de la courbe de tendance. 

La variation des débuts et fins des saisons humides expose les activités agricoles à des récessions hydriques dont l’une des conséquences est l’assèchement des parcelles agricoles (photo 1).  

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2.3.2.2. De la baisse des rendements à la perte de la prodcution agricole

Au niveau des rendements, les enquêtes effectuées auprès des paysans ont permis d’avoir une idée sur leur évolution ces dernières années. En effet, 86% des paysans enquêtés sont confrontés à une baisse de leurs productions agricoles. En période de sècheresse, les paysans sont confrontés à l’assèchement de leurs différentes réserves d’eau (puits et autres). Quand survient cette période, les cultures deviennent plus vulnérables et les chances de réussite de ces dernières s’affaiblissent considérablement. L’évolution des rendements moyens des cultures les plus pratiquées dans le secteur d’étude au cours des années 2015, 2016 et 2017 est consignée dans le tableau 2.

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Les rendements moyens obtenus durant ces trois années dans le bas-fond de Mahounou sont marqués par une régression assez importante. De 2015 à 2017, la tomate est passée de 3,2 tonnes/ha en 2015 à 2,57 tonnes/ha en 2017. Elle a connu une régression de 13% et le chou a enregistré une régression estimée à 25%. Ces résultats corroborent les avis globaux des paysans enquêtés quant à l’évolution de leur rendement agricole.

La mise en corrélation des données de la pluviométrie et le rendement agricole de la tomate et du chou sur la période 2015-2017 indique une forte relation entre ces variables (R=0,96 pour la tomate et R=0,63 pour le chou). Cette forte corrélation montre que la modification de la pluviométrie a un impact sur les rendements agricoles. Cela révèle que la baisse des hauteurs de la pluie influence négativement les rendements de la tomate et du chou, entrainant la baisse des rendements. La pluie est donc facteur susceptible d’influencer les rendements. Les effets du stress hydrique entrainent en effet l’assèchement des cultures (photo 1).

L’asséchement des parcelles met en péril les productions escomptées des paysans, accentuant ainsi leur vulnérabilité. Face à cette tendance, les paysans n’ont d’autres choix que de tenter de s’adapter.

2.3. Stratégies locales d’adaptation des paysans à la variabilité climatique

Toute nouvelle situation qui prévaut chez les humains appelle à une réflexion en vue de déterminer des solutions propices. Confrontés à la perte de leur production agricole, les paysans développent diverses stratégies en vue de s’adapter aux contraintes climatiques. Les premières stratégies sont menées sur les parcelles pour accroître les productions. La deuxième approche se fait hors des parcelles. 

2.3.1. Choix d’adaptation sur place

2.3.1.1. Choix de l’extensif et de nouvelles variétés

D’une façon générale, le risque climatique est antagoniste à l’intensification, à l’investissement de travail et de capital pour augmenter la production. Ainsi, avec l’accentuation de l’aridité et des aléas climatiques, les agriculteurs optent pour une simplification et une extension de leurs systèmes de culture. Cette pratique leur permet selon eux d’augmenter leur production. L’avis des paysans concernant l’évolution des superficies des parcelles agricoles a été pris en compte. A ce niveau, 77% des paysans enquêtés ont fait varier l’étendue de leur parcelle dont 49% optent pour l’augmentation de ces parcelles.

L’adoption de nouvelles variétés (photo 2), selon les paysans, apparaiît comme une méthode permettant d’augmenter les chances de réussite d’une parcelle. Elle inclut des variétés à cycle court mieux favorisant le calage du cycle cultural avec les pluies, et réduire ainsi les risques de stress hydrique. Cette option concerne 66% des paysans enquêtés.

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Une variété précoce (65 jours), résistante aux variations pluviométriques et tolérante aux flétrissements bactériens.

2.3.1.2. Usage et densification de semences résistantes

Avec la raréfaction des pluies et les exactions des animaux (extraction des semences), certains paysans (59%) décident de renforcer les semences dans la terre. Ils justifient cela par ces propos : " Même si les animaux en mangent et la chaleur de la terre en fait pourrir, aussi va rester et va pousser et même s’ils mangent, on va replanter encore" (les propos tenus d’un paysan). Avec cette pratique, un champ est l’équivalent en semence de deux voire trois champs. Une technique souvent difficile à réaliser car elle nécessite plus de travail de la part des paysans et un volume de semences plus important. Les risques climatiques auxquels sont exposés les paysans, les obligent à faire de plus en plus de ré-semis au cours des années. Cette pratique épuise leurs ressources financières et énergétiques mais augmente cependant leur chance d’obtenir une production acceptable en fin de cycle. Les paysans qui font  plus de ré-semis ces dernières années constituent 68% de l’échantillon.

2.3.2. Choix d’adaptation hors des parcelles

2.3.2.1. Résilience par mobilité intra ou hors région et dispersion des champs

La récession hydrique entraîne la délocalisation des cultures vers les zones plus propices du bas-fond. Un autre type de mobilité réside dans les migrations plus ou moins définitives de populations des zones les plus menacées par la récession hydrique vers d’autres régions aux conditions plus favorables pour l’agriculture. Dans ce contexte, les paysans développent la dispersion des champs. A ce sujet, une paysanne affirme : "la pluie est certes capricieuse, mais elle ne peut pas être même chose à deux endroits différents". Cette conception pousse certains paysans à faire plusieurs champs à travers l’espace pour chaque culture. Si l'un des champs n'a pas obtenu les grâces de la pluie, les autres les auront probablement.

2.3.2.2. Cas particulier : Croyances aux dieux

La modification saisonnière des pluies étant très complexe, certains paysans n'adoptent aucune stratégie d'adaptation. Ils se basent sur leurs croyances en leurs dieux. La bonne récolte provient de la liaison spirituelle d'avec dieu. Comme le dit un paysan : "l’homme qui dirige la pluie peut travailler beaucoup mais s'il n'a pas confié son travail à dieu, cela sera en vain, c'est dieu".

3. Discussion

Ce travail réalisé dans le bas-fond du village Mahounou a pour but d’analyser les impacts des variations climatiques sur l’agriculture. Il a concerné tout d’abord les tendances puis les impacts agricoles et enfin les stratégies locales d’adaptation aux variations climatiques.

L’analyse des données climatiques par diverses méthodes statistiques (test de rupture, indices pluviométriques) confirme l’existence de la tendance à la baisse de la pluviométrie à Mahounou. Ces méthodes utilisées nous ont permis d’identifier une rupture, en 1971 dans la série. Ces résultats sont en phase avec ceux de Y.T. BROU (2005 p.70). Selon ses résultats, les tendances générales des ruptures en Côte d’Ivoire et au centre-ouest ont été identifiées dans les années 1970. Ainsi, les observations effectuées au niveau de ces études confirment la tendance à la baisse de la pluviométrie dans le centre-ouest.

Les différentes variations observées aux niveaux de la pluviométrie impactent significativement les rendements agricoles. Ces risques climatiques ont été identifiés aux moyens de deux approches (agroclimatique et socioéconomique). Ces approches ont été utilisées par M. DIOMANDE (2013). Elles ont permis de percevoir les impacts climatiques tant au niveau scientifique qu’au niveau de la vision paysanne. Elles témoignent de la concordance entre les vérités scientifiques et les réalités sur le terrain. Ces impacts concernent principalement la perturbation des saisons végétatives ou culturales. Ce résultat est obtenu au moyen de l’analyse des données journalières. En effet, l’analyse de l’évolution des dates de début de la grande saison pluvieuse a indiqué une forte variabilité au niveau de l’installation et de la fin de ces saisons sur la période 1981-2017. Cette idée est également perçue par les paysans. Ce résultat confirme celui de B. T. A GOULA., V.J. KOUASSI et I. SAVANE (2006, p.8). Selon eux, en Côte d’Ivoire, les dates de début des saisons de pluies accusent un retard dont la durée reste variable d’une région à l’autre.

Les irrégularités au niveau des dates de démarrage de la grande saison pluvieuse amenuisent ainsi les chances de réussite des cultures des paysans du fait du décalage des périodes de semis. Les pluies ne tombent pas pendant les périodes escomptées et tombent lorsqu’ils s’y attendent le moins. Cela est en adéquation avec les travaux de K.C. N’DA (2016, p.164) qui ont prouvé que le calendrier agricole connait un bouleversement entrainant une imprévisibilité climatique. En effet, les périodes idéales de semis autrefois connues approximativement des paysans sont de nos jours méconnues par ces derniers. Confrontés à ces difficultés, les paysans développent différentes stratégies pour survivre : au nombre desquelles les semis répétés, l’extension des parcelles culturales, la dispersion des champs et l’adoption de variétés culturales à cycles courts. Les travaux de Y.T. BROU et J. L. CHALEARD (2007, p.65), ont pu remarquer l’abandon de certaines espèces agricoles traditionnelles par les paysans à Tiassalé pour des variétés à cycle court. La perception paysanne du changement climatique dans le bas-fond de Mahounou est dans l’ensemble proche des résultats de l’analyse des données climatiques de plusieurs autres études scientifiques.

Conclusion

Le travail réalisé sur le bas-fond de Mahounou à partir des données climatiques et d’enquêtes de terrain nous a permis de caractériser la tendance pluviométrique. Ainsi, il ressort une tendance générale à la baisse de la pluviométrie. Cette baisse de la pluviométrie conjuguée à sa forte variabilité impacte le démarrage des activités agricoles des paysans. L’étude a permis de constater que les paysans sont dans l’incapacité de prévoir les débuts et les fins des périodes humides et donc les périodes de semis. Cette incapacité entraine une baisse des rendements agricoles. L’analyse des rendements des principales cultures des trois dernières années de la période d’observation indique une baisse. Ces cultures réalisées en condition pluviale par les paysans sont sujettes aux stress hydriques que connait le bas-fond. Face à la persistance des risques climatiques, les paysans développent des techniques et astuces en vue de réduire voire limiter leur vulnérabilité. Ils vont donc utiliser de nouvelles variétés à cycle court, procéder à l’extension, la dispersion de leur parcelle agricole pour s’assurer d’une récolte en fin de saison.

Cette étude a certes permis d’étudier la question de l’impact des variations pluviométriques sur l’agriculture en milieu bas-fond, elle n’aborde cependant pas les cultures de manière spécifique en faisant ressortir les différents impacts. Il serait intéressant que d’autres travaux s’intéressent aux impacts des variations climatiques sur des cultures spécifiques en milieu bas-fond.

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Auteurs

1Maitre-Assistant, Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa), giscardadou@yahoo.fr

2Assistant, Université Félix Houphouët Boigny (Cocody), christndak@gmail.com

3Doctorant, Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa), dagnogo_beh@ujlg.edu.ci

4Professeur Titulaire, Université Félix Houphouët Boigny (Cocody), z_kolibi@yahoo.fr

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2020