La gestion urbaine et les stratégies de résolution des problèmes fonciers à Divo

Abstract

The issue of urban land management in Côte d'Ivoire has remained at the heart of the State's concerns since the country gained independence in 1960. Indeed, the country has gone from an urbanization rate of 32% in 1975 (RGP, 1975) to more than 49.5% in 2014 (RGPH, 2014). Situated in the south-west, in the forest zone, the town of Divo, like other towns in Côte d'Ivoire, is experiencing a galloping urbanization, which is both demographic and spatial. Its urban growth is characterized by demographic and spatial dynamics with a population of 40022 inhabitants for an urbanized area of 540 ha (INS 1975). This population increased to 105,589 inhabitants spread over an area of 3,164 ha in 2014 (RGPH 2014). The evolution of the urban population will generate the need for housing, thus favoring the spatial extension of the city. It follows the creation of new neighborhoods following the many subdivisions causing a multitude of land problems. The present study aims to apprehend the land problems that arise from the management of urban spaces in Divo. The data collection methods used are documentary research, direct observation in the field, questionnaire survey of the population and interviews. We conducted interviews with the municipal services (technical services), the Prefecture and the Regional Directorate of Construction in Divo. It emerges from the field survey that the numerous subdivisions carried out in the urban space of Divo result from the strong dynamics of the urban fronts that this beautiful city is experiencing. However, many conflicts weaken social cohesion.

Introduction

Créée à partir de deux villages (Bada et Boudoukou), la ville de Divo est située au sud-ouest de la Côte d’Ivoire (figure 1).

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Depuis 1915, avec la création de trois autres quartiers (Dioulabougou, Jérusalem, Konankro-Est), Divo ne cesse de s’accroître. Elle connait une croissance démographique très rapide. En 1975, sa population était estimée à 35 610 habitants localisés sur une superficie urbanisée de 540 ha (RGP, 1975). En 2014, elle compte 105 859 habitants répartis sur une superficie de 3 164 ha (INS, RGPH, 2014). L’évolution de la population urbaine de Divo a favorisé l’extension spatiale de ladite ville. Ainsi de 05 quartiers, la ville de Divo compte plus d’une vingtaine de quartiers en 2010 (INS, 2010). Aussi, la croissance spatiale est le fruit des nombreux lotissements réalisés à Divo dans le but de répondre aux besoins de logements des populations.

À Divo, le lotissement est utilisé comme le seul moyen pour aménager l’espace urbain et cela impacte l’organisation spatiale de la ville. En effet, le lotissement est le processus de transformation d’un espace naturel donné en terrain constructible. Il permet à un habitat rural et/ou urbain de bénéficier des équipements modernes d’amélioration du cadre de vie (l’adduction en eau potable, l’électrification, les centres de santé). Ainsi, « un habitat construit en dehors du lotissement est considéré comme illégal et voué à une marginalisation voire à une destruction » (B. E. KOFFI, 2008, p .6).

Le problème qui découle des lotissements encouragés par les autorités administratives et coutumières dans nos villes, est la résurgence de nombreux conflits fonciers. Les conséquences étant importantes, les autorités locales de chaque ville procèdent à la mise en place de plusieurs stratégies. Leurs actions ont été renforcées par les soutiens des bailleurs de fonds et le système des Nations Unies pour une décentralisation plus efficace après le retrait de l’État du domaine de la production foncière (MINISTERE DE LA CONSTRUCTION, 2016, p.9).

Au regard de ces constats, l’on se pose la question de savoir, comment la dynamique urbaine induit-elle les problèmes fonciers dans la ville de Divo ?

Autrement, quels sont les problèmes fonciers que rencontrent les populations de la ville de Divo ?

Quelles sont les mesures adoptées pour résoudre les conflits fonciers à Divo ?

Quelles sont les conséquences des problèmes fonciers engendrés par les lotissements dans la ville ?

Cette étude a pour objectif de présenter les différents lotissements qui ont favorisé l’étalement urbain à Divo. Ensuite, d’identifier les conflits fonciers émanant de ces opérations de morcellement et enfin, d’analyser les stratégies développées par les populations face au phénomène.

1-Méthodologie

Ce travail est le résultat d’une série d’enquêtes de terrain réalisée dans le premier semestre de l’année 2018 en vue de répondre à l’interrogation centrale de cette étude. À Divo, face aux nombreux problèmes fonciers engendrés par le processus d’urbanisation, les autorités administratives et coutumières ont adopté des mesures et des stratégies pour résolution des conflits fonciers. Cette étude a pour objectif de présenter les différents lotissements qui ont favorisé l’étalement urbain à Divo, d’identifier les conflits fonciers et d’analyser les stratégies développées par les populations face au phénomène. Pour la collecte des données, nous avons opté pour une recherche documentaire et une enquête de terrain.

La recherche documentaire a consisté en la consultation des ouvrages qui sont en lien avec la thématique de notre étude. Cet exercice a permis d’orienter notre sujet. L’enquête de terrain a été effectuée à trois niveaux à savoir l’observation directe sur le terrain, l’interview et l’enquête par questionnaire auprès des populations.

La collecte des données par l’observation directe du terrain a été d’un grand intérêt pour cette étude. Elle a été traduite par des excursions dans la ville et a permis d’apprécier le modèle de lotissements dans la ville, voir l’ampleur de la dynamique démographique et apprécier le mode d’occupation du sol. Ces constats ont permis d’appréhender les techniques de lotissements et la gestion foncière à Divo. L’observation nous a permis également de déterminer les quartiers qui ont fait l’objet de notre enquête par questionnaire.

Un questionnaire a été adressé aux populations de 09 quartiers que nous avons choisis pour l’enquête. L’ensemble de ces quartiers a été classé en 03 catégories qui sont le noyau villageois (Bada, Grémian village, Boudoukou, Briboré, Dougako village), les quartiers de la périphérie de la ville (Odroukou, Konankro-est, Grémian extension) et le noyau central de la ville (Dioulabougou). Pour se faire, nous avons opté pour la méthode de choix raisonnée. Le questionnaire a été adressé à 225 chefs de ménage dans les neuf quartiers retenus à raison de 25 ménages par quartier sur les 14 630 chefs de ménages (INS, 2014). Le choix s’est fait de façon aléatoire, mais en tenant compte de la couverture de l’espace d’étude. L’enquête par questionnaire a permis de mieux cerner les problèmes fonciers engendrés par le processus de l’étalement de la ville et les stratégies mises en place pour la gestion des conflits qui en découlent.

Des entretiens ont été réalisés auprès des personnes impliquées dans la gestion de l’espace urbain. Il s’agit particulièrement du Directeur départemental du ministère de la construction, du responsable du service domaine de la mairie de Divo, des présidents du comité villageois de la gestion foncière des différents villages de la ville, des Commissaires de la police et des Commandants de Brigades des gendarmeries de Divo. L’entretien a été l’occasion de connaître et de comprendre les politiques de gestion foncière, le processus de morcellement, les problèmes fonciers que connaissent la ville de Divo et les modes de règlements utilisés par les gestionnaires du foncier urbain.

2. Résultats

2.1. Types de lotissements et politique de gestion urbaine

Après l’indépendance du pays en 1960, la gestion des villes s’est relevée héritière de la période coloniale. L’objectif des dirigeants ivoiriens étaient de lutter contre l’anarchisme dans le processus d’urbanisation et l’occupation de l’espace urbain. Cette politique va s’appliquer jusqu’en 1980 suite à la crise économique qui a bouleversé la stabilité socio-économique du pays.

Face à cette situation, les dirigeants ont procédé à l’adoption des politiques de déconcentration et de décentralisation. De ces politiques, l’État ivoirien a responsabilisé plusieurs personnes (les Préfets et les Maires) pour une meilleure gestion urbaine et surtout de l’espace. Ainsi, le lotissement, principal indicateur de modernisation des espaces est initié sous toutes ses formes (lotissement villageois, lotissement administratif et lotissement privé). À Divo, deux types de lotissements sont perceptibles; il s’agit des lotissements administratifs et des lotissements villageois.

2.1.1. Les lotissements administratifs

À Divo, on retrouve essentiellement deux types de lotissements administratifs, l’un réalisé par les autorités coloniales et l’autre initié par les dirigeants ivoiriens après l’indépendance. En effet, les premiers lotissements administratifs pendant la période coloniale sont l’œuvre du commandant Alengry (1915) et du gouverneur Ives Bremier (1945). À cette époque, 07 quartiers ont été créé (tableau 1).

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Le tableau 1 montre que les lotissements réalisés dans la ville de Divo ont favorisé la création 07 quartiers. En 1909 le premier quartier créé est Boudoukou, suivent 6 ans plus tard les quartiers Bada et Libreville. Par ailleurs, suite aux lotissements réalisé sur son finage le village de Grémian devient en 1955 un quartier de Divo. Trois nouveaux quartiers ont été également créés dans la période de 1961 à 1969. Il s’agit de Konankro-Est, Dioulabougou, Jérusalem. Tous ces lotissements ont été réalisés durant la période coloniale à l’exception des trois dernières cités. Après les indépendances en 1970, de nouveaux morcellements ont contribué à l’étalement urbain de Divo (tableau 2).

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Le tableau 2 montre que de 1982 à ‑1998, les nouveaux lotissements ont permis d’ajouter 700 lots qui ont contribué à l’étalement de l’espace urbanisé à Divo. Cette nouvelle extension prend en compte presque tous les fronts urbains. En effet, Odroukou et Bada extension sont localisés sur le front Est. Quant à Briboré et Briboré extension ils occupent le front Sud de la ville.   Grémian extension et Justice extension se situent sur le front Centre-Ouest.

2.1.2. Les lotissements villageois

Dans les différents noyaux-villages enquêtés, 25% des propriétaires terriens affirment qu’ils ont été dépouillés de leurs biens (forêt). En effet, les autorités locales morcellent les espaces sans toujours indemniser les propriétaires terriens. C’est le cas des populations de Dougako. Cela reste l’une des sources du problème foncier entre autorités administratives et communautés villageoises. Cependant, certains propriétaires refusent toute installation sur leurs terres. D’autres par contre, abandonnent les procédures d’indemnisations et se retrouvent sans terre. Mais depuis 2013, avec la reconnaissance de droit foncier coutumier par l’État, le processus de morcellement d’une parcelle est désormais à la charge des propriétaires terriens. Cette initiative a par moment permis de réduire les problèmes fonciers. Dans cette politique, c’est le détenteur de l’objet foncier qui, en accord avec un géomètre privé procède aux lotissements. Il s’érige également en promoteur au cas où les lots sont mis en vente.

En plus du lotissement villageois qui contribue à régler les problèmes fonciers, la délivrance d’une attestation de propriété coutumière au nouvel acquéreur a contribué au règlement des conflits fonciers à Divo. Après achat de terrain auprès du propriétaire terrien, celui-ci conduit l’acquéreur à la chefferie de sa localité afin de lui délivrer une attestation de propriété coutumière. En côte d’Ivoire de manière générale, cette attestation est appelé « attestation de cession villageoise ». Sur le document délivré, sont mentionnés les noms du propriétaire terrien, de l’acquéreur, des témoins du propriétaire et de l’acquéreur. Il est également noté les numéros du lot et de l’ilot. Une place est prévue pour le cachet du chef du village et du Président du comité de gestion foncière. À Divo, cette fiche s’obtient après dépôt d’une somme de 50 000fcfa auprès de la chefferie. Le tableau 3 présente les quartiers créés à partir des lotissements villageois et le nombre de lots mis à disposition.

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En moins de deux décennies, ce sont 5 938 lots qui se sont ajoutés à l’espace urbanisé de Divo. Ces lots sont repartis sur sept quartiers distincts comme indiqué dans le tableau 3 ci-dessus.

2.2. Système de production et d’attribution de lot : Facteurs de problèmes fonciers à Divo

Le mode d’occupation de l’espace urbain présente un désordre dans le processus de morcellement de l’espace urbain de Divo. Selon les responsables du service domanial de la mairie, les initiateurs de lotissement n’associent pas les administrations dans le processus de lotissement de leurs terrains. L’on note des difficultés au niveau des techniques des lotissements. On peut citer le non-respect de la procédure de lotissement à Divo et du plan directeur d’urbanisme établi en 2016 par les autorités de la ville (Préfet, Maire). Selon 70% des propriétaires terriens rencontrés, le processus de lotissement est un véritable problème car la procédure est longue. Hormis, les difficultés techniques de lotissements, la commercialisation des lots constitue aussi un problème crucial dans la ville car elle est faite de manière anarchique.  Depuis 2013, avec l’application des lotissements villageois à Divo, la commercialisation d’un lot est exclusivement dédiée aux promoteurs coutumiers du lotissement concerné.  De cette politique de vente, naissent les arnaques, les escroqueries, les ventes illicites et les abus de confiance. En effet, certains promoteurs confient la commercialisation des lots à des particuliers (démarcheurs). Ceux-ci à leur tour vendent souvent les lots à plusieurs personnes sans en informer le propriétaire. Cela est source de nombreuses tensions dans la ville.

2.3. Les différents types de conflit fonciers dans la ville de Divo

L’enquête de terrain révèle que les conflits fonciers que connait la ville sont de quatre (04) types. Ce sont les conflits inter-villages, les conflits propriétaires/acquéreurs, les conflits acquéreurs/acquéreurs et les conflits issues des lotissements familiaux. Cela se perçoit dans tous les quartiers de la ville. Les chefs et directeurs de services que nous avons contactés lors de nos enquêtes, ont affirmé que les plaintes sur les lots viennent de partout et de toutes les couches sociales, des autochtones comme des populations étrangères à la région   Dans les quartiers Dougako et Briboré les problèmes fonciers sont récurrents (Mairie Divo, 2019).

2.3.1- Les conflits inter-villages ; facteurs de ‘‘déchirure’’ sociale

Les conflits inter villages sont récurrents dans les quartier- villages que sont les quartiers Bada et Dougako. Ces deux villages revendiquent la même parcelle. Cette revendication a même conduit à des conflits armés avec des pertes en vie humaine. La figure 2 présente la parcelle qui est objet de conflit.

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La figure 2 présente les quartier-villages (Bada et Dougako) en conflit. Ce conflit est relatif au sous quartier appelé « SPADI » (mairie Divo, 2019). Il se situe entre les deux villages. Parti d’une revendication, le conflit a déclenché dans en 2000. Selon le président du comité de gestion du foncier villageois de Bada, le conflit a été très violent (destructions de biens d’autrui, nombreux blessés). Le responsable technique de la mairie de Divo révèle que cela a fait naitre des méfiances et des mépris entre les populations autochtones des deux villages.

2.3.2. Les conflits entre propriétaires/acquéreurs et acquéreurs/acquéreurs

Les conflits entre propriétaires et acquéreurs sont le fait que le propriétaire d’un lot mette en vente son terrain à plusieurs acquéreurs. Ceux opposant les acquéreurs entre eux, proviennent de l’achat d’un même lot par deux ou plusieurs personnes. Ainsi, toutes ces entités citées, dans la manifestation de leurs ‘‘nouveaux titres fonciers’’ s’opposent les uns aux autres. Ce type d’opposition aboutit parfois à des conflits quand le dénouement est mal maitrisé.

Ces belligérants font recours à la justice en vue de trouver une solution. Généralement, ce type d’opposition provient des ventes illicites et des abus de confiance. Selon le Directeur Départemental de l’agriculture et le responsable de l’urbanisme, plusieurs parcelles (environ 50 ha) sont objet de dispute entre propriétaires et acquéreurs dans la ville de Divo. Ces mésententes vont souvent jusqu’à la destruction de biens matériels (photos 1 et 2).

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Les photos 1 et 2 montrent des murs détruits par des populations mécontentes. Il s’agit de deux acheteurs, chacun se réclamant propriétaire du lot en question. Ainsi, les réalisations du premier sur le terrain sont détruites par le second. Dans le cas d’espèce, les parties concernées sont convoquées par le propriétaire terrien chez la chefferie du quartier-village en question.

2.3.3. Les conflits engendrés par les lotissements familiaux

À Divo, la récurrence des conflits fonciers issus des lotissements familiaux s’explique par la mauvaise pratique du lotissement par certains propriétaires et par une mauvaise politique de redistribution des lots au sein des groupes familiaux. Cette situation est à la base de plusieurs conflits familiaux. Les quartiers et villages intégrés dans lesquels le niveau de conflit reste élevé concernent Briboré, Gremian village, Bada, Dougako village.  Avec 45% des conflits familiaux à Divo, ces zones sont issues des nouveaux sites de lotissements (les fronts urbains Nord, Sud, Ouest et Est de la ville). Le niveau de conflit est donc en hausse. Concernant les quartiers à niveau de conflits moyennement élevé (39%) et faibles (16%), ce sont les quartiers situés au centre de la ville qui pour la plupart sont très anciens et ne connaissent plus d’évolution.

2.4. Stratégie et modes de règlement de conflit à Divo

À Divo, les acteurs de la gestion foncière utilisent quatre méthodes principales pour régler les conflits fonciers. Ces méthodes sont : le droit foncier coutumier, le droit de propriété ou acquisition par héritage, le droit d’administration ou de gestion et le droit d’accès. La connaissance de ces différents droits coutumiers sont importantes dans le processus de règlement.

2.4.1.  Les principaux droits fonciers coutumiers

L’un des éléments importants de la réforme foncière ivoirienne est la reconnaissance des droits fonciers coutumiers. Dans la ville de Divo cette reconnaissance joue un rôle important dans le règlement des conflits. Car à travers le droit coutumier, les populations arrivent à justifier leurs droits en se référant principalement au cadre normatif coutumier, même si le contexte actuel est caractérisé par un pluralisme normatif et institutionnel combinant les registres coutumier et moderne. Il convient de ce fait de présenter les principaux droits fonciers et les conventions foncières locales pratiquées, ce qui nous permettra de comprendre, par la suite, les logiques et stratégies développées lors des règlements des conflits. Les principaux droits fonciers que l’on rencontre dans la ville de Divo sont le droit de propriété, le droit de gestion ou d’administration et le droit d’accès au foncier, cités dans l’ordre du plus sécurisant au moins sécurisant.

2.4.2. Droit de propriété ou acquisition par héritage

L’acquisition de la propriété foncière dans la société Dida ne relève pas d’un droit individuel, mais plutôt d’un droit appartenant à un groupe, à un lignage ou à une communauté. Ainsi, trois principes de droit facilitent l’acquisition de la propriété foncière. Il s’agit du principe de l’occupation première de la terre et de celui de la cession de la terre par une convention d’héritage ou don (Enquête de terrain, 2019). Outre ces deux premiers principes, on note également l’acquisition de la propriété foncière à la suite de conquêtes guerrières entre des chefferies villageoises pendant la période précoloniale. À Divo, le droit de propriété peut s’acquérir par achat de terre. Pour des raisons diverses (cession à un membre de la famille par manque de terre), le premier occupant pouvait céder une partie de ses terres au chef d’un groupe ou à son frère arrivé après lui. Il est habilité à céder des portions de terre à ceux qui lui en font la demande.

2.4.3. Le droit d’administration ou de gestion

Le droit d’administration quant à lui procède d’une délégation de l’autorité du chef de terre au profit d’un tiers à qui il confie la gestion d’une partie du patrimoine foncier de son lignage ou plantation. Selon le chef de terre adjoint de Bada, le droit d’administration peut être acquis selon deux modes que sont le prêt et la mise en gage. Le bénéficiaire du droit d’administration est aussi appelé gestionnaire de terre. Selon lui, il exerce la même fonction que le propriétaire de terre. Il a les mêmes fonctions de gestion, notamment sur la portion de la terre qui lui a été attribuée.

En fait, le droit d’administration qu'il détient ne peut être assimilé à un droit de propriété dans la mesure où il est tenu de rendre compte de sa gestion au propriétaire. Le gestionnaire de terre ne peut arbitrer que les conflits qui ont lieu entre les exploitants qu’il a installés. Mais les conflits portant sur les revendications de la propriété foncière proprement dite relèvent de la compétence du propriétaire qui intervient dans ce cas pour défendre ses intérêts et ceux de son lignage. Dans ce type de droit, les conflits fonciers surviennent lorsque certaines personnes jouissant d’un droit de gestion tentent de faire passer ce droit d’administration pour un droit de propriété.

2.4.4-Le droit d’accès

Le droit d’accès renvoie aux droits d’usage, de prélèvement et d’exploitation du sol. Procédant essentiellement d’une convention de prêt de terre dans un bref délai. Ce type de droit permet à son bénéficiaire de jouir de la ressource foncière qu’il a sollicitée et obtenue auprès d’un détenteur de droit de propriété ou d’un détenteur de droit de gestion. Toutefois, cette jouissance implique le respect de certaines clauses vis-à-vis de celui auprès duquel l’on a obtenu le droit d’accès. Dans le contrat du droit d’accès, la pratique des cultures pérennes ne sont pas autorisées. Toutefois ce droit peut être inversé en cas de pratique des cultures telles que le café, cacao, palmier à huile. Dans ce cas, l’on parle de partenariat. Le partenariat consiste au partage en tiers de la terre mis en valeur (chefferie de Dougako, 2019).

2.5. Les différents modes de règlement des problèmes fonciers à Divo

Dans la ville de Divo, les modes de règlement des conflits sont à caractère traditionnel. On distingue quatre (04) types de mode. Il s’agit du règlement à l’amiable, du règlement par les chefferies traditionnelles, du règlement par la procédure judiciaire et de la formation de comité de gestion foncière rurale.

2.5.1. Le règlement à l’amiable

Ce mode de règlement de conflit s’effectue directement entre le coupable et la victime. C’est en quelque sorte une entente mutuelle entre le coupable et la victime sans intervention ni d’une tierce personne, ni des autorités coutumière ou administratives. Ce mode de règlement de conflit foncier permet d’éviter que l’affaire ne monte à un niveau supérieur pouvant se transformer en conflit. En cas d’empiètement ou de faute d’identification de son terrain, le règlement à l’amiable permet de trouver un arrangement pour prévenir un conflit. Il est souvent réglé par une indemnisation ou dédommagement.

Quant au cas de faute d’identification, le coupable peut faire une réattribution de son terrain à la victime ou vendre un nouveau lot qu’il attribue à la victime. Ce mode de règlement est utilisé pour résoudre les cas d’abus de confiance ou de vente illégale. Ici l’on demande un remboursement. Dans la ville de Divo, il est difficile d’en estimer le taux à cause de la fréquence. Selon les propriétaires terriens rencontrés le règlement des conflits à l’amiable est le plus utilisé. La chefferie traditionnelle est parfois sollicitée en cas d’échec de négociation. C’est le cas de l’intervention du Chef des Chefs, dans la résolution du litige entre les acquéreurs et les propriétaires terriens à Grémian, dans le cadre des lotissements Gremian-motoragri et Djinzou-Kokpako

2.5.2. Le règlement au niveau des autorités locales (chefferies traditionnelles) 

Les autorités locales sont composées du chef de village, de la notabilité, et des présidents des commissions des villages. En cas de litiges fonciers, l’une des deux parties convoque son adversaire à la chefferie de sa localité. La plupart des raisons qui poussent l’un des deux parties, à prendre une convocation sont les problèmes de limites entre deux voisins, de ventes illicites sur un terrain ou encore sur le titre de propriété qui exerce son droit sur une portion de terre familiale, collective ou privée. Avant la délivrance de la convocation, la chefferie se charge de prendre la déposition du plaignant. Ainsi, un jour est fixé en vue de résoudre le problème qui oppose les deux parties. La conciliation est la procédure par laquelle les autorités coutumières parviennent à la résolution d'un conflit avec l'accord des parties. Cet accord est sanctionné par un procès-verbal de conciliation dans lequel sont notées toutes les décisions prises pendant la négociation. En cas d’échec de la conciliation, les personnes en conflit peuvent s’adresser à la justice. Mais il faut savoir que la conciliation est obligatoire avant le recours à la justice en passant par les forces de l’ordre. La conciliation se fait d’abord devant les autorités coutumières.

2.5.3. La procédure judiciaire dans la résolution des conflits fonciers

En cas d’échec de la conciliation avec les autorités traditionnelles et du règlement à l’amiable, les forces de l’ordre interviennent pour prévenir les conflits, protéger l’ordre public ou en cas d’infraction pénale (coups et blessures). Ils sont des arbitres lors des conflits. Selon, le commandant de brigade adjoint de gendarmerie de Divo, dès qu'une plainte est enregistrée, la procédure exige qu'un constat soit effectué sur le terrain. C’est à l'issue de leur constat qu’un soit transmis est dressé au tribunal de Divo. Les parties en conflit se présentent au tribunal d’instance de leur ressort avec le procès-verbal de non-conciliation ou le soit transmis qu’établit les forces de l’ordre (commissariat de police, gendarmerie) pour poursuivre la procédure de résolution. L’affaire sera ensuite jugée par le tribunal d’instance. Si une partie se sent lésée par la décision de justice rendue, elle peut faire appel auprès du tribunal de grande instance.

2.5.4. Le comité de gestion foncière rurale

Le comité de gestion foncière rurale est un groupe de personnes composé, selon la Direction régionale de l’agriculture de Divo, d’un représentant du ministère de la construction et de l’agriculture ainsi que des membres du village. À Divo on y trouve dans chaque quartier gardant toujours le statut de village des comités de gestion foncière. Ce comité a pour mission de participer aux différentes enquêtes et valider les résultats des enquêtes officielles de constat des droits fonciers avant toutes procédures de lotissements. Ce comité est chargé de sensibiliser et d’informer la population sur le processus d’établissement des actes de propriété et même s’y impliquer.

En plus de ces tâches, le comité de gestion du village est également impliqué dans le processus d’établissement des actes de propriété d’un lot acheté. Ils constituent un moyen de communication entre les voisins, le propriétaire et les services administratifs et atteste la véracité du type de droit sur une parcelle en projet de lotissement. Selon les propriétaires terriens interrogés, la formation de ce comité a permis de réduire de nombreuses causes des problèmes fonciers dans la ville de Divo. Ici, la question d’indemnisation ne s’oppose pas car les villages eux-mêmes sont les initiateurs des morcellements de leur parcelle et en sont aussi les promoteurs. 

De toute évidence, ces stratégies développées par les acteurs paraissent insuffisantes. Ainsi, d’autres mesures sont à prendre afin de réduire considérablement les causes des problèmes fonciers dans la ville de Divo.  

3-Discussion

De nos jours, les villes connaissent une dynamique spatiale. Cette dynamique est alimentée par une population urbaine sans cesse croissante. En effet, cette évolution met en évidence de nombreux besoins, notamment ceux liés aux logements. La forte demande en logement encourage de nouveaux morcellements ainsi que la création de nouveaux quartiers. Ces actions sont par moment la cause d’une multitude de problèmes fonciers. Nos résultats rejoignent ceux de J. L. BOUTILLIER, (1971, p 75), qui indiquent en substance que la croissance de la population urbaine dans les villes s’explique par plusieurs raisons. Il s’agit de la migration et de l’accroissement naturel qui sont les éléments clés de la dynamique démographique. Aussi, l’auteur explique que la population urbaine de la Côte d'Ivoire connaît une évolution rapide, car elle est caractérisée principalement par un accroissement naturel élevé et un apport migratoire important. Ainsi, l’entassement des populations soulève l’épineux problème de logements. Pour résoudre cette situation, les conclusions des travaux de E. B. KOFFI, (2008, p .6) préconisent que le lotissement est le seul moyen d’aménagement et d’équipement de l’espace. Pour cet auteur, le lotissement est le processus de transformation d’un terrain donné en terrain constructible. Il ajoute d’ailleurs qu’un habitat construit en dehors du lotissement est considéré comme illégal et par conséquent voué à une marginalisation, voire même à une destruction.

E. LE BRIS (1998, p302), indique que le taux de croissance démographique urbaine des pays comme la Tanzanie et le Nigeria était respectivement de 62 % et 64 % dans les années 70. Aussi, des études ont montré que l’accroissement naturel est un facteur déterminant de la croissance de la population urbaine. Car, la source principale de la croissance urbaine est la natalité. Pour cet auteur, les naissances jouent un rôle important dans l’augmentation de la population des villes qui enregistrent l’essentielle des naissances.

S’agissant des nombreux problèmes fonciers engendrés par l’étalement de l’espace urbanisé, nos résultats rejoignent ceux de I. OUATTARA (1999) et de M.K. DIBY (2013, p195), qui indiquent que la démographie accélérée occasionne de nombreux problèmes de développement. Ces auteurs expliquent que la croissance démographique entraine une gestion et un mode d’occupation de l’espace mal maitrisé par les autorités locales. Nos résultats concordent aussi avec ceux de M.K. DIBY (2013, p196). En effet, pour cet auteur, il existe dans la plupart des villes, une vitesse entre l’urbanisation officielle légale et l’urbanisation officieuse illégale qui se traduit par une occupation anarchique du sol. D’ailleurs, l’administration hésite à appliquer les règles, les lois et à sanctionner les atteintes à l’environnement M.K. DIBY (2013, p195) et I. OUATTARA (1999). Et cela est la raison première de la naissance des bidonvilles comme c’est le cas de la ville d’Abidjan. Les travaux de ces auteurs vont dans le même sens que nos observations puisque les effets de tous ceux-ci mettent en difficulté la gestion foncière et donne naissance à de multiples conflits fonciers.

Les conséquences qui résultent des occupations illicites et désordonnées étant importantes, et se résumant aux nombreux conflits fonciers, la loi coutumière ou législative prévoit une procédure de résolution de ces différents. Cela corrobore avec les idées de M. KONE et J. P. CHAUVEAU (1998, p20), de B.S. FLORENCE et S. Y. SEYNI (2016, p4), qui indiquent que 

la procédure de résolution des conflits fonciers n’est toujours pas bien appliquée même si la conciliation et la procédure judiciaire sont très importantes dans ce processus de résolution des conflits. Pour ces auteurs, la conciliation est la voie par laquelle les autorités coutumières parviennent à la résolution d'un conflit avec l'accord des parties. Cet accord est sanctionné par un procès-verbal de conciliation. En cas de désaccord, il est évidemment dressé un procès-verbal de non-conciliation. Les personnes en conflit ne peuvent s’adresser à la justice qu’en cas d’échec de la conciliation, elle est obligatoire avant le recours à la justice. Les résultats de nos travaux concordent avec ceux de M. KONE et J.P. CHAUVEAU (1998, p20). Ces auteurs soulignent que les pratiques locales de sécurisation foncière relèvent du pluralisme des règles et des institutions.

Conclusion

La croissance rapide de la population de Divo a favorisé l’extension de l’espace urbain. L’étalement de la ville de Divo s’est fait sous l’effet de trois principaux facteurs. Ce sont notamment les facteurs géographiques, les facteurs économiques et ceux en rapport avec la croissance démographique. Face à cette extension spatiale, le problème de l’organisation et l’occupation harmonieuse du sol reste inquiétante à cause de l’anarchie qui s’effectue dans les différents morcellements de terrain. À Divo, des bas-fonds ont été lotis, pourtant ce sont des zones non aedificandi. En outre, il y a des lotissements qui ont été effectués dans le non-respect des principes de morcellements. Depuis que la libéralisation du droit de lotir a été confiée aux propriétaires terriens, la ville de Divo enregistre des conflits inter-village et des problèmes fonciers entre les populations. Pour résoudre ces problèmes, les acteurs usent de plusieurs méthodes de règlements de conflits dont les plus importantes sont le règlement à l’amiable, la procédure judiciaire, le règlement par les chefferies autorités coutumières.

Référence bibliographiques

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Auteurs

1Maître-Assistant, Université Alassane OUATTARA Bouaké (Côte d’Ivoire), Laboratoire Ville Société et Territoire (Labo VST), Chercheur associé au Laboratoire de Recherche Espace-Système et Prospective (LARESP), tchankonybi@yahoo.fr

2Assistant, Université Alassane OUATTARA Bouaké (Côte d’Ivoire), Laboratoire Ville Société et Territoire (Labo VST), Chercheur associé au Laboratoire de Recherche Espace-Système et Prospective (LARESP), tchankonybi@yahoo.fr

3Doctorante, Université Alassane OUATTARA Bouaké (Côte d’Ivoire), ange01.achy@gmail.com 

4Professeur Titulaire, Université Alassane OUATTARA Bouaké (Côte d’Ivoire), Laboratoire

Ville Société et Territoire (Labo VST), koffi_brou@yahoo.fr

 

Catégorie de publications

Date de parution
31 déc 2020