La gestion des collectivités locales et le genre en Côte d’Ivoire : le cas de la commune de Korhogo

Résumé

Les communes sont confrontées à des difficultés que l’on explique rarement par les problèmes de leurs ressources humaines. En ce sens, cette étude permet d’analyser la situation du personnel communal de Korhogo selon le genre.  En effet, en côte d’Ivoire, les inégalités du genre au détriment des femmes sont persistantes. Ces discriminations qui freinent le développement, créent un déséquilibre dans l’évolution de la société (Banque Mondiale, 2013). Ainsi, le gouvernement ivoirien a signé des engagements internationaux et pris des mesures législatives et institutionnelles afin de réduire ces inégalités entre les sexes et augmenter la participation des femmes aux postes de décisions. Cependant, malgré ces efforts, la proportion des femmes dans l’administration décentralisée et aux postes décisionnels et électifs restent encore faibles. Quel est donc le taux de représentativité des femmes et des hommes dans cette administration municipale de Korhogo ?

Par la documentation, les entretiens, nous constatons qu’au sommet de la mairie, les femmes  sont faiblement représentées (une dans la municipalité, 6 au conseil municipal et aucune fonctionnaire sur les cinq). Elles ne peuvent pas par conséquent faire le poids pour changer des avis. Leur influence reste donc limitée dans les prises de décision. Mais à la base, dans des emplois moins rémunérés et précaires, avec un taux de 68%, elles sont plus nombreuses que les hommes.

Il importe donc de sensibiliser les autorités locales sur la participation féminine aux instances de direction pour un développement local harmonieux. Cette participation peut avoir des retombées positives sur la politique intérieure, les familles, les infrastructures, l’assainissement, l’éducation et la santé. Le nord, précisément la commune de Korhogo a donc besoin des dirigeantes pour motiver les parents à scolariser les jeunes filles et pour atteindre les objectifs de la décentralisation.

Abstract

Municipalities face difficulties that are rarely explained by problems of their human resources. In this sense, this study makes it possible to analyze the situation of municipal staff in Korhogo by gender. Indeed, in Côte d'Ivoire, gender inequalities to the detriment of women are persistent. These discriminations, which slow down development, create an imbalance in the evolution of society (World Bank, 2013). Thus, the Ivorian government has signed international commitments and taken legislative and institutional measures to reduce these inequalities between the sexes and increase the participation of women in decision-making positions. However, despite these efforts, the proportion of women in decentralized administration and in decision-making and elective positions is still low. So what is the rate of representation of women and men in this municipal administration of Korhogo?

Through documentation and interviews, we find that at the top of the town hall, women are poorly represented (one in the municipality, 6 in the municipal council and no civil servant out of the five). They cannot therefore be enough to change opinions. Their influence therefore remains limited in decision-making. But basically, in less paid and precarious jobs, with a rate of 68%, they are more numerous than men.

It is therefore important to make local authorities aware of female participation in management bodies for harmonious local development. This participation can have positive spillover effects on domestic politics, families, infrastructure, sanitation, education and health. The north, specifically the municipality of Korhogo, therefore needs women leaders to motivate parents to educate young girls and to achieve the objectives of decentralization.

Introduction                                                          

La communalisation amorcée dans un contexte de crise s’est accompagnée de difficultés à tous les niveaux. Les mairies sont confrontées à une crise fonctionnelle durable (B. ORI, 1997). Pour expliquer ces difficultés, l’on insiste sur l’emprise de 1’État empêchant le plein fonctionnement des communes et les contraintes liées aux communes (manque de dynamisme dans la mobilisation des ressources locales, inefficacité des services techniques, environnement économique et social défavorable (B. ORI, 1997). Cependant, les élus locaux mentionnent rarement les problèmes, les défis et les capacités de leurs ressources humaines (ALGA, 2018).

Ainsi, l’objet de cette étude est d’analyser la question des ressources humaines dans la conduite des affaires locales dans la mesure où elles sont indispensables dans la réussite d’une organisation et constituent le moteur du développement local. De plus, les compétences individuelles et collectives des travailleurs façonnent le devenir de la communauté (S. KATO, 2005).

Il s’agit précisément d’étudier la situation du personnel communal de Korhogo selon le genre qui est une approche de développement selon le ministère ivoirien de la famille, de la femme et des affaires sociales (2019,  P.4). Et ce, en raison des inégalités du genre qui demeurent importantes en Côte d’Ivoire en l’encontre des femmes qui, malgré les lois, sont marginalisées, moins scolarisées et ont des difficultés d’accès aux soins de santé et au marché du travail que les hommes (Banque mondiale, 2013, PNUD, 2013 ; BAD, 2015). Dans les administrations et les espaces de prise de décisions (Gouvernement, Assemblée nationale), elles sont sous représentées (BANQUE MONDIALE, 2013) et prennent une part insuffisante aux décisions politiques et économiques (ONUFEM, 2007). Elles sont même ignorées comme sujets d’études (D. SANTELLI,  2005).

Ces inégalités fondées sur le sexe réduisent le potentiel de développement (PNUD, 2013) et créent un déséquilibre dans l’évolution de la société ivoirienne (BANQUE MONDIALE, 2013).

C’est fort de cela que, depuis des années, le gouvernement ivoirien a fait de la promotion de d’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes est une priorité. Il a pris des engagements internationaux, des mesures législatives et institutionnelles pour la promotion du genre (une stratégie transversale de développement visant à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes). Ainsi, la parité, de slogan qu’elle était, devient progressivement une obligation dans les systèmes de gestion du personnel, elle s’impose peu à peu dans les faits (H. RYCKMANS, 2001).

Cependant, malgré les efforts gouvernementaux, la proportion des femmes dans l’administration décentralisée et aux postes décisionnels et électifs restent faibles. Quelle est donc la situation à Korhogo ? Les femmes participent-elles pleinement à la gestion de cette commune ? Quel est le taux de représentativité des femmes et des hommes dans cette administration municipale ?

1- Méthodologie

1.1. Situation de la zone d’étude

Située au nord de la Côte d’Ivoire, Korhogo est le chef-lieu du district des Savanes et de la région du Poro (figure 1).

Fig21_1.png

Elle est limitée au nord par M’Bengué et Tengrela, Dikodougou et Mankono au sud, par Ferké et Ouangolo à l’Est, Boundiali à l’Ouest. Érigée en commune de plein exercice par loi n° 78-07 du 9 janvier 1978, elle est distante de 635 km d’Abidjan, capitale économique ivoirienne. On y trouve plus d’hommes (133 894) que de femmes (124 805) sur un total de 258 699 habitants (INS, 2015). Cette population est composée d’autochtones Sénoufo (Tiembara les Fodonon, les Nafara, les Kafire) cohabitant avec des communautés ivoiriennes et étrangères.

1.2. La collecte et traitement des données

Pour la collecte des données, la méthodologie utilisée est basée sur une revue documentaire et des entretiens.

Nous avons eu des entretiens avec le chef du personnel et chef administratif de la mairie de Korhogo qui nous a donné l’effectif des conseillers municipaux et des agents par sexe et les fonctions des femmes. Ces échanges ont porté sur le mode de recrutement des agents locaux et les difficultés dans le recrutement des femmes.

Les autres données ont été obtenues à partir de la documentation et à travers l’internet.

Nous y avons consulté également des textes règlementaires (tel que celui élaboré en 2013 par le ministère de l’intérieur et de la sécurité) afférents à la décentralisation en Côte d’Ivoire relatif au recrutement du personnel communal.

2. Résultats et discussion

2.1. Peu de femmes dans l’administration communale à Korhogo

La Côte d’Ivoire, les inégalités de genre perdurent, au détriment des femmes. A Korhogo comme partout ailleurs, les femmes sont victimes de discriminations, d’abus et d’exclusion. Elles sont moins impliquées dans les affaires locales.

Voyons leur taux de représentativité dans les organes de la commune que sont  le Conseil Municipal, le Maire et  la Municipalité.

Le conseil municipal est une administration de développement (A. DIABATE, 2014). Organe important de la commune, il règle, par délibération, les affaires des collectivités territoriales (ministère de l’intérieur, 2013). Dans le conseil municipal de Korhogo, les femmes sont peu nombreuses (6 sur les 46 conseillers soit 13% des membres). Elles   n’atteignent pas le tiers des membres. Or, dans cet organe important communal, le nombre de femmes devait être important pour constituer un poids lors des délibérations. Mais, il est en deçà de 30% recommandé par les accords de Beijing de 1995. Un effort doit être fait pour atteindre cet objectif de 30% de femmes au poste de prise de décision.

La commune de Korhogo est dirigée par le maire Lazani Coulibaly. Il est aidé dans ses fonctions par 6 adjoints parmi lesquels se trouve une femme (Mme Cissé, née koné Awa, troisième adjoint au maire). Elle occupe la troisième position derrière les hommes. Une seule voix féminine entre les hommes est très faible surtout que dans cette partie du pays où la soumission est enseignée aux femmes qui sont relayées au second plan. Néanmoins, la présence de cette femme dans cette municipalité est à saluer. Nous encourageons les autorités locales à œuvre pour la participation accrue des femmes dans leur gestion. Car, le développement de la commune doit être l’affaire de tous (MANSO, 2003).

On peut donc dire qu’au sommet de la mairie, on dénombre très peu de femmes (une dans la municipalité et 6 au conseil municipal) ne pouvant pas faire le poids pour changer des avis. Leur influence reste donc limitée dans les prises de décision. Ce qui constitue un handicap dans la gouvernance municipale de Korhogo. Cette situation est observée dans les pays africains comme le Burkina-Faso et le Sénégal où les femmes sont aussi sous représentées dans les branches du pouvoir (exécutive, législative, municipale) et dans les hauts postes de l'administration publique (M. CISSE, 2007).

Voyons la situation au niveau du personnel communal par rapport à la question du genre. Ce personnel comprend les fonctionnaires ou agents de l’Etat et les agents soumis au code du travail suivant l’article 2 de la loi n° 2002-04 du 03 janvier 2002  portant statut du personnel des collectivités territoriales.

Pour la bonne marche de l’administration décentralisée, l’Etat ivoirien met à la disposition des collectivités territoriales des fonctionnaires ou agents de l'Etat pour des tâches d'encadrement ou d'exécution. Placés sous l'autorité de l'exécutif de la collectivité, ils sont en position d'activité (mise à disposition). Émargeant sur le budget général de l'Etat, ils bénéficient d'indemnités et d'avantages fixés par décret pris en conseil des ministres.

Parmi les agents de l'Etat mis à la disposition de la mairie de Korhogo, il n’y a aucune femme (Figure 2). Les six fonctionnaires dirigent les principaux services que sont le secrétariat général, le service administratif, le service socio-culturel, les services techniques, les services financiers. Les décisions sont prises par les hommes à l’absence de femmes qui sont sous les ordres de ceux-ci. Il importe de sensibiliser les autorités compétentes sur la nécessité de mettre à la disposition de cette commune des femmes. Car, l’égalité entre les sexes est la solution pour la réalisation d’une croissance économique soutenue et d’un développement durable, et pour l’élimination de la pauvreté (ONU, 2007). Selon Houphouet Boigny, on ne peut rien faire sans les femmes. Donc diriger sans elles, conduit à un échec.

Le progrès se réalise par la collaboration avec des femmes aux processus de prise de décisions (M. BACHELET, 2005). Leur participation aux instances de direction dans les collectivités locales peut avoir des retombées positives sur la politique intérieure, les familles, les infrastructures, l’assainissement, l’éducation et la santé (CHOFOR, 2014). Elle permet aussi de lutter contre les discriminations et les abus dont sont victimes les femmes et de défendre leurs droits. Elles sont indispensables à la réussite des projets de développement. Le nord, précisément la commune de Korhogo a donc besoin des femmes aux postes de responsabilités pour motiver les parents à scolariser les jeunes filles et pour atteindre les objectifs de la décentralisation consistant à la coopération des composantes de la société pour le développement local. Vu que l’exclusion des femmes a des fondements historiques, ces dirigeantes peuvent être des modèles pour briser les barrières sexo-culturelles,

Au niveau du personnel localement enrôlé, les autorités des collectivités territoriales recrutent ou licencient et nomme le personnel sur autorisation des conseils, conformément à la délibération relative au cadre organique des emplois approuvé par l’autorité de tutelle (Loi n° 2002-04 du 03 janvier 2002 portant statut du personnel des collectivités territoriales). La durée des emplois occasionnels ou temporaires est au plus de 6 (six) mois renouvelable une seule fois.

A la mairie de Korhogo, le directeur administratif et chef du personnel réceptionnent les demandes d’emplois. Ils  peuvent en recevoir au moins une dizaine par jour. Selon les besoins de la commune en ressource humaine et tenant compte du cadre organique des communes, ils  font des propositions de candidats au maire. Les agents sont engagés quand la décision d’embauche est validée par le conseil municipal, ayant la compétence de la création d’emplois et du vote des crédits correspondants. Cet organe délibérant règle les affaires de la collectivité par ses délibérations et décide de la rémunération et de salaire du personnel.

Deux catégories d’agents sont engagées à la mairie parmi lesquels on dénombre très peu de femmes. Il s’agit des agents à contrat à durée indéterminé (CDI). Ces agents exercent des fonctions d'application ou d'exécution et sont régis par le code du travail. Ils sont 127 dont 22 femmes (représentant 17% des engagés) et 105 hommes. Parmi ces femmes, on compte 10 secrétaires de bureau, 5 agents de bureau, 2 comptables, 2 collectrices, 2 manœuvres et un planton. Ces différentes fonctions ne revêtent aucune autorité et ne peuvent changer des décisions. Cela signifie que ces femmes ne peuvent exercer aucune autorité sur les décisions communales et ne participent pas aux prises de décisions mais sont exécutantes des ordres. On peut donc dire avec S. KATO (2005) que les emplois des femmes sont précaires, mal rémunérés et sans sécurité financière. Ce qui ne leur donne pas de pouvoir économique leur permettant de jouer un rôle important dans la vie à tous les niveaux.

A côté de ces agents à contrat à durée déterminée (CDD), on a  60 agents contractuels à durée déterminée d’un an renouvelable une fois si les prestations sont satisfaisantes. Cette catégorie est féminisée. On y dénombre plus de femmes (41) que d’hommes (19) (tableau 1).

Fig21_2.png

Elles sont réduites à des emplois précaires ou marginaux de manœuvre, de contractuel à durée déterminée. L’importance de leur taux (68%) illustre nos dires. leurs conditions de vie sont par conséquent précaires.   Suivant Bachelet (2005), ce fait est mondial car la moitié des travailleuses du monde continuent d'être cantonnées à des emplois précaires, souvent non couverts par le droit du travail. 

  • CDD : contrat à durée déterminée 
  • CDI : contrat à durée indéterminé 

De ce qui précède, nous pouvons dire que dans la commune de Korhogo, le taux de représentativité des femmes est très faible surtout au sommet et est légèrement important à la base. Il est de 13% au conseil municipal, 17% à la municipalité et 17% parmi les agents à contrat à durée indéterminée (CDI). Cependant, il est de 68% parmi les agents à contrat à durée déterminée (CDD) (figure 2). Nous pouvons donc dire avec Pascale (2001) que les femmes sont plus nombreuses lorsqu’on descend dans la hiérarchie des pouvoirs.

Fig21_3.png

Le quota de 30 % de Beijing de 1995 et adopté par l’Etat ivoirien, recommandant la participation des femmes aux instances de décision pour l’amélioration de leurs conditions de vie, n’est pas atteint dans cette collectivité locale. Dans les instances de prise de décisions que sont le conseil municipal et la municipalité, les pourcentages, en dessous de 20%, restent très faibles. Cela révèle que les femmes dans le nord et précisément à Korhogo ne participent pas pleinement aux processus de prise de décision. Elles sont donc partiellement impliquées dans la gestion locale.

Cette situation est mondiale. Suivant M. BACHELET (2005), aux quatre coins de la planète, les femmes constituent la majorité des employés non réguliers et sont sous-représentées dans les emplois d'encadrement et aux postes de direction.

Ainsi, des mesures doivent être prises par le gouvernement pour encourager la participation des femmes dans les processus municipaux de décision. Cette participation féminine aux processus décisionnels qui est l’un des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), est un droit fondamental, inscrit dans le Programme d’action de Beijing et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (S. KATO, 2005). Elle est perçue comme une stratégie de développement permettant de mieux connaitre les problèmes des populations surtout des femmes afin de trouver des solutions idoines pour le bien-être des familles. Elle a des retombées positives sur la croissance économique et la réduction de la pauvreté et permet également d’améliorer le statut des femmes dans la société (BANQUE MONDIALE, 1999 ; SHERYL, 2009). Or, l’amélioration de la situation des femmes a des conséquences positives sur la vie familiale et partant résoudra les problèmes sociaux tels la délinquance juvénile.

A en croire M. BACHELET (2005), l’humanité gagne de la collaboration des femmes qui procure des gains pour les femmes, les hommes et les enfants et aussi des gains aux niveaux économiques, de la santé et du bien-être. Pour elle, lorsque les femmes dirigent avec les hommes, les décisions reflètent mieux les besoins de la société et y répondent de façon adéquate. Selon son expérience, lorsqu'une femme est dirigeante, cela la change. Lorsque plusieurs femmes sont des dirigeantes, les politiques s'en trouvent changées.

A la mairie de Korhogo, les rôles des femmes sont peu valorisés que ceux des hommes, comme si le travail d’homme était plus que celui des femmes, et qu’elles étaient inférieures aux hommes. Relayer les femmes au second plan affecte négativement le résultat de leurs initiatives (K. M. BOUZGUENDA, 2001). Or, le développement local est le résultat des interactions de deux groupes (hommes et femmes) et ces actions ne sont pas effectuées sans collaboration étroite avec les intervenants. Les femmes peuvent favoriser le développement et aider à lutter contre la pauvreté (S. KATO, 2005). De plus, leur présence dans l’administration communale permet aux autres femmes de se sentir à l‘aise dans les services locaux. Elles y abordent facilement des femmes fonctionnaires. 

A ce niveau, nous pouvons affirmer que la participation égalitaire des femmes et des hommes constitue un facteur principal pour la réussite de la décentralisation en Côte d’Ivoire. Cette participation fait avancer le processus de démocratisation et contribue à concrétiser un droit humain fondamental, à savoir l’égalité des sexes (GIZ, 2001). Les pays affichant une plus grande égalité entre les femmes et les hommes ont des économies plus compétitives et croissent plus rapidement. L’élimination donc des obstacles au rôle et à la participation des femmes est source de développement économique. La libération du potentiel des femmes permet aux pays d'enregistrer des niveaux supérieurs d'enrichissement et de réalisations (M. BACHELET : 2005).

Si les femmes sont exclues de l’administration locale, cela signifie qu’elles n’ont pas accès à bon nombre de ces réseaux informels qui maintiennent et reproduisent les institutions et pratiques sociales entrant en ligne de compte dans la gouvernance locale

2.2. Les difficultés du recrutement des femmes à Korhogo

2-2-1-Le faible niveau d’instruction des femmes

La Côte d’Ivoire, comme les pays africains, connait des inégalités de genre au détriment des femmes qui sont confrontées à des difficultés freinant leur participation citoyenne en dépit de, leur dynamisme, leur motivation et leur mobilisation (PNUD, 2013). Parmi ces obstacles, on note le faible niveau d’instruction qui constitue une entrave aux opportunités d’emplois. Le taux de scolarisation de la petite fille reste inférieur à celui du petit garçon (BANQUE MONDIALE, 2013). Les femmes accèdent moins à l’éducation que les hommes et ont des difficultés d’accès aux soins de santé et au marché du travail (PNUD, 2013).

Pour, le chef du personnel que nous avons rencontré, le faible niveau d’instruction des femmes est l’une des raisons qui limitent le recrutement des femmes à la mairie de Korhogo. Le nord ivoirien enregistre le plus bas taux de scolarisation national des filles qui sont moins scolarisées que les garçons. Leur niveau d'instruction par conséquent est très faible. Notamment, Korhogo détient le record de faiblesse du taux de scolarisation des filles avec 23,31% contre 51,79% pour Abidjan (A. GUILLAUME, 1995 cité par L. PROTEAU, 1996).

Le PNUD (2013) établit une corrélation entre la scolarisation et la persistance des inégalités du genre. Plus le taux de scolarisation est faible, plus les inégalités du genre sont élevées. L’ampleur et la nature de la discrimination diffèrent d’une région à une autre. Les indicateurs d'inégalité de genre sont élevés au nord en raison du bas taux de scolarisation et faibles au Sud, à cause du niveau d'éducation élevé, du pouvoir économique des femmes et des progrès au niveau de la santé maternelle.

L’instruction est un facteur d'épanouissement des femmes. La promotion économique et sociale est fonction du diplôme et du niveau d’instruction. Les femmes analphabètes et celles qui ont un bas niveau d’études (généralement n’ayant pas complété l’enseignement primaire) sont poussées vers le secteur informel (BAD, 2015 ; S. KATO, 2005) qui ne permet pas de réaliser d’importants revenus.

Des obstacles freinent la scolarisation des filles et les maintiennent dans le cycle d’enseignement primaire. Il s’agit précisément de l’enclavement des régions et la distance du domicile par rapport à l’école, les mariages et les grossesses précoces, les représentations sociales que se font les communautés de l’école, les stéréotypes sur les rôles sexistes. A cela, s’ajoutent l’extrême pauvreté des parents, les coûts d’écolage, le coût d’opportunité, la préférence des parents à l’apprentissage des garçons, la quantité et la qualité des équipements scolaires et la qualité des enseignants (DEDY ET BIH, 1997 ; BIH, 2003 ; MANIKAK, 2011; UNICEF, 2012 ; S.YEO et M. KEI, 2016).

Celles, par contre, qui sont scolarisées, abandonnent l’école très tôt (CODOU, 2001, PNUD, 2013) pour le mariage ou le commerce et aussi à cause des grossesses, du manque de moyens financiers, d’infrastructure d’eau potable et d’assainissement dans les écoles (BAD, 2015). Ainsi, les filles sont dans un statut inférieur à celui de l'homme et ne leur permettent pas de sortir de la pauvreté. Les conséquences qui en découlent sont des pertes du potentiel pour le développement des communautés et des pays. Une fille analphabète ou déscolarisée ne peut pas inculquer une éducation de qualité à ses enfants (Plan International, 2019). 

Ces raisons révèlent pourquoi les femmes en quête d’emploi à Korhogo sont illettrées ou ont un faible niveau (le niveau primaire).

Lors de notre entretien avec le chef du personnel (novembre 2019), il a exprimé un besoin d’une comptable en remplacement de celle de la mairie devant faire valoir ses droits à la retraite le 31 décembre 2019. Mais, malheureusement parmi les candidates, aucune n’avait cette qualification lui permettant d’être engagée à ce poste. Ainsi, même si les autorités ont la volonté d’embaucher les femmes, elles ne savent où et comment trouver les intellectuelles. Car, selon le chef du personnel, tous les demandeurs d’emploi à la mairie de Korhogo ont  un faible niveau d’instruction, généralement ils ont le niveau primaire. Ceux, du supérieur, formulent des demandes de stages et non d’emploi. Le problème est que les gens ignorent que des fonctionnaires travaillent à la mairie et les opportunités d’emplois pour les diplômés universitaires dans cette administration. Pour ces populations, le travail dans cette administration est réservé à ceux qui ont échoué dans la vie. Alors que les fonctionnaires des mairies sont formés dans les universités et grandes écoles telles que l’école nationale d’administration (ENA). Ce qui pose le problème de communication entre les autorités municipales et les administrés (ne savent pas ce que fait les élus locaux) dans les communes ivoiriennes.

Comme solution au recrutement des femmes à la mairie, il faut scolariser les filles et  encourager l’alphabétisation des femmes et le retour des déscolarisées à l’école à travers les cours du soir et les formations en ligne au nord de la Cote d’Ivoire. Les capacités techniques et professionnelles des femmes doivent être également renforcées afin de les rendre plus compétitives dans leurs domaines d’activité.

Pour le besoin de femmes diplômées pour l’administration communale, il faut la consultation du compendium des compétences féminines de Côte d’Ivoire (COCOFCI). C’est un programme destiné à corriger des inégalités constatées entre les femmes et les hommes dans tous les secteurs d’activité notamment au niveau des postes de prise de décision. Le COCOFCI compte plus de huit mille (8000) femmes de qualification variée et dispose d’un annuaire où sont inscrites 1000 femmes cadres (BAD, 2015). Ce document est disponible et peut aider les élus à recruter des femmes.

Il faut également une formation en genre des autorités locales pour rehausser leur sensibilité au genre. Cela leur permettra de comprendre les rapports entre les sexes et de donner des grilles de lecture des réalités sociales sur lesquelles elles interviennent.

Néanmoins, le chef du personnel qui a reçu une formation en genre reconnait l’efficacité des jeunes dans le service. Selon lui, les quelques jeunes filles stagiaires et célibataires travaillent très bien et que le problème des femmes travaillant à la mairie est qu’elles s’absentent beaucoup à cause de leurs foyers.

Ainsi, aux barrières d’accès au niveau d’éducation le plus élevé et à la formation professionnelle s’ajoutent  les pesanteurs socioculturelles, qui définissent le rôle des hommes et des femmes dans la société ; car  dès la naissance, l’école et la famille, orientent l’avenir des filles et des garçons. L’inégal partage des tâches parentales et domestiques pèse sur la carrière des femmes. (BAD, 2015).

2-2-2-Les contraintes familiales

Le second facteur expliquant la difficulté du recrutement des femmes selon le chef du personnel, concerne les absences des femmes au travail à cause des charges domestiques. Pour lui, elles privilégient plus le foyer que la vie professionnelle.

En effet, les femmes sont partagées entre le rôle reproductif et social et l’administration municipale. Elles doivent faire l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale (BAD, 2015). Cette situation n’est pas à l’avantage des femmes. Leur vie est agitée entre les responsabilités à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Dans le monde entier, les femmes consacrent plus de temps que les hommes aux activités dites reproductives, telles que prendre soin des enfants, des membres de la famille malades et des personnes âgées ou faire le ménage, la cuisine, les courses et autres tâches ménagères. Elles restent alors volontairement en retrait et refusent de briguer des postes de responsabilités, surtout si les critères de sélection sont autres que ceux du mérite, ou quittent le boulot entre temps, car « c’est à la mère que revient l’éducation des enfants ».

La responsabilité domestique demeure donc une entrave à l’accession des femmes à des postes de grande responsabilité. Elles se sentent plus responsables du foyer que les hommes. Certaines d’entre elles donc, en dépit de leurs qualifications, se rabattent sur des postes moins exigeants en terme de temps et d’efforts dans le but de maintenir leur présence au foyer surtout si leurs maris occupent déjà des postes aussi exigeants (MUKANKUBITO, MIHIGO, 2012).

Conclusion

Cette étude avait pour ambition d’analyser la situation du personnel communal de Korhogo selon le genre. De ce qui précède, nous pouvons dire que dans la commune de Korhogo, le taux de représentativité des femmes est très faible surtout au sommet et est légèrement important à la base. Les facteurs de cette faible représentativité sont le faible niveau d’instruction des femmes et les contraintes exclusivement d’ordre familial et sociologique. Il importe donc de sensibiliser les autorités locales sur la participation féminine aux instances de direction pour un développement local harmonieux. Cette participation peut avoir des retombées positives sur la politique intérieure, les familles, les infrastructures, l’assainissement, l’éducation et la santé. Le nord, précisément la commune de Korhogo a donc besoin des dirigeantes pour motiver les parents à scolariser les jeunes filles et pour atteindre les objectifs de la décentralisation.

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Auteur

1Université Peleforo Gon Coulibaly de Korohgo, anejosee@yahoo.fr

Catégorie de publications

Date de parution
31 déc 2020