Variabilité pluviométrique et production agricole dans la commune de Sinendé (Nord-Bénin)

Résumé

Les aléas climatiques liés à la variabilité et aux extrêmes pluviométriques constituent un défi majeur pour l’agriculture béninoise qui est essentiellement pluviale. Le présent article vise à analyser les impacts du dérèglement pluviométrique sur la production agricole dans la Commune de Sinendé. Les données de pluies collectées à l’Agence Nationale de la Météorologie (Météo Bénin) proviennent du poste pluviométrique de Bembèrèkè sur la période 1986-2015. Les relevés agricoles (productions de l’igname, du coton et du maïs) de 2017 émanent des services des études statistiques et économiques de la direction de la statistique agricole. Ces informations ont permis de caractériser les situations agropluviométriques. Ensuite, un échantillon de 150 chefs de ménages agricoles a été enquêté sur la base d’un choix aléatoire et simple pour recueillir leurs perceptions des effets des bouleversements pluviométriques sur les activités agricoles. Il ressort une forte variabilité pluviométrique avec une forte occurrence des valeurs déficitaires (53,33 %). Les niveaux de corrélation de la pluviométrie avec les productions de l’igname (R = 0,14 soit 14 %), du coton (R = 0,20 soit 20 %) et maïs (R = 0,42 soit 42 %) sont faibles, ce qui suggère que les cumuls annuels sont moins importants que la répartition intra-saisonnière des pluies pour les productions. Cependant, l’alternance des années excédentaires et déficitaires dans la période de 1986 à 2015 a entraîné d’importants impacts sur la production agricole à Sinendé. Face aux impacts de la variabilité pluviométrique sur les cultures agricoles, il est nécessaire pour les pouvoirs publics et les structures d’appui, de vulgariser les bulletins agro-météorologiques et d’accompagner les producteurs dans l’amélioration des stratégies d’adaptation.

Abstract

Climatic hazards related to variability and extreme rainfalls constitute a major challenge for Beninese agriculture, which is essentially rainfed. This article aims to analyze the impacts of the pluviometry deregulation on agricultural production in the municipality of Sinende. The pluviometry data collected at the National Meteorological Agency (Meteo Benin) comes from Bembereke pluviometry station over the period 1986-2015. The agricultural data (yam, cotton and maize production) for 2017 come from the statistical and economic studies departments of the agricultural statistics direction. This information has made it possible to characterize the agro pluviometric situation. Then, 150 heads of agricultural households was surveyed on the basis of a random sample selection to collect their perceptions of the effects of the pluviometry upheavals on agricultural activities. The results show a higher pluviometry variability with a higher occurrence of deficit values (53.33%). The correlation levels of rainfall with yam production (R=0.14 or 14%); cotton (R=0.20 or 20%) and maize (R=0.42 or 42%) is low; which suggests that the total annual is less important than the intra-seasonal distribution of rainfall for production. However, the alternation of surplus and deficit years in the period 1986-2015 has had a major impact on agricultural productions. In view of the rainfall impact variability on agricultural crops, it is necessary for the government and partners to make agro-weather forecasts more widely available in order to assist producers improving adaptation strategies.

Introduction

En Afrique au sud du Sahara, l’agriculture revêt une importance vitale car elle constitue la principale occupation des communautés qui y tirent les ressources alimentaires et les revenus monétaires. Toutefois, cette agriculture demeure essentiellement pluviale donc extrêmement dépendante de la saison des pluies. Ainsi, cette « agriculture dont l’économie de plusieurs pays et la sécurité alimentaire des populations en dépendent, est affectée par les perturbations climatiques en raison de son caractère essentiellement pluvial » (I. YOLOU et al., 2017, p. 21). Les travaux de M. DIOMANDE et al. (2013, p. 134) ont également conclu que « l’agriculture pluviale des pays ouest-africains comme la Côte d’Ivoire, est exposée à de nombreux problèmes dont la baisse de rendement, à l’inadéquation entre le calendrier agricole paysan et le statut pluviométrique et à la perte de semences ».

Le Bénin n’est pas en marge de la forte variabilité des pluies et de ses effets sur la production agricole. En effet, « le Bénin a connu une baisse des précipitations de 2 à 13 % dans toutes les stations synoptiques à l’exception de celle de Cotonou et une hausse des températures de 0,4 °C toutes, plus marquée de 1981-2010 que sur 1951-1980 » (E. AMOUSSOU et al., 2016, p. 18). « La région septentrionale du pays où se trouve la commune de Sinendé subit depuis les années 1980, le plus grand déficit pluviométrique avec une généralisation de la sécheresse et une baisse constante du nombre de jours de pluie dans les différentes stations » (M. BOKO et al., cités par G. L. DJOHY et al., 2015, p. 325). Cette commune n’est pas donc épargnée des vicissitudes climatiques actuelles. Certes, la littérature sur la variabilité climatique en lien avec la production agricole est bien fournie mais il y a encore des aspects sur la vulnérabilité de la production agricole dus au dérèglement pluviométrique à mieux connaître ou à actualiser en raison de la prégnance de l’agriculture pluviale dans la vie des communautés comme celles de Sinendé. Par exemple, les pratiques agricoles nécessitent une bonne connaissance du cycle saisonnier des précipitations, en l’occurrence les séquences sèches au cœur des saisons agricoles actives et la fréquence de jours pluvieux. La présente recherche se propose d’étudier la variabilité pluviométrique et ses impacts en vue d’une contribution à la réduction de la vulnérabilité de la production agricole dans la commune de Sinendé.

  1. Approche méthodologique

1.2. Présentation de l’espace d’étude

La commune de Sinendé est localisée au nord-ouest du département du Borgou entre les latitudes 9°50’ et 10°32’ nord et les longitudes 2°15’ et 3°06’ est. D’une superficie de 2289 km², Sinendé est l’une des huit communes du département du Borgou. Elle est limitée au nord par la commune de Gogounou dans le département de l’Alibori, au sud par la commune de N’Dali, à l’est par celle de Bembèrèkè, à l’ouest par la commune de Péhunco dans le département de l’Atacora et au sud-ouest par la commune de Djougou dans le département de la Donga (figure 1).

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La Commune de Sinendé compte 35 villages répartis en quatre arrondissements que sont : Fô-Bouré, Sèkèrè, Sikki et Sinendé-centre. Le quatrième Recensement Général de la Population et de l’Habitation (RGPH 4) réalisé en 2013, estime la population de la commune de Sinendé à 88 383 habitants contre 63 373 en 2002 et 40 769 en 1992, soit un taux d’accroissement annuel de 3 %. D’une densité de 39 hbts/km², la population agricole est passée de 45 249 hbts en 2002, à plus de 56 000 hbts en 2013. Cet accroissement induit une augmentation des besoins alimentaires essentiellement fournis par la production agricole. Il constitue aussi un facteur de risque pour les ressources naturelles face à la pression démographique et agricole.

Le climat de la zone étudiée est de type tropical humide et est caractérisé par une saison sèche (novembre à mars, soit 5 mois) et une saison humide (avril à octobre, soit 7 mois) qui s’alternent. La pluviométrie annuelle varie de 660 à 1615 mm avec une hauteur moyenne de 1160 mm. La température moyenne varie entre 24,2 °C (septembre) et 29,5 °C (mars), soit une amplitude thermique de 5 °C. La saison des pluies commence dans la deuxième quinzaine du mois d’avril et se termine en octobre, avec le maximum de pluies aux mois d’août et septembre. Ce contexte climatique moyen (figure 2) est favorable à la production d’une variété de cultures (céréales, tubercules, légumineuses, etc.). Il cache cependant une réalité plus délicate avec des situations d’excès et surtout de déficits préjudiciables à la production agricole.

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La figure 2 montre que la commune de Sinendé bénéficie d’un régime pluviométrique unimodal dont le pique s’observe en août avec une moyenne pluviométrique mensuelle de 92,27 mm et les hauteurs de pluies sont enregistrées entre avril et octobre. Cependant, il est observé des pluies précoces en mars. Les hauteurs de pluies atteignent leur maximum pendant le mois d’août avec une valeur de 240 mm.

Au niveau pédologique, la commune est dominée par des sols ferrugineux tropicaux caractérisés par la présence d’un horizon de surface sableux. Ce sont des sols lessivés avec un bon drainage et une faible profondeur (moins de 3 m) qui sont propices à une diversité de cultures annuelles et pérennes. Mais, ils sont soumis à une forte pression qui induit une baisse de leur fertilité avec des déconvenues sur les rendements agricoles. 

En définitive, le contexte géographique global du milieu favorise la production agricole.  L’agriculture constitue ainsi la principale activité des populations avec l’utilisation des outils rudimentaires. La Commune de Sinendé est classée parmi des zones de bonnes productions agricoles (ONASA, 2006, p. 31). Ainsi, Sinendé a occupé en 1998, la troisième place au niveau national en production d’igname après Tchaourou et Nikki et la première place dans le département du Borgou à la fin de la campagne agricole 2009-2010 (Op cit.). Mais le déroulement de ces activités calqué sur la répartition normale des pluies est perturbé par les effets des irrégularités pluviométriques.

2.2. Données et méthodes d’analyse

Les données utilisées sont les pluies à l’échelle journalière de la période allant de 1986 à 2015 du poste pluviométrique de Bembèrèkè et obtenues à l’Agence Nationale de la Météorologie (Météo Bénin). Les informations sur les besoins climatiques des principales cultures que sont le maïs, l’igname et le coton sont issues du mémento de l’agronome (2002). Les statistiques agricoles (superficie et production) relatives aux cultures sont obtenues auprès des services des études statistiques et économiques de la direction de la statistique agricole. Ensuite, les informations auprès d’un échantillon de 150 producteurs agricoles sur un effectif total 7031 exploitants (tableau 2) et trois personnes ressources spécialistes de la production végétale ont été interrogées suivant un choix aléatoire et simple. Pour collecter les informations liées aux impacts des modifications pluviométriques sur la production agricole, les enquêtes ont été réalisées au moyen d’entretiens individuels. Les principaux acteurs concernés sont les chefs de ménages agricoles des quatre arrondissements (Sinendé, Sèkèrè, Sikki et Fô-Bouré).

La taille de l’échantillon a été déterminée à partir de la formule de D. SCHWARTZ (1995) :

Te = Zα2 x pq/i2

avec : Te = taille de l’échantillon ; Zα = 1,96 correspond à l’écart réduit correspondant à un risque α de 5 % ; p = n/N ; = proportion des ménages agricoles (n) par rapport au nombre total de ménages dans la commune (N) ;  q = 1-­p et i = précision désirée égale à 5 %. 

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Les données collectées ont fait l’objet d’un dépouillement manuel et ont été traitées à l’aide d’un tableur. L’utilisation des paramètres statistiques (moyenne arithmétique, pourcentage, fréquence relative et absolue, corrélation) a permis d’analyser les perceptions paysannes relatives aux aspects de la variabilité, leurs effets et les adaptations mises en œuvre ou souhaitées. Pour mettre en évidence la variabilité des pluies et identifier une rupture de stationnarité, l’indice pluviométrique (Ip) et le test de Pettitt ont été respectivement calculé et fait. L’Indice pluviométrique (Ip) est déterminé selon la formule :  

Ip=Xi-Xmoyσ   ;

avec x: la pluviométrie de l'année i ; xmoy : la pluviométrie moyenne interannuelle sur la période de référence 1986-2015 et σ : l'écart type de la série.

La méthode de régression linéaire simple a été exploitée pour la détermination des tendances pluviométriques dans la période 1986-2015 dont l'équation de droite de tendance est sous la forme : y = ax + b. a est le coefficient directeur et b une constante. Pour ressortir les déficits ou les excédents pluviométriques, les besoins hydriques des cultures ont été comparés avec les cumuls de pluies. Ensuite, le coefficient de corrélation a permis de montrer la dépendance entre la pluviométrie et les productions de l’igname, du coton et du maïs. Alors, pour connaître ce coefficient de corrélation, la formule appliquée est :

Capture

Le coefficient de corrélation est compris entre -1 et +1. Plus le coefficient est proche des valeurs extrêmes -1 et 1, plus la corrélation entre les variables est forte. Une corrélation égale à 0 signifie que les variables sont linéairement indépendantes. Lorsque r = +1, la corrélation est positive parfaite, pour r = -1 la corrélation est négative parfaite et quand r = 0 cela suppose une absence totale de corrélation.

  1. Résultats

2.1. Manifestation de la variabilité pluviométrique à Sinendé

La figure 3 montre la variation interannuelle des pluies de Sinendé sur la période de 1986 à 2015. L’analyse de l’anomalie standardisée des pluies de la commune de Sinendé présentée sur la figure 3, montre une forte variabilité pluviométrique sous la forme d’une alternance d’années déficitaires et excédentaires. En effet, cette figure montre que 53,33 % des années de la série, sont déficitaires (-1,83 à -0,08) avec des années sèches (1993 et 2014) et extrêmement sèchee (1987 et 2005).

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Ces années déficitaires sont alternées avec des années moyennes (6,67 %) et des années excédentaires (40 %) dont certaines se sont révélées humides (1998, 2012) voire extrêmement humides (1991, 1998). La droite linéaire se caractérise par une faible pente négative (α = - 0,19) ; ce qui indique qu’au cours de la période (1986-2015), il y a une tendance à la baisse des hauteurs de pluies annuelles. Les variables U du test de Pettitt et les sommes des écarts à la moyenne du test de Buishand sont tous inférieurs à 0 ; ce qui confirme la tendance à la baisse des cumuls pluviométriques (figure 4).

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2.2. Evolution des superficies et productions culturales dans la commune de Sinendé

La figure 5 présente l’évolution des superficies emblavées et des productions des principales cultures (igname, coton et maïs) pratiquées dans la commune de Sinendé entre 1995 et 2016.

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Les figures 5b et 5c montrent que les productions et les superficies ont une tendance à la hausse respectivement pour les cultures de coton et de maïs.

Par contre, la figure 6a présente une hausse des productions et une baisse des  superficies pour la culture de l’igname. Entre 1995 et 1998, les superficies tout comme les productions de l’igname sont demeurées constamment faibles (moins de 6000 ha et moins de 80 000 tonnes). Entre 2011 et 2016, les productions et les superficies ont connu une évolution progressive pour atteindre les valeurs record en 2013 pour les superficies (13 702 ha) et en 2003 pour les productions (226 385 tonnes). Les chutes considérables des valeurs sont maintenues au-dessus de 4000 ha en 2010 et 10 000 tonnes en 2000 respectivement pour les superficies et les productions. Sur l’ensemble de la période 1995 à 2016, la commune de Sinendé a connu une tendance à la hausse de la production de l’igname alors qu’elle l’a été à la baisse pour les superficies emblavées.

Pour la culture du coton, les superficies et les productions ont globalement connu une évolution en dents de scie avec une tendance à la hausse des superficies (figure 5b). Les plus fortes valeurs sont obtenues au cours de la campagne 2015-2016 (22 576 tonnes pour la production et 18 530 ha pour la superficie) alors que la campagne 2009-2010 a enregistré les plus faibles valeurs (970 tonnes pour la production et 5825 ha pour la superficie).

L’évolution des superficies et des productions du maïs a globalement connu deux phases d’inégales durées (figure 5c). La première phase est la plus courte et couvre la période de 1995 à 2004. Elle est caractérisée par de faibles superficies (entre 3068 et 10 244 ha) et de faibles volumes de productions (entre 4107 et 21 455 tonnes). La seconde phase est la plus longue et prend en compte la période de 2004 à 2016. Elle est marquée par une augmentation des indicateurs en dents de scie avec une forte tendance à la hausse (a = 1386). Ainsi, la production a atteint 32 396 tonnes alors que la superficie a connu une valeur de 24 775 ha.

3.3. Vulnérabilité de la production agricole à la variabilité pluviométrique

Les figures 6 et 7 présentent respectivement les besoins hydriques des différentes spéculations et la corrélation de la pluviométrie avec les productions de l’igname, de coton et de maïs. Selon INRAB (2005, p. 38), la culture de l’igname est en général plus exigeante en eau, soit au moins 1000 mm par saison agricole que celles du coton (700 mm) et du maïs (575 mm).

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L’analyse de la figure 6a montre que pour l’igname, les situations d’excédents sont plus fréquentes (66,67 %). Ces excédents varient entre 49,5 mm en 2015 et 695,9 mm en 1991. Il y a également de rares cas de situations de déficits (23,33 %) soit -273,4 mm en 2005 et -56,8 mm en 2013. Avec les forts excédents, l’inondation et ses corollaires (accès difficiles donc problème d’entretien) et la profusion hydrique constituent les risques. Le stress hydrique consécutif au manque ou insuffisance d’eau sont les conséquences des situations de déficits.     

Pour le coton et le maïs, il n’y a que de situation d’excès (figures 6b et 6c). Ces excédents pluviométriques varient entre 26,6 en 2005 et 995,9 mm en 1991 pour le coton et entre 151,6 et 1120,9 mm pour le maïs respectivement les mêmes années. Elles sont donc plus exposées aux risques d’inondations et de profusion hydrique.

L’analyse des bilans hydriques est basée sur les cumuls et n’a pris en compte la répartition intra-saisonnière avec les possibilités de pluies tardives, fins précoces, séquences sèches, qui sont aussi préjudiciables aux cultures.

L’analyse de la figure 8 montre que les niveaux de corrélation de la pluviométrie avec les productions de l’igname (R = 0,14 soit 14 %), du coton (R = 0,20 soit 20 %) et maïs (R = 0,42 soit 42 %) sont faibles. Les productions de l’igname, du coton et du maïs ne dépendent pas uniquement de la pluviométrie (figure 7). C’est le cas en 2014 où malgré une pluviométrie défavorable (849,7 < 1000 mm), à la croissance des plantes d’igname, la production est restée forte (223 755 tonnes). Par contre, en 1998, bien qu’une pluviométrie de 1535,9 mm favorable à la croissance des plantes de coton et de maïs, les productions sont restées faibles, respectivement 14 570 et 6573 tonnes (figure 5a et figure 6). La production de l’igname serait due à la répartition intra-saisonnière des pluies et les cultures de maïs et du coton à l’inondation.

3.4. Perceptions paysannes de la variabilité des pluies et ses effets sur la production agricole

La figure 8 présente les perceptions des producteurs des manifestations de l’instabilité des pluies et ses impacts sur la production agricole dans la commune de Sinendé. Selon les perceptions paysannes sur les manifestations de la pluviométrie (figure 9a), 96 % ont observé une variation de la pluviométrie au cours des trois dernières décennies avec des déficits hydriques (5 %), des démarrages précoces de pluies (13 %), des démarrages tardifs de pluies (24 %), des excès de pluies (7 %), des fins précoces des pluies (7 %), des fins tardives des pluies (2 %) et des poches de sécheresses (42 %).

L’analyse de la perception des enquêtées montre que, 99,33 % ont affirmé que les saisons deviennent de moins en moins pluvieuses et 14,67 % affirment que les poches de sècheresse sont de plus en plus fréquentes. Ce qui induit des déficits hydriques avec des conséquences négatives variables en fonction du stade de développement des cultures.

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La figure 8b montre que l’alternance des années excédentaires et des années déficitaires dans la période de 1986 à 2015, a entraîné d’importants impacts sur la production agricole à Sinendé. En effet, la majorité des producteurs (73 %) ont évoqué une diminution des rendements. Les crises pluviométriques sont évoquées par des exploitants (43,33 % pour les inondations, 36,67 % pour le ralentissement de la croissance des cultures, 5,33 % pour les pertes de cultures et le jaunissement des plants, 54,67 % pour la non maturation des capsules de coton et non grossissement des tubercules sous l’effet du déficit de pluie et 16,67 % pour la pourriture des semences et tubercules mis sous terre comme des manifestations majeures qui perturbent considérablement les activités de production agricole.

Face aux effets de la variabilité pluviométrique sur la production agricole, les exploitants agricoles de la commune de Sinendé utilisent quelques mesures d’adaptation comme par exemple, l’association de cultures et le laboure à la charrue (planche 1).

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En dehors du ressemis utilisé pour pallier les pourritures des semences mis sous terres (cité par 75 % des répondants), tous les producteurs affirment que le labour à la charrue est une des techniques d’adaptation courantes dans la Commune de Sinendé (photo 2). Il permet l’infiltration de l’eau dans le sol et facilite le ruissellement après de fortes pluies en vue d’optimiser l’eau de pluie tombée et d’éviter l’inondation des cultures.

  1. Discussion

La majorité des enquêtés ont indiqué que les saisons de pluie sont caractérisées par des poches de sècheresses de plus en plus longues tandis que les temps de pluie sont réduits. Ce constat de changement pluviométrique fait par les exploitants agricoles est confirmé par les résultats des analyses sur l’évolution de la pluviométrie sur la période 1986 à 2015 à Sinendé. De plus, la zone d’étude est marquée par un régime unimodal typique du climat tropical caractérisé par des années déficitaires, moyennes et excédentaires. Ce résultat rejoint ceux de S. H. TOTIN VODOUNON et al. (2016, p. 163) qui ont constaté que « la variabilité climatique dans le septentrion est marquée par des séquences de période humide (1961-1972), de période sèche (1973-1988) et de période d’instabilité (1989-2012) ». Cette situation climatique affecte de multiples secteurs d’activité, notamment l’agriculture et la sécurité alimentaire. Au regard des résultats des analyses de la variabilité pluviométrique, la récurrence d’années déficitaires (53 %), dans la période 1986-2015 contrarie la proportion de 40 % d’années de pluie excédentaire et de 7 % seulement d’années normales. Cette tendance pluviométrique corrobore les résultats d’une étude menée dans la même commune par G. L. DJOHY et A. H. EDJA (2018, p. 86) où sur « les 45 années considérées, les années humides (+0,04 à +3,22) sont estimées à 42 % avec des degrés d’humidité variables et les années déficitaires (-0,09 à -1,55) à 58 % avec des degrés de sécheresse variables ». Selon S. H. TOTIN VODOUNON et al. (2016, p. 164), il a été noté « une tendance à la persistance de la sécheresse et à l’aridité progressive dans la partie septentrionale du Bénin aux confins du domaine sahélien ». La perception relative à la diminution du nombre de jours de pluie ayant entraîné une baisse pluviométrique dans cette commune est confirmée par l’analyse des données pluviométriques. En effet, l’analyse de l’évolution des cumuls pluviométriques de 1986 à 2016 a montré une tendance à la baisse de la pluviométrie. Ce résultat confirme celui de G. L. DJOHY et al. (2015, p. 186) qui ont montré qu’« au cours des dernières décennies, le paysage climatique est marqué par des irrégularités pluviométriques saisonnières suivies d’une diminution du nombre de jours de pluie au Bénin ». Les recherches effectuées par T. CODJO et al. (2015, p. 313), ont quant à elles révélé « une nouvelle dynamique climatique qui se traduit par de grands déficits pluviométriques souvent alternés avec des années de fortes précipitations au Bénin ». Dans ce contexte climatique, « la variabilité pluviométrique relativement forte, impose les contraintes remarquables aussi bien sur les ressources en eau que sur la production agricole » (CNIBCC, 2001, p. 7).

Selon G. L. DJOHY et al. (2015, p. 186), « la variation des précipitations et la décroissance du nombre de jours de pluie à travers le pays ont d’énormes impacts sur le secteur de l’agriculture au Bénin ». Ce résultat est soutenu par F. AFOUDA (1990, p. 230) qui annonce que l’eau est un facteur limitant de la croissance végétale en régions tropicales et ailleurs. Mais, il est en contradiction avec les résultats trouvés dans le cadre de la présente étude car ; les productions de l’igname, du coton et du maïs ne dépendent pas tellement de la pluviométrie. Par exemple, c’est le cas en 2014 où malgré une pluviométrie défavorable (849,7 < 1000 mm), à la croissance des plantes d’igname, la production est restée forte (223 755 tonnes). Il est donc probable que la mauvaise répartition de la pluie et le déficit pluviométrique entraînent une réduction de croissance des plantes et la fanaison des feuilles. En effet, la quantité de pluie reçue n’est pas ce qui est important, mais surtout sa répartition dans le temps.

Conclusion

Ce travail a permis d’apporter une contribution à la réflexion sur la vulnérabilité des activités agricoles à la variabilité pluviométrique dans la commune de Sinendé. L’analyse des informations du terrain et celle des données climatiques de la période de 1986 à 2015, montre que les productions des cultures pilotes comme l’igname, le coton et le maïs ne dépendent pas tellement de la pluviométrie.  La quantité de pluie reçue n’est donc pas un facteur suffisant pour la production agricole, mais plutôt sa répartition dans le temps et dans l’espace. La pluviométrie de la commune de Sinendé a connu non seulement, une variation marquée par une alternance d’années déficitaires, moyennes et excédentaires ces trois dernières décennies mais aussi, une baisse de tendance des cumuls pluviométriques les deux dernières décennies (1996-2005 et 2006-2015). En cas de crises pluviométriques, il est noté une immaturation des capsules et un non grossissement des tubercules, une variation du calendrier agricole, une perte des cultures, des pourritures des semences mis sous terres, un ralentissement des croissances des cultures et un jaunissement des cultures. Face à cette situation, les exploitants agricoles adoptent plusieurs stratégies fondées sur les savoirs empiriques dont la prise en compte dans les politiques de développement agricole, en appui avec les mesures d’accompagnement par les pouvoirs publics, peut permettre d’optimiser les rendements agricoles. 

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Auteur

1Maître-Assistant, Département de Géographie et Aménagement du Territoire (DGAT), Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines (FLASH), Université de Parakou (UP, Bénin), isidorkary@yahoo.fr

 

 

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Date de parution
30 juin 2020