Situé dans la partie septentrionale du Niger, le Damergou (Département de Tanout) est l’une des zones la plus touchée par des catastrophes naturelles (famines, sécheresses). Les populations de cette localité ont développé la culture du gombo dans les zones d’épandage, pour pallier les insuffisances de leur système de production. Le « gombo du Damergou » est l’une des variétés les plus convoitée tant au niveau local que sous-régional. L’objectif de ce travail est de déterminer les caractéristiques spécifiques de cette variété, ainsi que les stratégies mises en œuvre par les productrices pour pratiquer cette activité. Les perceptions autour de cette variété sont également abordées. Des enquêtes qualitatives et quantitatives ont permis de mettre en évidence les caractéristiques de cette variétés (feuilles, fleurs, tiges, fruits, graines, calendrier cultural). Elles ont aussi relevé les stratégies adoptées par les productrices, pour optimiser les rendements (monoculture, association de culture, entente avec les paysans). Des considérations économiques et culturelles renforcent également la dépendance des populations vis-à-vis de cette variété.
Mots-clés
Damergou (Department of Tanout) is located in the northern part of Niger Republic. This area is one of the most affected regions by natural disasters (famines, droughts). To compensate the inadequacies of their production system, the inhabitants of this locality have developed the okra cultivation in the areas of spreading. The “Damergou okra” is one of the most sought-after varieties, both locally and sub-regionally. The objective of this research work is to determine the specific characteristics of this variety, as well as the strategies implemented by producers to practice okra cultivation. People’s perceptions around this variety are also discussed. Qualitative and quantitative surveys have made it possible to highlight the characteristics of this variety with regards to its leaves, flowers, stems, fruits, seeds, and crop calendar. The research noted the strategies adopted by producers to optimize yields (monoculture, crop association, farmers’ agreement and understanding). Economic and cultural considerations also increase people’s dependence on this variety.
Keywords
Introduction
Pays sahélien et enclavé, le Niger se caractérise par des conditions écologiques et climatiques très sévères. Elles se traduisent par une baisse considérable des productions agricoles et pastorales. Cette situation est accentuée par une forte croissance démographique avec un taux d’accroissement naturel atteignant 3,9 % (RGP/H, 2012). En effet, du fait de ka récurrence d’années déficitaires, les productions enregistrées n’arrivent plus à satisfaire les besoins des populations, notamment à cause de l’augmentation de l’effectif des personnes à charge dans les familles. Les sécheresses ayant durement éprouvé les pays sahéliens ont cruellement mis en évidence le ce décalage
A l’instar de plusieurs localités septentrionales du Niger, le Damergou (Tanout) a connu une série de crises environnementales (sécheresses) et une désertification accélérée qui se sont traduites par une augmentation du déficit alimentaire et une forte pression sur l’espace. La diversification des cultures à travers la pratique du maraichage, constitue une alternative à la crise, car elle permet d’accroitre la production agricole et de stimuler les réserves alimentaires. Ainsi, Pour s’adapter aux mutations des paramètres agro-climatiques, des mesures résilientes telles que la mise en culture des zones d’épandages et autres espaces similaires (bas-fonds, cuvettes) prend de l'ampleur dans le Damergou. Ces zones d’épandages peuvent se définir comme “ un creux topographique occupé actuellement par des eaux (à titre permanent ou saisonnier) ou anciennement occupé et conservant les dépôts accumulés en milieux océaniques, marins, lacustre. Par extension toute forme qui se prête la constitution d’un bassin fermé” (P. GEORGE, 1974). Ce sont des milieux particuliers qui se démarquent des autres paysages sahéliens, car ils offrent des possibilités de mise en valeur intéressantes, dans un contexte particulièrement aride (A.M. ADO SALIFOU, 2015). L’objectif visé par cette mise en culture étant de diversifier les productions (céréalières et maraîchères), mais aussi de générer des revenus supplémentaires permettant de faire face l’insécurité alimentaire. Dans les bas-fonds, la présence d’eau et la qualité des sols (sablo-argileux et argilo-limoneux) favorise le développement de la culture du gombo.
Activité pratiquée principalement, par les femmes, la culture du gombo se révèle d’une importance capitale, car elle leur procure des revenus conséquents. Elle contribue aussi à la sécurité alimentaire, à travers l’achat de vivres ; mais aussi les ressources financières nécessaires aux dépenses quotidiennes des familles. Nonobstant ces enjeux économiques, le gombo a une valeur sociale et culturelle, la variété locale dite « Gombo du Damergou » a acquis une réputation nationale et même sous-régionale (le Nigeria, la Libye et l’Algérie), du fait notamment de ses caractéristiques et ses vertus culinaires. On parle généralement du « Gombo du Damergou ».Au-delà du vocable générique, il importe de préciser qu’il existe concrètement trois variétés de gombo constitutives de cette appellation.
Partant du constat de la préférence des populations pour de cette variété, par rapport aux autres variétés de gombo de la zone, il nous a semblé important de s’intéresser à ses caractéristiques spécifiques. Deux questions fondamentales serviront de fil conducteur pour cette étude :
- quelles sont les caractéristiques spécifiques du « Gombo du Damergou » qui justifie cette préférence ?
- quelles sont les perceptions et stratégies des acteurs locaux de la filière qui accompagnent le choix de cette variété ?
L’objectif de ce travail est de déterminer les différents aspects morphologiques de la variété (feuilles, grains, fleurs ; tige), mais aussi les stratégies mise en œuvres par les populations pour pérenniser la culture de cette variété. Les perceptions des acteurs locaux autour de la variété seront également abordées. Les sites maraîchers de Tourboune et Chirwa (figure 1et 2) serviront de cadre d’étude pour ce travail. Le choix de ces deux sites s’explique par le fait que, de part leur superficie et le nombre de productrices, ils sont les plus importants de zone.
1. Méthode et outils
L’approche enquête qualitative a surtout prévalu dans la réalisation de ce travail. Au total 915 productrices ont été recensées sur les deux sites, avec 375 productrices pour Tourboune et 540 pour Chirwa (Enquête de terrain, 2015). Un échantillon de 10% du nombre total de productrice a été choisi de manière aléatoire, pour les entretiens individuels, soit respectivement environ 38 et 54 productrices pour Tourboune et Chirwa. A cet effet un questionnaire leur a été administré. A travers cette enquête, il ne s’agit pas de s’appesantir sur des critères socio-économiques ou démographiques[1]. C’est plutôt une démarche visant à collecter auprès des productrices des données empiriques sur le mode cultural et les stratégies de mise en culture du gombo. Ces données sont enrichies par des mesures effectuées sur les aspects morphologiques de la variété « Gombo du Damergou » (taille des feuilles, de la tige et des graines, nombre de pétales par fleur, etc.).
Un guide d’entretien a permis également de recueillir des informations auprès des Services techniques de l’Agriculture de la Commune, des commerçants grossistes, ainsi que de vendeuses ambulantes à Tanout et Zinder. Un focus groupe animé avec certaines productrices a fourni des informations supplémentaires sur les enjeux autour de la pratique de la culture du gombo. Une documentation variée, traitant de diverses thématiques sur le gombo en particulier, et les cultures maraîchères en général, a enrichi les réflexions, pour mieux cerner la problématique autour de la famille de malvacée, dont le gombo est l’une des espèces associées.
Pour le dépouillement et l’interprétation des données plus outils sont utilisés : un GPS pour la levée de terrain a fourni des données sur les coordonnées géographiques et la superficie des sites. Le logiciel Sphinx pour le dépouillement des questionnaires et l’analyse des résultats, Arcgis pour la réalisation cartographique. L’observation de terrain et les illustrations photographiques ont permis la restitution de situations concrètes.
2. Résultats
2.1 Les caractéristiques spécifiques selon Les Variétés du « gombo de Damergou
Plusieurs variétés de gombo sont identifiées dans le Damergou, avec des caractéristiques spécifiques selon les types.
2.1.2 Les Variétés du « gombo de Damergou »
Le gombo est une plante herbacée de la famille des Malvacées, très répandue en régions tropicales et africaines en particulier. Selon une étude menée par l’USAID (2006), il existe de nombreuses variétés annuelles ou pluriannuelles. Elles sont reparties en deux groupes de variétés: les variétés à courtes tiges ayant un cycle de vie court dont les fruits arrivent à maturité au bout de trois mois et celles à hautes tiges dont le cycle est plus long, six à neuf mois. Sur les sites de Tourboune et de Chirwa, trois variétés de gombo sont rencontrées ; il s’agit de la variété à longues tiges appelée « Dogouwa » dans la terminologie locale (en Haoussa), Celles à courtes tiges « Gajéra » et en forme de corne d’antilope « Kahon barewa». Les trois sont regroupées en deux groupes qui sont : variétés longue et courte. Les variétés se distinguent selon la taille de leur tige, leur feuille, leur fleur, leur fruit et leur grain.
2.1.3 Les Caractéristiques spécifiques à chaque variété
2.1.3.1 Les Tailles de la tige selon les variétés de gombo
La tige principale de l’Abelmoschus esculentus est cylindrique de couleur pourpre ou verte glabre ou légèrement pubescente et peut atteindre la hauteur de 1,5 à plus de 3 m. Dans ses travaux G. DE LANNOY (2001) a révélé que cette tige se lignifie après un certain temps, et présente des ramifications latérales plus ou moins importantes selon les variétés. Cette réflexion a été corroborée par J. S. SIEMONSMA et S. HAMON (2004) La taille de la variété « Gajéra » varie entre 0,5 et 1 m sur les deux sites. Les tailles de la « Dogoua » et la « Kahon barewa » peuvent atteindre 1,5 à plus de 3 m dans les deux sites (Cf. Photo1 et 2).
2.1.3.2 Les Feuilles selon les variétés de gombo du gombo
Elles sont disposées en spirales simples stipulées, présentant un limbe le plus souvent palmatilobées à palmatipartite en trois ou sept segments. Selon, G. DE LANNOY (2001), les feuilles du gombo sont de couleur verte, et ont des formes différentes selon les variétés. Cependant, à Tourboune comme à Chirwa les feuilles de gombo sont de couleur verte et se présentent sous forme de cœur, lobées ou divisées. Cependant, la variété « Gajéra » a des feuilles en forme de cœur et la « Dogouwa » des feuilles divisées ou lobées (Cf. Photos 3, 4 et 5).
2.1.3.3 Les Fleurs selon les variétés de gombo
Les fleurs du gombo comme pour la plupart des malvacées sont éphémères, hermaphrodites, axillaires, solitaire et de grandes dimensions. Elles sont de couleurs crèmes, jaunes ou jaune d’or avec une coloration rouge à la base des cinq pétales libres. L’anthère se produit très tôt la matinée. A l’aube, les fleurs sont épanouies. Elles demeurent ouvertes toute la matinée et se renferme dans le milieu de l’après-midi. S. HAMON (1988) et G. DE LANNOY (2001) ont souligné que ces fleurs sont fanées le soir et les pétales tombent dès le lendemain (2001). A Tourboune comme à Chirwa la fleur des variétés se diffèrent par le nombre de pétales. En effet, la variété « Gajéra » et « Kahon Barewa » compte cinq (5) à six (6) pétales alors que la « Dogouwa » en compte 8 (Cf. Photos 6 et 7).
2.1.3.4 Les Fruits selon les variétés de gombo
Le fruit est une capsule, érigé, cylindrique, fusiforme de section ronde (fruit lisse) ou anguleuse (5 à 10 arrêtes par fruit). De coloration variable (vert à rouge), les fruits peuvent être duveteux légèrement rugueux ou épineux. Ils sont récoltés frais quelques jours après la floraison. En effet, la croissance du fruit est maximale la première semaine. Au-delà il se lignifie et devient impropre à la consommation. Comme l’a souligné J. KOECHLIN (1989), à maturité, les fruits deviennent fibreux et s’ils ne restent pas complètement fermés, s’ouvrent par des fentes longitudinales.
La taille du fruit varie selon les variétés dans les deux sites. La « Dogouwa » mesure respectivement 20 cm à Tourboune et 29 à Chirwa. Quant à la « Kahon Bérewa », elle mesure 16 cm à Tourboune et 17 à 18 cm Chirwa. La « Gajéra » 8 cm à Tourboune et 5 à 7 cm à Chirwa. Cette différence de taille entre les deux sites, pour une même variété, s’explique par la nature du sol et de la quantité d’eau. Le nombre de grain varie également selon les variétés. Dans dix (10) fruits cueillis par variété, 1 101 grains sont comptés pour la « Dogouwa » à Tourboune et 507 grains pour sept (7) fruits à Chirwa. Le maximum est de 146 grains et le minimum est de 74. Pour la « Kahon Barewa » on a compté 271 grains pour le même échantillon, dont un maximum de 98 grains et le minimum est de 37 grains. Ces grains sont rangés dans le tégument dont le nombre varie selon les variétés 18 ou 19 pour la « Dogouwa », 17 pour « Kahon Barewa » et 8 à 11 pour la « Gajéra » (Cf. photo 8, 9 et 10).
2.1.3.5 Les Graines selon les variétés de gombo
De forme globuleuse à ovoïde, glabres ou duveteuse, les graines du gombo sont assez grosse et de couleur grise. G. DE LANNOY (2001) a indiqué que, si ces graines sont conservées dans des conditions favorables, elles peuvent garder leur pouvoir germinatif durant deux ans ou même plus. La gousse est sciemment abandonnée pour constituer des semences pour la prochaine campagne ; alors que ses capsules sont souvent donc déhiscentes à maturité.
De l’avis des productrices les variétés « Dogouwa » et « Kahon Barewa » (photo 11 et 12) sont faciles à travailler, car elles sont de longues tailles alors que la variété « Gajera » bien qu’elle soit courte, a des ramifications importantes qui cache des fruits. Pendant la récolte, il faut s’accroupir pour cueillir le fruit. Ceci lui a valu le nom « Tsohoua douka » qui veut dire « vieille femme accroupie ». Elles soulignent également que « Dogouwa » offre les meilleurs rendements, alors que du point de vue gustative la « Gajera » est plus appréciée.
2.2 Le Mode cultural du gombo et stratégies paysannes
2.2.1 La monoculture du gombo
Il s’agit d’un système fondé exclusivement sur la culture du gombo, sur toute l’étendue d’une parcelle mise en valeur (Cf. Photo 13). Ce mode est le plus repandu dans la Communauté Urbaine de Tanout. Ce choix s’explique par le souci pour les productrices de maximiser les revenus monétaires sur une seule parcelle, mais aussi d’assurer une certaine autonomie financière vis-à-vis de la famille ou de leurs conjoints. Plus préoccupés à assurer la sécurité alimentaire de leurs familles, les s’adonnent exclusivement aux cultures de subsistance (mil, sorgho, maïs), parfois associées à des cultures de rentes (arachides, niébé, sésame).
Le droit au foncier a également facilité la spécialisation des femmes dans cette activité. Elles y accèdent par différents modes d’acquisition (Cf. Figure 3).
Le mode d’acquisition le plus important sur les deux sites est l’héritage, avec respectivement 68,4% et 85,2% pour Tourboune et Chirwa. Elles détiennent ces parcelles de leurs conjoints ou parents décédés. Le fait que toutes productrices soient des autochtones renforce la prédominance de ce mode. Le prêt constitue le deuxième mode d’acquisition de parcelles ; ainsi 26,3% de productrices à Tourboune et 7,4%. à Chirwa ont recours au prêt. Ce dernier peut être annuel ou bien s’étaler sur plusieurs années, selon la volonté du propriétaire principal. Le don intervient également avec 5,2 % à Tourboune et 7,4% à Chirwa. Les modes d’acquisition par achat ou location constatés au niveau des champs de céréales ne sont pas pour l’instant en usage.
En moyenne, chaque productrice détient environ 0,28 ha. La taille des parcelles mises en culture varient selon les productrices. Une catégorisation en fonction de la taille a permis de classer les parcelles en grandes, moyennes et petites. Sont considérées grandes, les parcelles dont la superficie est supérieure à 0,1 ha ; sont moyennes celles qui mesurent entre 0,05 et 0,1 ha ; et enfin les petites sont celles inférieures à 0,05 ha.
Ce tableau montre que respectivement 47,36% et 40,74% des productrices de Tourboune et Chirwa exploitent des parcelles de grande taille. La disponibilité de terres au niveau de Tourboune peut expliquer la différence au niveau de cette catégorie de parcelles. En effet, le périmètre du site de Tourboune est d’environ 500 ha contre 68,60 ha pour Chirwa[1]. 34,21% et 46,30% des productrices sur les deux sites possèdent des parcelles de taille moyennes. Les productrices disposant de parcelles de petites tailles représente 18,43% et 12,96%. Généralement, les productrices gardent les mêmes superficies pendant plusieurs saisons. Seul, un changement dans l’un des modes d’acquisition peut permettre un remaniement de la taille des parcelles cultivées.
De plus en plus, la rareté des terres, la dégradation de la qualité des sols et l’irrégularité des précipitations ont entrainé le développement et la généralisation du système d’association de culture. Cette dernière permet de minimiser les risques de sous-production, mais aussi de miser sur d’autres espèces plus résistantes ou à cycle cultural plus court.
Le Damergou dont Tourboune et Chirwa font partie se situe est un espace riverain du domaine désertique, à cheval entre la zone pastorale et la zone de cultures sous-pluies, entre les isohyètes 100 mm et 400 mm. Cette zone à vocation agropastorale se caractérise par un climat avec des précipitations marquées par de fortes variabilités spatiotemporelles (Cf. Figure 4).
Cette figure fait ressortir une répartition irrégulière de la pluviométrie à la station de Tanout. De 1985 à 2015 la moyenne enregistrée est de 229,1 mm. Les extrêmes sont observés en 2002 avec 121,5 mm et 2014 avec 351,7 mm. On observe également que les années de faible pluviométrie sont nombreuses (inférieure à la moyenne). Cette répartition irrégulière de la pluie a des conséquences néfastes sur les systèmes de production en général, et sur la production du gombo en particulier. Cela se traduit par des années déficitaires en termes de production du gombo.
Dans cette zone, les sols sont très sensibles à l’érosion éolienne. Selon S. ALI et A. M. ADO SALIFOU (2019), les principales formations présentent correspondent à des sols subarides tropicaux au Nord ; des vertisols sur grès et argile sédimentaires des dépressions inter dunaires pauvres en humus (domaine des ergs anciens). On trouve aussi, des lithosols sur grès mal drainés dans le Sud agropastoral ; et enfin des vertisols hydromorphes dans les plaines argileuses qui constitue les principaux bassins du gombo et du Corchorus trident.
Le Damergou est aussi une zone de transit pour les éleveurs transhumants en provenance des région d’Agadez, Maradi, Diffa, ainsi que du Sud de la Région de Zinder. En 2018, des transhumants en provenance de la République Fédérale du Nigéria, du Cameroun et même de la République Centre Africaine, sont descendus dans la zone (Direction Départementale de l’Elevage de Tanout, 2019). S. ALI, 2016 a souligné que, cette situation a bouleversé tout le schéma classique de complémentarité et de cohabitation pacifique entre l’agriculture et l’élevage. Cela a aussi accentué la pression sur l’espace. L’insuffisance des pluies, l’extension des terres de cultures, la pression démographique, le surpâturage, l’abattage des ligneux, les feux de brousse, l’ensablement des plans d’eau, etc., sont les principales menaces.
2.2.2 Association des cultures
Elle consiste à associer la culture du gombo à celle d’autres espèces de cultures sur une même parcelle. Sur les sites de Tourboune et Chirwa, le gombo est associé à des céréales comme le sorgho ou le mil (Cf. Photo 14 et 15). Le choix de cette association est motivé par le souci de disposer d’autres espaces de production de gombo, en occupant tous les espaces qui ne sont pas valorisé par les paysans. Comme la monoculture, elle permet aussi de maximiser les revenus.
L’association du gombo aux céréales (mil ou le sorgho) se rencontre généralement au bord des champs en contact du site des cultures. Elle traduit une collaboration de complémentarité entre productrices avec paysans, qui permet à celles-ci de mettre en valeur une portion d’un champ paysan, et en échange elles devront entretenir les plants semés par le paysan dans ledit espace. Cette stratégie assure un accroissement de la production chez les productrices, et permet au paysan de réduire la charge d’entretien des cultures dans la partie occupée par le gombo.
Le gombo peut être également associé au Corchorus tridens (Malohia en Haoussa), au Sesbania pachycarpa DC. (Tchatchago en haoussa), ou à l’oseille (Cf. Photo 16 et 17).
La Sesbania pachycarpa est une plante de cueillette utilisée comme fourrage pour bétail. Ses tiges servent de baguettes pour brochettes aux les bouchers. Quant au Corchorus tridens, elle rentre dans les ingrédients d’une sauce locale. Ces deux espèces végétales sont apparues à la suite de la sécheresse de 1974 localement dénommée ‘’Zabi bargonka’’ (choisis ta couverture en Haoussa). Avant cette catastrophe, les populations de la zone consommaient une diversité d’espèces comme comme le Gynandropsis gynandra ‘’Gassaya’’, le Tribulis terrestris ‘Stédaw’’, l’Albizzia chevalieri ‘’ligre’’, la Cassia tora ‘’Tafassa, la Burkea africana « Jiga ». Ces espèces demeurent toujours, et sont utilisées comme compléments alimentaires ou source de revenus supplémentaires.
2.2.3 Le calendrier cultural du gombo
Même si la culture du gombo est une activité exclusivement féminine, elle s’inscrit dans les pratiques agricoles des populations de la Commune Urbaine de Tanout. Il est important de s’intéresser au calendrier agricole de la zone, afin de déterminer la place de la culture du gombo en son sein. En effet, le calendrier agricole de Tanout fait apparaitre trois grandes périodes spécifiques (Cf. Tableau 2).
Une première qui s’étend de juin à septembre, caractérisée par les cultures pluviales notamment le mil, sorgho, niébé, le gombo etc. Une deuxième, de novembre à décembre, largement dominée par les cultures de décrues et le maraîchage. Enfin, une troisième réservée aux récoltes maraichères et de décrues.
Ce calendrier fournit également des informations sur le cycle des cultures. Ainsi, les cultures céréalières ont un cycle de trois mois. Concernant le gombo, J. KOECHLIN (1989) a souligné que son cycle varie de trois mois pour les variétés les plus précoces à un an et parfois plus pour les plus tardives. Dans les conditions de pluviométrie normale de la Communauté Urbaine de Tanout, le cycle du gombo est de 40 Jours Après Semis (JAS). Le gombo peut fleurir et trois jours après on peut récolter ces fruits. Comme l’a précisé S. HAMON (1988), après la fécondation, la croissance du jeune fruit est rapide. Aussi, l’ovaire de moins de 2 cm donne en trois jours un fruit de plus de 5 cm de long. Néanmoins, la croissance est ralentie par la suite.
2.2.4 Perceptions des acteurs locaux de la filière autour de la variété « gombo du Damergou »
Le « gombo du Damergou » a acquis une renommée nationale et même sous-régionale qui le distingue des autres variétés du pays. Toutefois, les avis semblent partagés quand il s’agit d’expliquer les raisons de cette popularité. 70% des vendeuses et commerçants, la préférence pour cette variété est liée à sa disponibilité annuelle sur les marchés, quelque que soit la saison. Contrairement aux autres variétés, le meilleur traitement dont bénéficie ce gombo lors de sa récolte, renforce aussi son appréciation chez les commerçants. Ce gombo reste dominant, au moment de la pénurie des autres variétés. Cette qualité fait du « gombo du Damergou », la variété la mieux vendue sur les marchés locaux.
Pour 60% les consommateurs, le « gombo du Damergou » est surtout apprécié pour son goût et sa bonne texture visqueuse, notamment dans la préparation des sauces. Des enjeux culturels justifient également la préférence pour cette variété, spécifiquement chez les « Kanuris » qui la considère comme un patrimoine culturel à préserver, surtout en matière de goût. Selon eux, ce gombo peut dans une certaine mesure se substituer à la viande. Economiquement, le « gombo du Damergou » offre aussi des retombées financières intéressantes. En effet, le prix de la mesure locale, communément appelée « Tia » (environ 1 kg), varie entre 1500 et 3 000 francs CFA, selon les saisons (Terrain, 2020).
Néanmoins, une nouvelle variété dite « gombo de Zermou » (Département de Damagaram Takaya, Région de Zinder) a fait son apparition sur les marchés. Selon les vendeuses, elle a une viscosité meilleure que celle du « gombo du Damergou ». A titre illustratif, pour préparer une sauce d’un kilogramme du « gombo de Zermou », il en faudra pour la même quantité de sauce, 1,5 Kg de la variété du Damergou. Cependant, la variété de Zermou n’a pas la saveur, la disponibilité annuelle et l’attachement culturel de la variété du Damergou.
3. Discussion
Le gombo a fait l’objet de plusieurs travaux scientifiques. Dans leur contribution, J. TSHOMBA KALUMBU et al (2015) ont abordé l’impact socioéconomique de la culture de cette espèce, notamment sa valeur financière, nutritionnelle et médicinale. FONDIO et al. (2003) ont étudié les aspects agronomiques sont étudiés, et plus particulièrement les rendements du gombo selon les saisons. Ces travaux sont repris par M. SAWADOGO et al. (2006), et plus tard par R. NANA et al. (2009). Ces auteurs se sont également intéressés aux conditions naturelles de la culture de différentes variétés de gombo. A ce titre, J. TSHOMBA KALUMBU et al. (2015) ont exposé le cas spécifique du Lubumbashi en République Démocratique du Congo. Les recherches scientifiques de S. HAMON (1988) sur les caractéristiques génétiques de certaines variétés de gombo ont connu une amélioration grâce aux travaux menées par M. SAWADOGO et al. (2006), qui trouveront l’adhésion d’autres chercheurs comme H. JIRO et al. (2011).
A l’évidence, les travaux réalisés par ces différents auteurs ont beaucoup contribué au développement des connaissances sur certaines espèces du gombo en Afrique. Cela a permis de mieux appréhender les caractéristiques et la génétique spécifiques aux variétés, les processus de croissance des plants, les conditions écologiques et le contexte socioéconomique de la culture. Notre étude s’inscrit dans la ma même démarche que ces travaux, celle d’apporter une contribution aux connaissances sur l’espèce gombo. Elle reprend des réflexions déjà abordées par certains travaux précités réalisés dans des conditions humaines et naturelles particulières, notamment sur la caractérisation ou sur l’impact social du gombo. Cependant, dans leurs analyses, ces travaux ont dans leur majorité occultée la dimension sociale. Certes, J. TSHOMBA KALUMBU et al. (2015) ont évoqué dans leur étude, les conditions socioéconomiques de Lubumbashi. Néanmoins, cette référence met seulement en exergue les conditions globales de la région, sans fournir une analyse spécifique aux conditions socio-économiques de mise en culture du gombo.
Pour enrichir les recherches scientifiques, de plus en plus nombreuses sur le continent, cette étude a voulu aussi mettre l’accent sur l’aspect social, à travers les stratégies mises en œuvre par les acteurs locaux de la filière gombo et les perceptions qui les accompagnent. Cette étude fournit également des informations supplémentaires sur l’identification des différents types d’espèces du gombo, leurs spécificités et les écosystèmes propices à leur développement.
Conclusion
Appartenant à la famille de malvacée, le gombo est une espèce végétale aux multiples fonctions et usages. La diversité des variétés et leurs caractéristiques distinctes suscitent beaucoup d’intérêts. Malgré ses vertus, le gombo est toujours peu valorisé. La culture du gombo est une activité féminine et se pratique sur des espaces circonscris, avec peu d’investissement techniques et financiers. L’étude du gombo permet de découvrir une plante exceptionnelle et originale car toutes ses parties (racines, tige, feuilles, fruits, graines) sont valorisées sur les plans alimentaire, médicinal, artisanal et même industriel (C. MARIUS et al., 1997). Elle permet aussi d’apprécier la diversité de variétés et de conditions naturelles dans lesquelles elles évoluent. La mise en évidence des stratégies paysannes assure une meilleure compréhension des techniques utilisées pour la mise ne valeur culturale du gombo, et qui serviront de soubassement au chercheurs dans leur souci d’amélioration des conditions de culture et de production. Le « gombo du Damergou » peut certes s’identifier à d’autres variétés d’ailleurs, mais ses caractéristiques propres, les stratégies mobilisées par les acteurs pour sa culture et les perceptions qui tournent autour de sa production, en font une variété particulière, dont il importe de relever.
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Auteurs
1Maitre-assistant (CAMES), Département de géographie, Université de Zinder (Niger), arifados@gmail.com.
2Master Géographie, Département de géographie, Université de Zinder (Niger), zakariboubacari@gmail.com.
[1] Compte tenu de la difficulté de couvrir toutes les superficies des deux sites, seulement 104,84 ha pour Tourboune et 66,71 ha pour Chirwa ont été retenue pour cette étude
[2] Ces aspects sont abordés, par les mêmes auteurs, dans une étude précédente qui est en cour de publication. Eu égard à la quantité d’informations collectées lors des travaux de terrain, une deuxième étude sur les autres aspects s’est avérée intéressante.