Assainissement et pathologies infectieuses à Yamoussoukro (Côte d’Ivoire)

Résumé

L’assainissement est un élément essentiel de la santé des populations en milieu urbain. À Yamoussoukro, la capitale politique et administrative, l’environnement joue un rôle important sur la santé des populations. Il est à l’origine d’une flopée de pathologies infectieuses et virales. Les spécificités des environnements urbains pour la santé se situent au niveau des systèmes d’assainissement. Ils sont pour la plupart unitaires ou individuels. Mais, ces systèmes d’assainissement individuels souvent rudimentaires accompagnés des pratiques malsaines de gestion des eaux usées par les ménages sont à l’origine de la prolifération de certaines pathologies infectieuses d’origine environnementale. L’objectif de cette recherche est d’analyser le rapport entre l’assainissement et les pathologies à Yamoussoukro. La méthodologie adoptée repose sur une combinaison de la recherche documentaire et statistique du système sanitaire de Yamoussoukro, des observations participantes dans les quartiers enquêtés, des entretiens avec les responsables des structures sanitaires et des questionnaires adressés à 100 chefs de ménage. Les résultats obtenus montrent trois niveaux d’assainissement à Yamoussoukro que sont : achevé, inachevé et inexistant. Il ressort également, un paysage pathologique (paludisme, fièvre typhoïde, infections respiratoires aigües) dominé par les affections environnementales avec près de 70 % des consultations et un lien significatif entre pathologies infectieuses et assainissement dans la ville.

Abstract

Sanitation is an essential component of the health of populations in urban areas. In Yamoussoukro, the political and administrative capital, the environment plays an important role in the health of the population. It is at the origin of a flood of infectious and viral pathologies. The specificities of urban environments for health are in terms of sanitation systems. They are mostly unitary or individual. However, these often rudimentary individual sanitation systems accompanied by unhealthy household wastewater management practices are at the origin of the proliferation of certain infectious pathologies of environmental origin. The objective of this research is to analyse the relationship between sanitation and pathologies in Yamoussoukro. The methodology adopted is based on a combination of documentary and statistical research on the sanitation system in Yamoussoukro, participating observations in the neighbourhoods surveyed, interviews with health facility managers and questionnaires addressed to 100 heads of household. The results obtained show three levels of sanitation in Yamoussoukro: completed, unfinished and non-existent. It also shows a pathological landscape (malaria, typhoid fever, acute respiratory infections) dominated by environmental diseases with nearly 70 % of consultations and a significant link between infectious diseases and sanitation in the city.

Introduction

La question de l’assainissement préoccupe au plus haut niveau les autorités mondiales. C’est dans cette optique que l’assainissement a été ajouté en 2002 lors du Sommet mondial du développement durable de Johannesburg comme une des cibles du 7ème Objectif du Millénaire pour le Développement (C. L. JALLÉ et D. DÉSILLE, 2008, p. 2).

Malgré la prise en compte de cette question au niveau international, force est de constater que l’assainissement bien qu’englobant de multiples enjeux (santé publique, développement économique et social, préservation de l’environnement, etc.), près d’une personne sur trois ne dispose toujours d’aucun système d’assainissement amélioré en 2015 (F. NAULET, J. GABERT, M. LEMENAGER, 2016, p. 17).

Chaque année dans le monde, des milliards de cas de maladies liées à une mauvaise hygiène causent la perte de millions de vies humaines alors qu’on pourrait sensiblement réduire le nombre par un bon système d'assainissement (UNICEF, 2003, p. 1).

En outre, 21 % de l’incapacité de travail due aux maladies proviennent des facteurs environnementaux. (M. SEIDL, 2006, p. 1).

Dans les pays en développement la situation est plus alarmante. D’après les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé cités par M. SEIDL (2006, p. 2), « chaque année, environ 4 milliards de cas de diarrhée provoquent 2,2 millions de décès, la plupart chez des enfants de moins de cinq ans, ce qui équivaut un enfant mourant toutes les 15 secondes ou 20 gros porteurs s’écrasant chaque jour ».

En Afrique subsaharienne, l’assainissement reste un parent pauvre des politiques urbaines et des projets de développement car seulement 30 % de la population bénéficie d’un accès amélioré à l’assainissement. (A. LARÉ, A. BRIAND et E. KEREN, 2017, p. 1).

La situation n’est guère reluisante en Côte d’Ivoire, même en milieu urbain car seulement 33 % des ménages a accès à des installations d’assainissement amélioré (Ministère des Infrastructures Économiques, 2016, p. 17).         

La ville de Yamoussoukro confrontée à une urbanisation galopante en est une illustration.         La population de la ville est passée de 8 020 habitants en 1965 (Ministère du Logement du Cadre de vie et de l’Environnement, 1997, p. 34) à 212 670 habitants en 2014 (Recensement Général de la Population et de l’Habitat, 2014), soit un taux d’accroissement moyen annuel de 6,92 %. Parallèlement, sa superficie est passée de 175 ha en 1965 (Ministère du Logement du Cadre de vie et de l’Environnement, 1997, p. 23) à 12 400 ha en 2018 (Direction Régionale   du Ministère de la Construction du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme, 2018), soit un taux d’accroissement moyen annuel de 8,37 %. 

Pourtant, l’assainissement ne suit pas le rythme de la croissance démographique et spatiale. Dans la ville, il ressort que 2/3 des quartiers ont des assainissements inachevés ou parfois inexistants surtout dans les nouveaux quartiers crées après 1990 (Ministère de la Construction du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme, 2014, p. 90).

Il se pose alors la question de l’inadéquation entre l’urbanisation et les équipements d’assainissement de la ville de Yamoussoukro.

L’assainissement présente des insuffisances dans de nombreux quartiers tels que : Dioulakro, Sopim, Kokrenou. Affounvassou Belle Vue, etc.

On assiste à des situations alternatives adoptées par des ménages pour la gestion des eaux usées. Les habitants font le choix du rejet des eaux usées dans la nature, à l’intérieur des cours, sur les routes non revêtues ou souvent dans les caniveaux lorsqu’ils existent.

À côté de ces situations alternatives des ménages, selon le Ministère des Infrastructures Economiques (2015, p. 10), les pouvoirs publics ont doté la ville de Yamoussoukro d’un schéma directeur d’assainissement régulièrement actualisé. Le premier réalisé en 1997 dont l’horizon est 2015 a été actualisé en 2008 pour un horizon 2023 et à nouveau actualisé en 2015 pour l’horizon 2030.

 Malgré toutes ces actions, l’on assiste dans la ville à une prolifération des pathologies infectieuses d’origine environnementale, telles que le paludisme, la diarrhée, la fièvre typhoïde, etc., dans les quartiers de Dioulakro, Kokrenou et N’zuessi.

La question qui fonde cette recherche est de savoir : quel est le lien entre le niveau d’assainissement de Yamoussoukro et la géographie des pathologies infectieuses ?

Le problème soulevé par cette recherche est celui de l’insuffisance d’infrastructures d’assainissement de la ville de Yamoussoukro exposant les populations aux risques des pathologies infectieuses environnementales.

Cette étude vise à analyser le rapport entre l’assainissement et les pathologies à Yamoussoukro.

Pour y parvenir, il s’agit d’abord pour nous de faire l’état des lieux du niveau d’assainissement dans la ville de Yamoussoukro, ensuite d’identifier les pathologies infectieuses de la ville de Yamoussoukro et enfin d’analyser le rapport entre l’assainissement et les pathologies infectieuses à Yamoussoukro.

1.  Méthodologie

La méthodologie comprend la présentation de la ville de Yamoussoukro, les matériels et la méthode.

1.1. Présentation de la ville de Yamoussoukro

Petit campement dénommé N’gokro crée en 1901 par Kouassi N’go est rebaptisé Yamoussoukro en 1910 par l’administrateur colonial, Simon Maurice en hommage à la reine Nanan Yamousso, décédée en 1909.  Yamoussoukro était en 1952, un gros village de 5 000 âmes bâti sur une superficie de 80 hectares (P. CHEYNIER, 1978, p. 64). Elle est transformée de façon radicale en une ville au lendemain de l’indépendance en 1960, par la volonté du Président de la république Félix Houphouët Boigny. Ville nouvelle, Yamoussoukro fut successivement érigée en chef-lieu de Sous-Préfecture en 1960, ensuite, en capitale politique et administrative en 1983, puis, en chef-lieu de département et de région en 1990 et enfin chef-lieu du District autonome depuis le décret 96-135 du 26 Janvier 1996. Yamoussoukro est la ville la plus importante en terme économique et démographique de la région du Bélier (Figure 1).

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La ville de Yamoussoukro est située au centre de la Côte d’Ivoire dans la zone de contact entre la forêt et la savane entre 6°40’ et 7°de latitude nord et entre 5°10’ et 5°20’ de longitude ouest. Elle est limitée au nord par la ville de Tiébissou, au sud par Toumodi, au sud-ouest par Oumé, à l’ouest par Bouaflé à l’est par Attiégouakro.

Yamoussoukro est située à 248 km au nord de la ville d’Abidjan. Elle s’étend sur une superficie de 12 400 ha en 2018 (Direction Régionale   du Ministère de la Construction du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme, 2019) pour une population de 212 670 habitants en 2014 d'habitants, soit environ 1 % de la population totale ivoirienne (Institut National de la Statistique, 2014).   Yamoussoukro est une ville facilement accessible car traversée par l’autoroute du nord (la nationale A3) et se situant à un carrefour reliant trois principaux axes routiers que sont : l’axe sud-nord (Abidjan- Korhogo), l’axe ouest (Abidjan-Man) et l’axe sud-ouest (Abidjan-Gagnoa). Elle est à 42 km de Tièbissou, 46 km de Toumodi, 60 km des villes de Bouaflé, Dimbokro et Oumé et à 110 km des villes de Bouaké, Daloa, Gagnoa et Divo.

1.2. Matériels et méthode

1.2.1. Matériels

Les matériels de cette recherche concernent, les registres de consultation des centres de santé, le support cartographique de la ville de Yamoussoukro, les rapports de la Direction Régionale de l’urbanisme.

1.2.2. Méthode

L’approche méthodologique adoptée combine la recherche documentaire et des enquêtes de terrain.  La recherche documentaire a consisté à la mobilisation d’écrits relatifs aux questions d’urbanisation, d’évolution urbaine, de pathologies infectieuses à l’échelle d’un espace urbain. En plus de la recherche documentaire, des enquêtes de terrain ont été réalisées. Ces enquêtes, réalisées au cours des mois de Février 2019 et de Mars 2020, ont débuté par l’observation sur le terrain du niveau d’assainissement des quartiers choisis, du type d’habitat, des établissements de santé et de l’identification des ménages à enquêter.  Après l’observation, un guide d’entretien a été élaboré et adressé aux responsables des établissements sanitaires, à la direction départementale de la santé, à la direction régionale de la salubrité urbaine et à la direction régionale de la construction et de l’urbanisme. Cette observation s’est déroulée au cours du mois de Mars 2020. À la suite de l’administration du guide d’entretien, un questionnaire a été mis élaboré et administré à 100 chefs de ménages identifiés par choix raisonné, soit 25 chefs de ménages dans les 4 quartiers enquêtés. Le choix des quartiers enquêtés obéit à plusieurs critères : il s’agit de l’appartenance au district sanitaire de Yamoussoukro, à une aire de santé, du niveau d’assainissement du quartier et de la situation géographique du quartier en question (Tableau 1).  

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Le logiciel Microsoft office Word 2007 a permis la saisie les données alors que Microsoft Excel a été utile dans le traitement statistique des données recueillies et la réalisation des tableaux et figures (diagrammes, des courbes d’évolution). Quant aux cartes, elles ont été réalisées à l’aide des logiciels Qgis 2.0.1 et Arcview.

3. Résultats

3.1. Niveaux d’assainissement dans la ville de Yamoussoukro

La ville de Yamoussoukro présente trois niveaux d’assainissement : l’assainissement achevé (du nord au sud, en passant par l’ouest et l’est de la ville), l’assainissement inachevé et l’assainissement inexistant (Figure 2).

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L’analyse de la figure 2 ci-dessus fait état de trois niveaux d’assainissement à Yamoussoukro.

Le premier niveau (l’assainissement achevé) concerne les quartiers suivants : Grandes écoles, Résidence FHB, Habitat, EECI, N’Gokro, N’Zuessy, Sopim et Dioulakro. À côté de ce niveau, un second s’affiche. Il s’agit du niveau d’assainissement inachevé. Celui-ci concerne les quartiers de Kami, CAFOP, Morofé, Basilique, Zone administrative, Résidentiel, Nanan, N’Dakonankro, Kpoussoussou et Zone industrielle.

En plus de ces deux niveaux d’assainissement, un dernier niveau s’observe dans cette ville. Il s’agit des quartiers où l’assainissement est inexistant. Ce sont les quartiers situés au sud de la ville. Ces quartiers sont : Kokrenou, Kokrenou-ouest et Aboukro.

Les niveaux d’assainissement inachevé et inexistant exposent un cadre de vie insalubre.

En effet, l’évolution urbaine de la ville de Yamoussoukro présente un paysage dont l’assainissement est insuffisant. En effet, en dehors des quartiers centraux que sont : N’zuessi, Habitat, EECI, SOPIM, Résidence Félix Houphouët Boigny, Basilique et Résidentiel, les secteurs situés dans les fronts d’urbanisation sont dépourvus de systèmes collectifs d’assainissement. Il s’agit : Kokrenou, Kokrenou-Ouest, Morofé, Kpangbassou, Zone industrielle, Affounvassou belle vue, Zone artisanale, Nanan, Ndakonankro, Kpoussoussou et Akpessekro. Dans ces quartiers, l’on assiste à une inadéquation entre évolution urbaine et équipements d’assainissement. Cette situation donne lieu à une prolifération des systèmes individuels. Malheureusement, ceux-ci sont caractérisés par la médiocrité et la vétusté des équipements. Aussi des dépôts sauvages se propagent-ils dans la plupart des secteurs situés à la périphérie de la ville où s’observent les fronts d’urbanisation. Il n’existe non plus dans ces quartiers, des caniveaux pour l’écoulement les eaux pluviales.

Malheureusement, les systèmes individuels ou unitaires qui se sont développés, sont souvent défectueux (Photo 1).

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L’observation de la photo 1 montre un système d’évacuation des eaux usées médiocre. Ce système défectueux dégrade l’environnement. Ces eaux usées se propagent dans l’environnement immédiat du ménage et détériorent celui du voisinage.        

Un tel système met à nu les difficultés de gestion des déchets ménagers (liquide et solide) de la part des populations à l’échelle de la ville exposant les populations aux mouches et aux moustiques, vecteurs de maladies. La photo 2 présente une zone d’eau usée stagnante provenant des pluies diluviennes.

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Cette zone est le lieu d’hébergement d’agents vecteur de pathologie (paludisme, diarrhée) tels que les moustiques et les mouches.

Au regard d’une telle conjoncture environnementale, quel est le paysage épidémiologique de la ville de Yamoussoukro ?

3.2. Pathologies infectieuses de la ville de Yamoussoukro

La plupart des affections rencontrées dans la ville de Yamoussoukro concernent les maladies infectieuses d’origine environnementale.

Il s’agit du paludisme, des Infections respiratoires aigües, de la diarrhée. En plus de ces pathologies, d’autres affections ont fait l’objet d’épisode morbide dans la ville. Ce sont l’anémie, la dermatologie et autres (Figure 3).

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L’analyse de la figure 3 fait état d’une persistance du paludisme parmi les pathologies contractées durant les années 2016 et 2017. En 2016, le taux de personnes atteintes de paludisme dans la ville est de 49 % contre 46 % en 2017.

Au total, le paludisme, les infections respiratoires aiguës (IRA) et la diarrhée qui sont des affections environnementales sont les plus rencontrées. L’analyse de la figure 3 révèle qu’en 2016, ce sont 66 % des personnes qui ont contracté des maladies d’origines environnementales. Par contre, seulement 34 % des populations ont contracté soit l’anémie, la dermatologie ou bien d’autres pathologies.

En 2017, 63 % des populations ont été consultés pour des cas de paludisme, d’infections respiratoires aiguës et de diarrhée. Seulement 37 % ont été consultés pour les autres cas de maladies, notamment, la dermatologie, l’anémie, l’infection sexuellement transmissible, le sida, l’hypertension artérielle, les maladies cardiaques, etc.

De 2016 à 2017 plus de la moitié des populations ont été consultés par un professionnel de santé pour des cas de pathologie liés à un environnement insalubre contre moins de 40 % pour des cas de pathologies de dermatologie, d’infections digestives, d’anémie, d’infection sexuellement transmissible, du sida, de l’hypertension artérielle, des maladies cardiaques, etc.

En 2019, on a enregistré une forte proportion d’individus qui ont connu un épisode de morbidité lié aux pathologies environnementales.

La figure 4 présente la répartition des pathologies contractées durant l’année 2019 par les populations à Yamoussoukro.

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L’analyse de la figure 4 révèle qu’en 2019, le paludisme est la pathologie la plus rencontrée par les populations avec une proportion de 45% des consultations. Quant aux autres affections, c’est-à-dire, les infections respiratoires aiguës (IRA), les infections sexuellement transmissibles (IST), la diarrhée et la dermatologie, les proportions se situent entre 11 et 15 % des consultations à l’échelle de la ville de Yamoussoukro.

Durant cette même année, les consultations enregistrées qui concernent les affections infectieuses d’origine environnementale représentent un taux de 71 %. Ce sont le paludisme, les infections respiratoires aiguës (IRA) et la diarrhée. Seulement 29 % concernent les pathologies de dermatologie et d’infections sexuellement transmissibles.

Au total, les affections environnementales dominent à hauteur de 71 %, les épisodes de morbidité en 2019, contre 29 % en 2016.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette situation. Il s’agit de la dégradation du cadre de vie et surtout l’abandon de la moustiquaire.

3.3. Rapport entre l’assainissement et les pathologies infectieuses à Yamoussoukro

L’assainissement urbain joue un rôle essentiel dans la floraison des pathologies infectieuses dans la ville de Yamoussoukro. Selon le niveau d’assainissement, des affections sont liées à la qualité de l’assainissement.

Dans les quartiers où l’assainissement est achevé, les pathologies les plus rencontrées sont les infections digestives. Quant aux autres quartiers où l’assainissement est inachevé où même inexistant, ce sont les épisodes de morbidité liés à la qualité de l’assainissement et même du cadre de vie qui sont rencontrés. Il s’agit du paludisme, des infections respiratoires aigües, de la fièvre typhoïde et de la diarrhée (Tableau 2).

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L’examen du tableau 2 fait ressortir quatre pathologies les plus contractées en fonction du niveau d’assainissement. Il s’agit du paludisme, de la fièvre typhoïde, des infections respiratoires aiguës (IRA) et de la diarrhée. Dans les quartiers Morofé et Dioulakro, avec un assainissement inachevé, ce sont les affections de paludisme, des infections respiratoires aiguës et de la fièvre typhoïde qui sont les maladies les plus contractées. Quant aux quartiers avec un assainissement inexistant, c’est-à-dire, Kpangbassou et Kokrenou, ce sont les affections de la fièvre typhoïde, de paludisme et de diarrhée qui sont les plus contractées. Ces différentes affections sont liées à des cadres de vie insalubres découlant des assainissements inachevés ou inexistants.  En plus du cadre de vie insalubre, d’autres facteurs sont d’origine humaine (Figure 5).

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L’analyse de la figure 5 montre les facteurs à l’origine de la prolifération des pathologies infectieuses d’origine humaine. Ce sont : le mauvais traitement pathologique de la part des populations, le cadre de vie insalubre et la non-utilisation de la moustiquaire imprégnée.

40 % des ménages enquêtés à Dioulakro et Kokrenou disposent d’un cadre de vie insalubre contre 35 % à Kpangbassou et 20 % à Morofé.

En plus du cadre vie insalubre, le mauvais traitement des affections représente aussi un facteur de prolifération des pathologies infectieuses. En effet, le mauvais traitement s’observe à travers des rechutes des malades qui n’ont pas suivi les consignes des professionnels de la santé. Dans la délicatesse du traitement du paludisme ou autre maladie, l’agent de santé demande toujours un suivi du patient après l’avoir mis sous un traitement. Malheureusement, à l’observation de quelques signes de guérison, le patient oublie le dernier rendez-vous de confirmation de guérison chez le médecin. Des rechutes s’observent et les patients font encore la maladie. À ce propos, le quartier Kokrenou domine avec un taux de 20 %, suivi de Morofé avec 19 % et 15 % pour les quartiers de Dioulakro et Kpangbassou.

En outre, l’abandon de la moustiquaire imprégnée constitue un facteur de persistance des pathologies environnementales à Yamoussoukro.

Avec 40% du total, Kpangbassou a le plus fort taux de chefs de ménage qui n’utilisent plus la moustiquaire pour dormir et se protéger contre les moustiques. Suivent Kokrenou avec 36 %, Dioulakro 33 % et Morofé 30 %.

Au-delà de ces facteurs, d’autres causes participent également à la prolifération des affections environnementales à Yamoussoukro. Il s’agit de l’automédication.

L’automédication est un itinéraire de soins beaucoup prisé par les populations ivoiriennes en général et par celle de Yamoussoukro en particulier. Sur la base de la connaissance de symptômes d’une maladie déjà contractée, les populations se rendent dans les pharmacies sans aucune consultation médicale au préalable.

À Morofé, 31 % des chefs de ménages rencontrés se sont adonnés à l’automédication lors d’un épisode de morbidité. Ce fait a occasionné une rechute de la maladie, car n’ayant pas pris les bons remèdes.

Cette situation s’observe également dans les autres quartiers que sont : Dioulakro avec 12 %, Kpangbassou, 10 % contre 4 % à Kokrenou.

Au regard de ce qui précède, l’on peut retenir que les pathologies liées à un environnement insalubre prédominent à l’échelle de la ville de Yamoussoukro. Cette prédominance est due à plusieurs facteurs qui sont d’origine humaine. Il s’agit à cet effet de la non-utilisation de la moustiquaire imprégnée, du cadre de vie insalubre, du mauvais traitement de certaines affections et de l’automédication.

3. Discussion

Cette recherche a relevé trois niveaux d’assainissement dans la ville de Yamoussoukro. Elle a permis également de faire ressortir une prédominance des pathologies infectieuses qui sont liées à l’environnement insalubre dans la ville. Ces deux éléments mis en ensemble indiquent un lien important entre les pathologies infectieuses et l’assainissement en milieu urbain à Yamoussoukro.

3.1. Niveaux d’assainissement dans la ville de Yamoussoukro

Trois types d’assainissement se dégagent dans la ville de Yamoussoukro ; à savoir, l’assainissement achevé, inachevé et inexistant.

Les auteurs E. MORELLA, V. FOSTER et S. G. BANERJEE (2008, p. 3) indiquent que « l’assainissement dans les villes d’Afrique subsaharienne consiste majoritairement en un assainissement autonome ».  Les types d’accès varient considérablement selon les niveaux économiques.  Cette idée est appuyée par M. SEIDL, (2006, p. 3) qui affirme que :

« Dans les villes d’Afrique subsaharienne, la majeure partie des habitations ne sont pas raccordées à un réseau d’égouts, mais sont équipés de systèmes individuels comme les latrines traditionnelles ou latrines à fosses étanches. Selon le même auteur, certaines habitations ne disposent d’aucun système d’assainissement ».

3.2. Prédominance des pathologies infectieuses dans la ville de Yamoussoukro

Les pathologies infectieuses prédominent parmi les origines des consultations dans les établissements de santé à Yamoussoukro. Il s’agit du paludisme, de la fièvre typhoïde, des infections respiratoires aigües et de la diarrhée. Ces pathologies sont liées à un assainissement défectueux ou dégradé qui met à nu un environnement urbain insalubre.

Les résultats des travaux de l’OMS en 2016 viennent appuyer cette recherche en affirmant que :

« 12, 6 millions de décès en 2012 ont été provoqués par l’insalubrité de l’environnement et que les facteurs de risque environnementaux sont la pollution de l’air, de l’eau et des sols, l’exposition aux substances chimiques. La région africaine affichait 2,2 millions de décès pour une année. Elle ajoute également pour dire que les principales causes de décès sont aussi liées aux pathologies respiratoires aigües, infections respiratoires, maladies diarrhéiques, au paludisme et traumatismes et autres affections ».

Les travaux de T.B. KONÉ, K.S. KOUASSI et E. B. KOFFI (2018, p. 812) corroborent avec nos résultats. Ces auteurs expliquent qu’en 2018 :

« La ville de Bouaké présentait un environnement insalubre observé dans plusieurs de ses quartiers. Cette situation était malheureusement à l’origine d’une forte prédominance de certaines pathologies d’origine environnementale. Ces pathologies concernaient le paludisme, les IRA, la fièvre typhoïde et la diarrhée. Sur 9 aires de santé, 6 aires affichaient un taux de prévalence de plus 600 pour 1000 individus ayant connu un épisode de morbidité lié à une maladie environnementale ».

Ces résultats confirment ceux obtenus par G. SALEM et F. FOURNET (2003, p. 146) :

« La pathologie urbaine reste dominée par les problèmes infectieux et parasitaires, au premier rang desquels on enregistre le paludisme, la diarrhée, la malnutrition, les affections respiratoires. Ces pathologies classiques renvoient directement à des problèmes de pauvreté et un cadre de vie insalubre ».

Les travaux de PENE, NOSNY et CHAUDET (1992, p. 235) montrent les pathologies de l’environnement urbain en écrivant ceci :

« Il s’agit à cet effet des affections bactériennes, des affections parasitaires, des grandes maladies de la proximité, les maladies nutritionnelles, les maladies transmissibles par les vecteurs (paludismes) et bien d’autres. Pour eux l’assainissement, l’extension des quartiers et l’accès à une eau de qualité constituent autant de facteurs à l’origine de l’émergence de ces pathologies de l’environnement urbain ».

3.3. Rôle de l’assainissement sur les pathologies à Yamoussoukro

L’assainissement joue un rôle essentiel sur la prolifération des pathologies en milieu urbain.

S. A. FALL, T. A. FALL, R. CISSÉ et L. VIDAL (2017, p. 87) indiquent que :

« Les habitations ne disposant pas de systèmes d’assainissement adéquat, sont exposées à de nombreux organismes pathogènes dangereux. Faute de systèmes d’assainissement, les ordures ménagères prolifèrent en abondance. Ces ordures ménagères sont vectrices de nombreuses maladies telles que la diarrhée, la fièvre typhoïde, la dysenterie ainsi que d’autres maladies qui entrainent des taux de mortalité infantile en Afrique ».

C’est dans cette optique que P. PENE, Y. NOSNY et H. CHAUDET (1992, p. 235) dans leurs travaux ont indiqué que « Les maladies du péril excrétique ont encore un bel avenir quand on sait que moins de 15 % des foyers ont l’eau courante et que plus de 50 % des unités d’habitation n’ont aucun assainissement ».

Abordant les facteurs à l’origine du développement des pathologies en milieu urbain, J. DELMONT, S. JAUREGUIBERRY, B. MARCHOU, P. PAROLA et E. PICHARD (2016, p. 47) ont dit dans leurs travaux que : 

« Les facteurs influençant la fréquence des pathologies infectieuses en milieu urbain concernent  la présence de vecteurs, conditions climatiques chaudes et souvent humides, faible niveau de vie des populations contraintes de vivre dans un milieu d’hygiène rudimentaire favorisant le péril fécal, l’exclusion géographique, économique, sociale ou politique d’une partie importante de la population ne bénéficiant pas d’hygiène, de vaccinations, de diagnostics médicaux précoces, de sérothérapie et de médicaments anti-infectieux et une croissance démographique spectaculaire ».

Conclusion

Yamoussoukro était une cité convoitée et appréciée du fait de son cadre de vie et de son environnement sain. Cette ville présente aujourd’hui trois niveaux d’assainissement (achevé, inachevé et inexistant). Le paysage épidémiologique qui y est enregistré montre une forte dominance des pathologies infectieuses liées à un cadre de vie malsain. Il s’agit du paludisme, des infections respiratoires aigües et de la diarrhée qui représentent à elles seules près de 70 % des causes de consultation dans les établissements de santé publique.  L’assainissement urbain joue un rôle essentiel sur la prolifération des pathologies. Les niveaux d’assainissement inachevé ou inexistant favorisent le développement des pathologies environnementales. Quant à l’assainissement achevé, on observe un cadre de vie relativement sain et des affections spécifiques telles que les affections digestives. Il est donc important pour les autorités de cette ville d’achever l’assainissement dans tous les quartiers et de mener une campagne de sensibilisation auprès des ménages pour le respect des règles d’assainissement du cadre de vie et de gestion des ordures ménagères.

Références bibliographiques

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Auteurs

1Assistant, Université Alassane Ouattara (Bouaké-Côte d’Ivoire), atsecalvinyapi@gmail.com

2Doctorant, Université Alassane Ouattara, (Bouaké - Côte d’Ivoire), bonifacekone03@gmail.com

3Doctorant, Université Alassane Ouattara, (Bouaké-Côte d’Ivoire), kouadioissab@gmail.com

 

 

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2020